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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 08:42
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A cette époque-là…

 

Le jardin potager de Papi

 

par Régine Garcia

 

 

Un matin, mon père a quitté le domicile sans crier gare. Ma mère a dû se débrouiller pour survivre et nous nourrir.

Elle travaille à l’usine Micasar comme toutes les femmes sans diplôme. Chaque jour, elle trie et emballe des dates, avec le même geste répétitif, durant des heures.

Tous les après-midi, je suis seul. Mon frère aîné traîne dans le quartier. Aujourd’hui, il pleut des cordes. Derrière la vitre, j’imagine le jardin potager de papi, boueux. Pourtant, je l’ai toujours contemplé sous un beau ciel bleu. Le ciel décharge sa tristesse. Moi aussi, je suis malheureux et je pleure.

Je me souviens de mes vacances d’été. Mes grands-parents habitaient Autignac, un village du sud de la France. J’étais un gamin dégourdi, rêveur, et gourmand des mûres rouges que je cueillais le long des sentiers. Le suc rouge foncé dégoulinait le long de mes doigts et noircissait mes mains d’une traînée indélébile. J’aimais aussi flâner dans les vignes où le raisin commençait à se colorer, où le soleil brûlant chauffait mes cheveux. La lumière du jour y était plus belle que dans mon H.L.M.

Mais ce que je préférais par-dessus tout, c’était le jardin potager de mon grand-père. Il était tout en descente, et me paraissait immense. Mon papi y cultivait différents légumes : des salades, des pommes de terre et surtout des tomates. Je me rappellerai toute ma vie de leur odeur si particulière et de leur jus frais qui apaisait ma soif, les jours de grosse chaleur. D’ailleurs, je n’en ai plus mangé de semblables. Mon papi m’emmenait souvent avec lui lorsqu’il y descendait. Pour y accéder, il fallait traverser trois ruelles puis emprunter une pente douce.

Un après-midi d’août, j’ai imaginé un jeu nouveau et excitant : lancer des roseaux dans le puits, situé en bas du jardin. Mon papi s’occupait de ses salades et moi, je m’ennuyais. Alors, j’ai lancé plein de roseaux, des grands et des petits. Je m’appliquais à bien viser le fonds du puits. Tout à mon amusement, je n’ai pas entendu les pas derrière moi.

Soudain, je me suis senti projeter contre le sol. Mon papi, la figure toute rouge et les yeux exorbités, me traita de tous les noms d’oiseaux. Il parlait en crachotant de fureur. Il m’expliqua que le puits était tellement profond qu’on aurait du mal à les sortir. Que le temps passé à soigner ses légumes ne servirait plus à rien puisque le puits était bouché. Que le seau ne pouvait plus descendre. Joignant le geste à la parole, il jeta le seau qui n’alla pas bien loin.

Je me mis à pleurer à chaudes larmes, regrettant amèrement ma bêtise, ce qui eût pour effet de calmer mon papi. Il décida d’absoudre ma faute et, pour conclure, déclara que je serais puni de jardin pendant une semaine.

Ce fut l’unique fois où mon pépé me leva la main dessus.

Cet épisode de ma vie reste une brûlure sur mon cœur.

J’ai appris ce matin que mon pépé est mort du cancer de la gorge.

Je n’entendrais plus son rire qui me rendait si heureux.

Aujourd’hui, j’ai la rage au ventre et je pleure en silence. Plus rien ne sera jamais comme avant.

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25 juin 2007 1 25 /06 /juin /2007 19:22
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Juin se termine tant bien que mal. Normalement l’été devrait venir frapper à nos portes et remplir nos jours et nos nuits de chaleur lourde, d’atmosphère moite, de rencontres brûlantes, de retrouvailles au clair de lune, de conversations orageuses, de larmes absorbées par le soleil, d’éclats de rire au goût de glace à la vanille, bref d’impressions et de sensations qui continueront à habiter les esprits au-delà de la période estivale.

A cette époque-là…

 

Le tour de France
La Motte de Galaure, 20 juillet 1969

 

par Corinne Jeanson

 

"Pépé on est tous allé à La Motte mercredi pour voir passer le tour. La cousine Lisette a donné une gifle à Yvon parce qu’il faisait l’idiot avec le Maurice et ils ont failli se faire écraser par les coureurs. Moi j’ai été très sage, je t'assure pépé. Tonton Fanfan m’a porté sur ses épaules mais pas assez longtemps il avait trop chaud, il n’arrêtait pas d’essuyer son front sous sa casquette. Tatan Solange avait mis sa belle robe blanche à fleurs rouges, celle où l’on voit ses nichons tout blancs. Y faut pas dire nichons, pépé, pourquoi ? Momo et Yvon y z’arrêtent pas de dire nichons. La Lisette elle riait chaque fois qu’elle voyait un garçon de son école et elle remontait tout le temps les bretelles de son corsage, comme ça.

On est arrivé à onze heures devant l’église, mais il y avait tellement de monde que tonton Fanfan a garé la traction devant le bistrot du fils Rignol. On n’a même pas bu boire un sirop, toutes les tables étaient prises. Au comptoir c’était noir de monde. Heureusement tatan Solange avait pensé au thermos, le grand avec le bouchon gris qui sert de verre à boire. Finalement tatan Solange a pu s’asseoir à coté du curé sur une chaise qu’il avait préparé pour elle ; il est gentil le curé mais des fois je trouve qu’il regarde trop les nichons de tatan Solange. Non pépé, j’ai pas dit nichon. Moi je me suis assis par terre et on a attendu ; j’ai mangé un sandwich au jambon et des tartines de vache-qui-rit pour patienter, a dit tatan. Il y avait du monde partout : sur le haut des murs, de tous les cotés, sur les trottoirs ; les gendarmes nous empêchaient d’aller sur la route, y a que Gaston le garde champêtre qui avait le droit. Quand il m’a vu il m’a pris sur ses épaules, ouais comme ça, et il m’a emmené tout droit où on voyait le mieux ; donc là sur l’échelle de Gaston on a attendu ; les autres copains y devaient pas monter, Gaston ne voulait pas ; y avait que moi qu’avais le droit. Tu sais pépé, Gaston il m’aime bien parce que je l’aide toujours à couper les herbes dans les fossés après l’école. Bon tout à coup tout le monde a crié, les gendarmes ont fait reculer tous ceux qui voulaient passer les barrières ; j’ai entendu applaudir, il y a eu plein de voitures avec des banderoles, des mégaphones qui criaient plein de trucs mais je comprenais rien du tout. Et puis ça y est ils sont tous passés : d’abord Pingeon et juste derrière le cannibale en maillot jaune et Felice, pépé, il était là. Momo y préfère Merckx mais moi je suis comme tonton, je préfère Poulidor. Je l’ai vu en vrai pépé, je voulais lui lancer ma gourde mais Gaston il a pas voulu. Si tu avais été là tu aurais cogné sur la tête du cannibale avec ta canne pour laisser passer Poulidor. Dis pépé qu’est-ce que tu fais toute la journée à l’hôpital ? Tu regardes la lune, pourquoi tu regardes la lune, dis pépé ?"

C’est la dernière fois que j’ai vu mon grand-père, à l’hôpital après son opération de la gorge. Maintenant c’est dans mes rêves que je le vois et il crie toujours : " Allez Poulidor ! ". Dans mes rêves mon grand-père a retrouvé sa voix et cela me rend à la fois heureux et triste de le retrouver si vivant.

 

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23 juin 2007 6 23 /06 /juin /2007 16:30

Touray-200-image.jpg


C’est à Jean-Claude Touray que revient l’honneur de célébrer le début de l’été et par la même occasion le numéro 200 du café littéraire, philosophique et sociologique. Merci de penser à lui envoyer quelques cartes postales durant la période estivale.

 

Banal après-midi d’été

Douze heures. C’est un midi d’août doux et pluvieux comme la Zambretagne en a le secret. La Zambretagne qui est dans le Pachyland, ce pays fabuleux situé au Sud de l’Afrique et dont les citoyens sont des éléphants. Le soleil joue à saute-mouton avec les nuages qui laissent échapper, en toute incontinence et de temps à autre, un petit arrosage pipi. Les toits et les routes s’en foutent mais les potagers les prairies et les champs de maïs en sont tout réjouis. Le fond de l’air a par bouffées des senteurs qui fleurent bon la ruralité profonde. Avec en supplément les odeurs de marée, l’air du bord de mer est franchement plus vivifiant que l’atmosphère citadine de Zambézeville, la capitale enfumée.

Zoom puis gros plan sur une tablée de trois éléphants (un vieux couple et un éléphançon) à l’heure du déjeuner. La scène se passe dans une maison de vacances peu éloignée de la côte zambretonne.

Treize heures. " Borée mon petit tu as très bien mangé ton salmigondis de feuilles de bananier sans rien laisser dans l’assiette " dit la grand-mère. " Si tu continues comme ça tous les jours tu vas devenir plus grand que ton Papy. En attendant va te chercher un yaourt ".

Mais Borée, éléphanteau de six ans et demi passés, n’entend rien : il a sauté de sa chaise et batifole déjà sur la pelouse mouillée en poussant le cri de Tarzan. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire il a fait l’ascension du baobab décoratif qui est l’orgueil de ses grands-parents. Il casse maintenant quelques branches pour construire sa nouvelle cabane.

" Borée descend tout de suite, tu vas tomber et te faire très mal. Rentre à la maison, il pleut de plus en plus fort tu vas te faire tremper ".

Quinze heures. Borée est maintenant couché depuis un moment sur le tapis du séjour au milieu de ses crayons feutres. Il dessine un requin à l’air coquin dont il a trouvé le modèle dans " Les dents de l’amour ", le best-seller sur les sélaciens sado-masos que Mamy vient d’acheter.

" Tu me donnes le beau dessin que tu as fait ? " demande Papy.

" Pas question, c’est mon dessin je l’ai fait avec mes crayons feutres sur ma feuille de papier, il est à moi !".

Et Borée s’enfuit avec son œuvre en haut du baobab décoratif raconter ses déboires à Djène la femelle de Tarzan.

" Descend immédiatement tu vas te rompre le cou " ordonne Papy. " D’ailleurs tu as ta page de cahier de vacances à terminer. Souviens-toi qu’il te reste à copier dix fois la phrase : Un éléphant ça trompe énormément". Et aussi du calcul…

Borée est toujours perché dans l’arbre où il étrangle un puissant léopard venu le narguer. " On va faire un marché " dit Borée. " Si tu m’aides à construire ma cabane je finirai mes devoirs ". Papy est d’accord si on commence par les devoirs.

" Ecris comme il faut en t’appliquant ".

" Je fais du mieux que je peux ".

" Et pense aux additions à faire après la page d’écriture ".

" Alors non, puisque c’est comme ça j’arrête et je ferai ma cabane tout seul ".

Une heure plus tard Papy, qui a diplomatiquement renoncé aux additions, est installé dans la nouvelle cabane qui vient finalement d’être construite au fond du jardin. Il joue les deux rôles de Djène et de son père dans une aventure de Tarzan où Borée tient la vedette. Il pleuviotte mais en Zambretagne, ça ne compte pas pour de la pluie… 

" Alors tu me lancerais une liane mais je ne pourrais pas m’en servir. Je serais blessé parce que j’aurais été attaqué par un léopard en allant prendre une douche à la cascade, aïe ma tête… "

" Tu as mal à la tête mon petit Borée ? ".

" Mais non c’est pour de faux. Que fais tu Djène ? Ne va surtout pas ramasser des fruits près de la rivière à cause du léopard. Il est trop cruel ".

Dix-sept heures trente. Les nuages dégagent pour de bon et le ciel joue à un deux trois soleil ! " C’est un peu tard mais on y va " s’écrie Mamy. Inutile de préciser que c’est à la plage que l’on va. Plage qui, à cette heure de marée basse, étend son manteau de sable humide loin vers l’horizon. La mer est partie mais n’ayons crainte elle a l’habitude de revenir. Livrée depuis quelques heures aux pelles et aux seaux des éléphenfants la plage est devenue le pays des châteaux et des trous d’eau. Borée en explore toutes les flaques.

" Attention Djène il peut y avoir des alligators et ça mord. Mais je les tuerai tous avec ma lance après leur avoir balancé un bon coup de pied dans les boules "

Changement d’occupation. Borée pousse le cri victorieux de Tarzan et s’élance vers les reliefs qui bordent la plage. Il escalade la face Nord d’un gros rocher en quinze secondes et se dresse au sommet en alpiniste conquérant.

" Descend immédiatement tu vas faire une chute et te briser les os " s’écrie Mamy.

" Lâche lui les tongs et laisse le grimper. On ne peut pas le tenir en laisse, il a passé l’âge de jouer au chien ".

Dix-neuf heures. Un troupeau de nuages noirs arrive en galopant. " Nous allons nous faire tremper rentrons vite " disent les grands-parents. Un peu plus tard à la maison pendant que Mamy prépare une soupe de bambou et un gratin de feuillage, Papy termine ses mots fléchés avec son dictionnaire. Borée n’a pas repris ses coloriages mais débute en solitaire une partie de beach volley.

" Sois sage " dit Mamy en capturant le ballon de plage " va plutôt jouer avec ton Papy à Blanche-Neige et les sept nains. Il fera la méchante reine le prince charmant et Simplet avec des voix différentes.

" Non je veux qu’il me lise la vraie histoire du livre comme hier "

Et la lecture commence après une bonne crise de ronchonnements du grand-père.

" Blanche-Neige est une exquise petite princesse mais elle a été punie par la reine sa marâtre pour chapardages répétés … "

" C’est quoi chapardages ? "

" Un terme familier pour désigner un petit vol, un larcin. Chaparder c’est chiper ou marauder ou encore, dans un registre populaire, faucher ou piquer. Je continue la lecture ? "

" C’te question ! "

" Et Blanche-Neige a été condamnée à laver à grande eau les escaliers du palais. Elle en profite pour se laisser draguer par un dragon charmant qui lui murmure à l’oreille : t’as de beaux yeux tu sais et si tu me fais voir ton petit perlimpinpin je te montrerai ma grande ciboulette… "

" C’est quoi la ciboulette ? "

" Une plante condimentaire vivace dont les feuilles en tubes effilés sont utilisées pour différents assaisonnements. Je continue la lecture : Les adorables colombes qui volètent autour de Blanche-Neige roucoulent de plaisir en rougissant de bonheur tandis que les sept nains de jardin clignent de l’œil d’un air entendu…. "

" C’est pas du tout comme ça la vraie histoire. La méchante reine veut faire tuer Blanche-Neige parce que c’est elle la plus belle. Et en plus il n’y a pas de dragon et pas de ciboulette. Aujourd’hui tu ne lis même pas, tu inventes ".

" Tu ne comprends pas que j’en ai marre de cette histoire toujours la même que je te lis chaque soir. Aujourd’hui j’ai décidé que Blanche-Neige était kleptomane et qu’elle fauchait dans les magasins en compagnie du dragon charmant ; mais tu ne m’as pas laissé le raconter ".

" Alerte rouge, tu me considères comme un débile mental. Ce n’est pas parce que je lis encore avec difficultés qu’il faut me raconter n’importe quoi. Je veux les vrais contes. Je refuse d’écouter tes histoires inventées de toutes pièces. Je préfère encore aller faire les additions sur mon cahier de vacances ".

" Tiens v’là aut’chose, j’ai peut-être trouvé une façon de raconter les histoires qui rend les éléphenfants studieux ".Et Papy reprend sa lecture du Petit Larousse.

Jean-Claude Touray

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21 juin 2007 4 21 /06 /juin /2007 18:55
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La suite des aventures de Scipion Lafleur, le feuilleton du printemps proposé par Désirée Boillot en alternance sur Calipso et Mot compte double. Après cet épisode, la saga sera interrompue et ne reprendra qu’en septembre sur MCD. Merci de penser à envoyer quelques cartes postales à Désirée durant la relâche.

Episode 11


Et tandis que Norbert Grimbert, le proviseur répondant au surnom de Pop Corn, découvrait que les élèves de Troisième G, pendant la surveillance de Scipion Lafleur, en avaient profité pour raconter trente fois de suite une histoire d’hurluberlu se jetant dans la Seine au milieu des bateaux à touristes, Mustafa Kamel, lui, de retour de son séjour de thalassothérapie, sautait guilleret dans son train, la peau nettoyée de toute scorie, de la tête aux pieds exfolié, récuré pour la vie, au moment où la comtesse Rubano di Falabala attrapait le combiné dans l’intention de faire savoir à son locataire qu’il était grand temps qu’il rappliquât avec ses pinceaux et sa bonne volonté, il y avait d’épouvantables fissures autour de la hotte qui s’était mise en grève d’aspiration, ça ne pouvait plus durer.

Pendant ce temps-là, à l’abri de l’agitation de la capitale, dans le ronronnement sourd d’une ventilation invisible, Scipion pétrissait de plus en plus nerveusement une balle molle anti-stress à quelques pas des caisses enregistreuses de Mondial Moquette, priant pour que Lola tranche enfin entre un échantillon à bouclettes et un autre en haute laine, Elle est très jolie celle-ci, laineuse, épaisse, personnellement j’aime beaucoup la laine, elle irait bien avec les murs, si j’étais toi, je n’hésiterais pas. – Mais justement, tu n’es pas moi s’énervait Lola, alors tais-toi et laisse-moi choisir, Monsieur, votre avis ? lança-t-elle au vendeur qui, à défaut de posséder une balle anti-stress, commençait sérieusement à compter les mouches.

Eh bien, sursauta-t-il, à première vue nous avons à ma droite une moquette chinée bouclée anti-taches antidérapante, à ma gauche une moquette douce sous la plante en pure laine vierge anti-acariens, toutes deux comportant des points communs notables : fabriquées à Hong-Kong, bradées au même prix, garanties sans défaut de fabrication, échangeables dans un délai de dix jours après l’achat, conçues principalement pour lutter contre les nuisances sonores, éclats de voix, chutes d’objets, claquements de talon, bris de vaisselle, coups de feu, maintenant les goûts et les couleurs c’est comme tout ça peut pas se discuter, et c’est pas parce que je vais vous dire de prendre cette moquette-ci que vous préférez pas au fond cette moquette-là ; c’est vous qui choisissez le client est roi, il reste vingt minutes ensuite on ferme, et il bâilla.

On était bien avancés. Ce ne fut que lorsque la sonnerie annonçant la fermeture de l’entrepôt poussa sa stridente dans les étages que l’on consentit à prendre la direction des caisses. On déposa sur le tapis vingt mètres carrés de moquette résistante, non salissante, anti-dérapante, facilement aspirante et d’une belle couleur flamboyante, Je dois te l’avouer Scipion c’est aussi pour ça que je l’ai prise : elle est assortie à la fourrure de Moustache !

Scipion déjoua tous les pièges de l’autoroute en évitant Ploum-Les-Duduches, on avait assez perdu de temps comme cela, il fallait rouler, maintenant. Et l’on roula tambour battant jusqu’à Paris, pendant que le répondeur faisait tourner ses bobines, sous l’œil intéressé de Friture.

*

… Ici Grimbert. Y a eu un gros problème avec les Troisième G, inutile de faire le mariole, vous êtes directement concerné, veuillez me rappeler, c’est urgent. Bip, bip… C’est Mustafa. Ça boume avec la ponceuse ? J’ai bien pensé à vous pendant que je muais en prenant mes bains de boue. Trop sensass la thalasso. Je viendrai tantôt chercher le matos et les clés de la Mercedes. Bip, bip… Allô cher ami ? Ici la comtesse di Falabala, je vous ai attendu toute la sainte journée pour le coup de peinture que vous m’aviez promis dans la cuisine, mais vous n’êtes point venu, et je m’en étonne. Passez-moi un coup de fil dès votre retour je vous prie, pour que l’on convienne d’une nouvelle date, je compte sur vous, à défaut, je me verrais dans l’obligation de reprendre possession de mon local. Bye, bye ! Bip, bip, bip…

Oh la la, fit Lola en rembobinant la bande magnétique. Oh la la la la la la.

Sur les trois, y en a au moins un qui est content, remarqua Scipion, qui avait toujours été très objectif.

A ceci près que Grimbert a l’air furax et que la comtesse te fait du chantage.

Grimbert a toujours l’air furax, c’est dans sa nature. Quant à la comtesse, je l’avais complètement oubliée. Je la rappelle tout de suite.

Non Scipion. Grimbert d’abord.

Et Scipion décrocha avec courage, pendant que la moquette se mettait à boulocher sous les griffes enthousiastes des matous.

*

Il est certains jours de la vie que l’on aimerait franchir d’un coup de perche, sans devoir s’embourber dans des explications fastidieuses pour qui les donne, et insatisfaisantes pour qui les reçoit.

Scipion eut beau expliquer par a + b à Norbert Grimbert que les élèves de Troisième G n’avaient pas copié les uns sur les autres, mais bien puisé leur inspiration autour d’un marginal dont certains journaux avaient parlé et qui s’était fichu dans la Seine un jour d’inconscience, Norbert Grimbert ne voulut rien entendre. Il campait fermement sur ses positions. Inutile de nier Lafleur, vous avez pioncé au lieu de les surveiller, c’est inadmissible, laissez-moi vous dire que je vais me passer de vos services avec joie à la rentrée.

Nous pourrions peut-être trouver une solution repartit Scipion, soudain très inquiet pour son poste.

La seule solution, quand un pion pionce, c’est qu’il quitte l’établissement, alitera Grimbert. Et puis je n’aime pas du tout les types dans votre genre, qui arrivent en retard, avec des lacets défaits et des épis dans les cheveux, et qui ont le toupet de finir leur nuit pendant les épreuves du brevet blanc.

*

Scipion débarqua la tête à l’envers chez la Comtesse Rubano di Falabala.

Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle, le voyant sur le seuil tout éméché et les joues écarlates. Vous m’avez l’air d’avoir avalé un oursin, mon ami.

C’est à peu près ça, admit Scipion. Et dans la précipitation, j’ai oublié mes outils chez moi.

Ne vous inquiétez pas, je suis sûre que vous allez trouver votre bonheur dans la buanderie. C’est par là.

Ils traversèrent un long couloir dont les murs étaient tapissés de portraits d’ancêtres, la comtesse en tête, Scipion derrière elle, six balles bondissantes fermant le cortège.

Voici la cuisine, commença la comtesse, voici la buanderie juste à côté, et voici les fissures que je souhaiterais que vous rebouchassiez.

Comme la cuisine est vaste et belle et comme vous avez de beaux cuivres, fit Scipion qui évaluait les travaux à trente jours de boulot intensif sans compter les finitions.

On ne peut pas se permettre de jouer à la dînette quand on reçoit le Tout-Paris à des cocktails dînatoires et des dîners soupatoires. Cela exige de l’espace et quelques ustensiles... Souhaitez-vous vous sustenter un peu avant d’attaquer ? proposa-t-elle en indiquant une tarte aux pommes caramélisée que le cuisinier sortait du four d’une main, tout en tenant de l’autre une recette où il était question d’une alliance insolite entre des poires et des spaghettis.

Non merci, répondit Scipion. Peut-être tout à l’heure. Il y a du boulot.

Alors à vous de jouer, fit la Comtesse. Je dois vous quitter, le coiffeur est arrivé pour les chiens.

Et elle tira sa révérence dans de légers effluves de jasmin.

à suivre … en septembre…

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18 juin 2007 1 18 /06 /juin /2007 18:09
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Ernest J. Brooms ne tient pas un café mais il vous l’offre chaleureusement sur son site Pour le plaisir d’écrire. La porte est grande ouverte. Installez-vous confortablement, visitez, promenez-vous, fouillez partout, lisez, commentez....  et à l’occasion accompagnez-le dans ses balades littéraires au gré de la toile.

 

Le sourire


Le père est mort.

Raide sur le lit acheté en solde l'hiver dernier chez "Touconfort". Crédit zéro pour cent en dix-huit mois. Il avait fini par s’y résigner. Faut être de son époque, grimaçait-il. Mais en lui, se révoltait l'homme mutilé d'être réduit à survivre avec une pension tellement maigre qu'il avait perdu un peu de poids et beaucoup de sa fierté naturelle, de sa façon de regarder les gens bien en face. Dans les yeux. Ces dernières années, il fuyait les autres pour éviter ces affrontements qu'il savait perdus d'avance. Il évitait même ses proches. Et de s'attarder sur les traits fatigués de son visage. Trop pâle.

C'est le fils qui avait insisté, le vieux de lit de noces a fait son temps, le bois craque de partout, un gros ressort a cédé, un pied a dû être consolidé. Et le fils n'avait guère le temps de bricoler sans cesse sur ce débris. Un emplâtre sur une jambe de bois. Le fils déplia une publicité toutes boîtes de chez "Touconfort", raisonna, argumenta, persévéra, vainquit le mutisme du vieux couple. Il monte lui-même le lit de noces, en pièces détachées, dans le grenier. Il le camoufle sous une vieille couverture, protection dérisoire pour ces montants de bois qui jamais plus ne seraient assemblés. Ils alimenteront plus tard quelque feu sacrilège qui voleront une trace de plus d'une vie durement malmenée.

Le père est mort.

Nu sur le lit. Comme un ver. Il serait vite de leur monde.

Deux femmes du village, impassibles en apparence, retournent le cadavre sur le ventre, puis sur le dos, l'enduisent de savon mousseux à odeur forte de javel, le rincent, l'essuient. Le père si pudique. Elles le manipulent tel un objet. Peut-être la plus vieille, dans sa jeunesse, était-elle secrètement amoureuse de lui. Peut-être attendait-elle qu'il l'invite à danser au bal des Catherinettes. Peut-être avait-elle imaginé le corps jeune roulant sur le sien. Et maintenant, elle frottait les fesses flétries en insistant un peu trop sans doute. Sans bien s'en rendre compte, reliques de sentiments refoulés. L'autre femme l'a fusillée du regard et de quelques mots secs. On le retourne ! Le trouble revient plus ferme devant le buste envahi de poils gris et le sexe mou ballotté en tout sens par la main dissimulée dans le gant de toilette. La plus vieille s'empresse de l'essuyer et de jeter le grand essuie blanc sur le corps sans toutefois recouvrir le visage calme, serein. Enfin détendu. Et sur les lèvres, un sourire. Comme si le père s'amusait de la situation, de la gêne étouffante de la vieille, un bon tour avant de disparaître. Question de survivre encore un instant dans les fantasmes d'une septuagénaire titillée de souvenirs. Il la hantera cette nuit encore. Et quelques suivantes. En beau jeune-homme au corps éthéré qui mille fois se penche vers la jeune-fille faussement timide qui rougit de plus belle, qui acquiesce d'un battement de cils, se lève et se livre au rythme de quelque tango explosif qui frissonne la chute des reins.

Le père est mort.

Les vieilles lui ont enfilé son plus beau costume. Bleu classique. Et la chemise blanche au col amidonné qu'il ne supportait pas de son vivant, qui lui donnait des rougeurs au cou. La plus vieille lutta avec le bouton, renonça, dissimula l'ouverture sous un gros nœud de cravate.

Le père est mort.

Les doigts refusent de se joindre. Et surtout laissent tomber le chapelet que la vieille finit par accrocher aux pouces. Elle a empoigné deux gros livres qu'il avait lus, relus, annotés "Art et Tactique militaires, tome 1, tome 2", toute la bêtise humaine condensée pour la première fois utile. Elle les cale sous les coudes, les mains demeureront jointes de force sur le chapelet ramené d'un voyage à Lourdes, le seul séjour à l'étranger du couple, gagné lors d'une tombola. Le père en avait ramené les premières photos couleurs de l'album familial. Vue du cirque de Gavarnie et défilés de malades, d'impotents.... et puis la vierge dans la neige quand on la retourne dans son liquide que les enfants secouaient toujours trop fort, alors la mère les grondait et déposait religieusement l'objet miraculeux sur le marbre de la table de nuit et les enfants émerveillés regardaient longtemps les paillettes redescendre au pied de la dame en bleu.

Les doigts experts de la vieille plissèrent le drap à l'odeur de naphtaline pour faire beau. Elle jeta un regard satisfait à l'autre et elles sortirent après s'être signées instinctivement. Pour conjurer le mauvais sort qui les attendait, narquois.

Le père est mort.

A côté, recroquevillée sur sa chaise dure, la mère pleure sans larmes les longues années de solitude à venir. A entasser les souvenirs pour faire illusion, à ressasser le passé faute de futur, à coups de photos jaunies dans le formol de la vie, d'images figées sur quelques rares moments de bonheur frisson dont elle est et sera seule propriétaire désormais. Son véritable héritage... Trésor de frémissements amassés, accumulation de caresses glanées au hasard de la tendresse, de regards amoncelés qui en disent long lorsque la parole s'est retirée. Futile.

L'odeur du café, le jet de vapeur s'échappant du bec de la bouilloire, la vie est toujours là. Elle se lève.

Le père est mort. Le fils entre dans la chambre. Il vient de la ville. A traversé l'humidité poisseuse des bois. Grande fatigue et vertige.

Le fils fait face. Sans réagir. En apparence.

Le père l'a soulevé comme une plume et déposé sur ses épaules solides, il marche à travers la neige et le froid du matin, le père s'endort dans son fauteuil après le repas, le père retourne la terre du jardin, hume l'air, bourre sa pipe, gronde, enfourche son vélo, disparaît dans le brouillard.

Et il sourit. Sur son lit d'apparat. Les jambes du fils se dérobent. Il doit se soutenir au bord du lit. Ses lèvres tremblent. Les coins de sa bouche s'écartent. En un sourire jumeau. Le père sourit. Le fils aussi. Et soudain, c'est le rire. Il éclate. Cadencé. Hoqueté. Au bord de la crampe. De l'étouffement.

La mère est entrée. A serré l’épaule du fils. L'a secoué.

Le froid comme une claque.

Vue d'un village au bout des champs et des prairies. Et du temps.

Le rire éteint.

Les yeux immensément fatigués de la mère.

Le ciel est clair. On voit les étoiles. Il gèlera demain.

Ernest J. Brooms

http://www.broomse.com

 

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16 juin 2007 6 16 /06 /juin /2007 18:09
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Le concours de nouvelles Calipso 2007 " Sens dessus dessous " entre dans le compte à rebours du dernier mois et les questions relatives au règlement affluent dans la boîte Internet. Nous répondons bien entendu à tous les messages mais pour récapituler les demandes voici quelques éléments de réponse aux questions le plus souvent posées :

Le nombre de signes, de caractères, de pages n’est pas limité, cependant il convient d’avoir présent à l’esprit qu’il s’agit de nouvelles.

Police, interligne, marge et recto verso sont laissés à l’appréciation de l’auteur, cependant là encore, la lisibilité du texte est assurément profitable.

Les droits de participation peuvent être acquittés autrement que par chèque ou virement notamment pour les auteurs résidants à l’étranger.

Le jury n’a pas pour mission de corriger et d’évaluer une composition française mais seulement d’apprécier en toute subjectivité les nouvelles concourantes. Il ne délivre ni notes ni commentaires.

Enfin, le fait d’avoir publié ici ou là la nouvelle proposée ou qu’elle ait été primée dans un autre concours n’est pas rédhibitoire. Interruption de l’aventure ou opportunité d’un nouveau parcours, ce sera au jury de se prononcer.

Nous vous souhaitons de très agréables moments d’écriture.

 

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14 juin 2007 4 14 /06 /juin /2007 19:28
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Bientôt l’été et le numéro 200 du café littéraire.

Et si, une fois encore c’était le lecteur qui, entre deux gorgées de mots, y allait de ses propres souvenirs, de sa part de vérité, de son lot de fantasmes, de ses errances et découvertes, de son jeu de questions éternelles, de ses mises à l’épreuve, de son désir d’y comprendre quelque chose, de sa soif d’être et de faire connaissance, de son goût pour l’utopie, de ses ruptures avec la langue de bois, le ressentiment, la haine, de son attraction pour les bouquets de poèmes, de ses attentes déçues ou fêtées, de ses regrets obstinément commémorés, de ses moments de chagrin remis à plus tard, de son retour dans l’intimité du vivant…

Bref si le lecteur se prenait à parler de ce point où nous nous sentons parfois bien obligés d’inventer pour se mettre à l’abri du rien…

Récits, poèmes, réflexions, dessins, photos sont les bienvenus pour célébrer la saison à venir.

assocalipso@free.fr

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12 juin 2007 2 12 /06 /juin /2007 19:22

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Une nouvelle de Patrick Essel


Pendant dix sept ans je n’ai jamais rien fait pour me rappeler. Je n’aime pas les souvenirs. Même quand je n’arrive pas à dormir, j’évite de me raconter des histoires. Les souvenirs les plus lointains sont les pires. Cela ne ressemble plus à rien : visages embarrassés, voix hésitantes, odeurs trompeuses, phrases énigmatiques, comment peut-on appeler ça mémoire ? Ce ne sont que de pauvres miettes, des flétrissures, des parasites ou alors des mauvaises pensées.

C’est cette fouineuse d’Angéla qui a eu l’idée de me faire revenir sur les traces de mon passé. Je ne sais pas comment elle a eut vent de mes démêlés avec ma femme mais cette voyante a débarqué un jour à mon bureau sans que je ne puisse rien empêcher.

- Personne n’aime baigner dans le jus, a-t-elle prétexté, et encore moins un homme marié, mais rassurez-vous, j’ai très certainement la solution.

Elle a tout de suite sorti de son sac les tarots, les osselets, les coquilles d’œufs, les marcs, les fioles et quelques poils de bête d'un autre âge, bref tout l’attirail de l’exorciste. J’ai fait la mine de l’homme sceptique et me suis mis à regarder longuement la pointe de mes chaussures en marmonnant des âneries sur les marabouts.

Je ne sais pas comment elle s’y est prise pour me prendre les mains mais je n’ai rien dit et j’ai très vite compris. Elle connaît l’enfer comme personne.

- Du sable s’écoulait lentement entre ses cuisses, s’insinuant entre les poils dorés, elle était prête, pleine de sel, de mousse et de remous... a t-elle commencé à raconter, comme si elle y était.

- Elle prend votre main, vos yeux tourbillonnent, vos viscères vous étranglent, vous criez d’une voix sèche mais elle ne vous entend pas ; ses lèvres sont gonflées, elle s’étire, elle vous attire, elle soupire, elle s’épanche, elle s’entrouvre... vos doigts s’engluent dans une mousse amère...

- Non ! C’est faux ! Il n’y a jamais rien eu de tout cela ! Qu’est-ce qui vous fait penser que ces révélations me concernent ? J’ai en moi tellement de sales histoires qui ne m’appartiennent pas. Et qu’est-ce que tous ces suintements ont à voir avec mes pannes d’aujourd’hui ? 

- Je n’invente rien, affirme-t-elle après chaque investigation, tout ce que je vous rapporte m’a été révélé ; dans cette affaire, il n’y a que vous et l’autre fille, celle de la plage, celle que vous avez repoussée, celle qui est aujourd’hui avec le gynécologue ; lui aussi, il la déçoit, mais allez savoir pourquoi, c’est sur vous qu’elle se venge. Je peux même vous donner tous les détails de l’envoûtement, souffle-t-elle pour finir de m'ensorceler.

C’est vrai qu’elle n’invente rien. Elle me guide maintenant depuis près d’un an. Dieu merci, elle sait parfaitement voir dans les ténèbres et connaît ce qui est bon pour moi. Elle veille avec miséricorde sur mes souvenirs les plus turbulents et me dit de ne pas m’en faire et d’aller de l’avant. Seulement il y a des jours où je sens que les choses vont mal tourner et que quelqu’un va y laisser sa peau. Alors la peur me reprend. Peur de ce sang ivre qui coule dans mes veines, peur de ces douleurs subites qui surgissent les soirs d’amour, peur de ne plus être capable d’entreprendre.

Les jours passent et rien ne s’arrange. J’ai attrapé une espèce de fièvre qui me brûle les intestins. Angéla ne me donne aucun remède, au contraire, elle attise les braises, elle me pousse même à me jeter tout entier dans le feu ; je lui répète que ça va mal finir, mais ça, elle ne veut pas l’entendre. Personne ne veut rien entendre de mes avertissements. Pas même ma femme. Elle, les envoûtements ça la fait rire. De toutes façons, ma femme est trop ardente pour comprendre des choses comme ça. Elle, il n’y a que l’amour qui l’intéresse. L’amour qui remplit l’espace du sexe, de son sexe. Elle ne voit pas ce qui est ailleurs comme le cœur ou l’âme. Tout ce qui n’est pas du côté de son exubérante toison n’existe pas. Elle ne sait que bourdonner et haleter, du matin au soir. Et depuis qu’Angéla s’occupe de mon affaire, c’est pire encore : d’un côté, elle est complètement remontée contre moi m’accusant de toutes sortes de méfaits et de l’autre, elle exige ma totale coopération à une multitude de jeux absolument éprouvants qu'elle va chercher dieu sait où. C’est une boulimique, une goulue, une vorace, une exaltée, oui voilà ce qu’elle est : une exaltée. Je voudrais bien la voir Angéla avec une femme qui veut tout l’amour du monde.

Quand elle en a fini avec moi, elle n’ouvre la bouche que pour me parler de son amant, un administrateur des eaux et forets qu’elle a du rencontrer dans un bar, un type plutôt fier avec du rose aux joues et une carrure de bûcheron. " Tu vois, me dit-elle, lui et moi on se comprend, il ne fait pas ça en vitesse et puis surtout, il y met de l’entrain.". Je ne suis pas jaloux, il a l’air de connaître son affaire. Mais tout de même ! Il débarque à la maison à n’importe quelle heure et ni une ni deux, sans un salut, sans même m’adresser un regard, il empoigne ma femme et l’entraîne sans ménagement dans notre chambre. A les entendre, je suis sûr qu’il la piétine et qu’il la déchire, parfois elle braille comme une damnée. C’est terrifiant. Chaque jour c’est la même chose et quand il s’en va, je me précipite au pied du lit et je m’agenouille, elle me colle alors le visage contre son ventre humide et c’est moi qui sanglote et qui lui demande pardon. Mais cela ne sert à rien, elle ne m’écoute même pas, elle en veut encore, encore, encore. Quoique je fasse, elle me trouve toujours trop tendre, il y a même des jours où elle juge que je ne vaux plus rien :

- T’étais pas comme ça avant, si tu ne t’arranges pas, je pars avec lui, jure-t-elle en fixant la porte. Pourtant, je fais exactement comme me dit Angéla, je me fouette les sang plusieurs fois par jour et je me badigeonne de ses décoctions juste avant d’aller vers elle. Bien sûr, je sens monter en moi une formidable force, une vraie ferveur. Mais à quoi bon ! Elle me presse toujours plus et ses lubies deviennent épouvantables. Quoi que je fasse c’est toujours autre chose qu’elle attend :

- Viens ! Viens par là ! Oui, par là mon chéri ! Je veux que tu m’engloutisses ! Non, attends ! Attends ! Attends, je te dis ! Ah, je suis trop bonne avec toi. Je t’ai expliqué cent fois comment il faut t’y prendre ! Tu ne comprends donc rien aux besoins des femmes ? Allez viens maintenant, viens, donne-moi ce que je veux ! Oui ! Oui ! Non, attends ! Mais attends ! Ah, ce que tu peux être bête des fois !

Plus rien n’existe que ces mots insensés. Plus rien n’est sacré. De quel souvenir faut-il puiser ses convictions pour échapper au mauvais œil ? J’en veux à cette sorcière d’Alice qui ne m’a pas oublié. Et même à Angéla qui s’entête à explorer les trous noirs de mon existence :

- C’est elle qui vous fait du mal, c’est elle qui gît dans les méandres de votre femme, répète-t-elle inlassablement.

Elle me fait trop de confidences, ses lumières me sont d’un secours trop pesant. Mais quand elle me prend la main tout renaît si brutalement. La mer se faufilant. Les ombres flottantes. La communion interrompue. Ma vie est toute entière retournée vers Alice. J’ai honte pour ma femme ; je ne devrais pas l’embêter avec ces fichues histoires. J’ai honte de tout. De tout ce qui est en moi. Mais comment pourrais-je oublier maintenant que je sais que cette fille me regarde tous les jours en train de mourir, de disparaître du monde, tous les jours, encore et encore, à petits feux. Et tous les jours je me dis pourquoi ? Pourquoi n’irais-je pas moi aussi au bout du mal, au bout du maléfice ? Tout devrait pouvoir s’effacer. Tout.

Il y a ce feu qui brûle tout au fond de moi. Un brasier que plus rien ne peut éteindre.

J’entends à nouveau cette voix en haut de la falaise...

Viens, viens défaire mon corps

Ecorche-moi, fouille-moi

Jusqu’au bout, jusqu’au fond
Que je sois à feu et à sang !

J’ai renvoyé Angéla. Je suis devenu un homme d’errance. Certains jours, il m’arrive de ne plus savoir qui je suis ni ce que je fais. 

20 mars 1991, Alice est morte ; je ne voulais pas la tuer, juste lui infliger une blessure, une marque sur son visage, qu’elle soit regardée par son mari comme moi je suis regardé par ma femme...
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10 juin 2007 7 10 /06 /juin /2007 18:45
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Une nouvelle de Patrick Essel 

 

 

20 mars 1991, l’épouse d’un gynécologue rentre chez elle quand, au sortir de l’ascenseur, une ombre l’asperge d’essence et déclenche un chalumeau...

20 mars 1974. L’ambiance était presque parfaite. Un voyage aux Baléares, une escapade main dans la main au fond d’une crique avec une fille facile, à peine plus âgée que lui ; le soir tombait mollement...

Du haut de la falaise une voix sensuelle chantonnait:

Tant d’accrocs

Et si peu de regrets,

Tant d’aiguilles

Et si peu de chagrin,

Tant de fils

Et si peu d’amour...

Il faisait presque aussi chaud qu’en juillet. Alice en avait profité pour déboutonner son chemisier et enlever sa jupe. Elle s’était étendue les bras en croix et avait laissé ses jambes se mouler paresseusement dans le sable. Il avait gardé chemise et pantalon et s’était agenouillé face à la mer, légèrement en retrait de façon à pouvoir l’observer sans aucune retenue, à goûter cette peau de printemps encore si pâle et à profiter de formes si débordantes.

C’était un vrai bonheur de pétrir sa jupe, de laisser filer ses doigts entre le lainage et la fine doublure satinée. Alice le regardait faire en clignant des yeux, conquise par l’ombre de ses épaules ondulant sur son visage. Par moments elle souriait, et, comme si elle voyait clair en lui, elle laissait ouvertement son regard se perdre sur les vagues. Jamais il n’avait été aussi près d’une femme. Tout était beau. Tout. Il en était sûr : personne, nulle part au monde, ne l’avait jamais regardée comme lui en cet instant.

Une demi-heure passa peut-être. Encouragée par la douce brûlure du couchant, Alice s’abandonna tout à fait au sable et au vent de mer. Animé des meilleures intentions, il décrocha alors ses yeux de son visage pour les laisser descendre discrètement vers son ventre, puis ses hanches et ses cuisses. Il aimait particulièrement le rose un peu vif de ses cuisses, l’odeur légèrement douceâtre de la peau. Ses mains commençaient à s’animer et il souffla un grand coup avant de laisser ses prunelles remonter vers le ventre ou plutôt le bas-ventre, du côté du petit bout d’étoffe froissé, légèrement au-delà de la ligne bleue gravée par l’élastique, jusqu’au point où il pouvait entrevoir quelque chose qu’il n’avait jamais vu, quelque chose qui ne se montrait jamais en plein jour. Et c’était comme un bouquet de ces herbes folles qui poussent sur les dunes : des touffes florissantes, longues et déliées, longues et bouclées, longues et brillantes, des touffes d’une incroyable vivacité que la brise marine gavée de sel ébouriffait, gonflait et décuplait aveuglément.

Elle s’était légèrement déhanchée quand par inadvertance, il lui avait effleuré la paume de la main. Il ne voulait jurer de rien mais il avait bien cru entendre un petit cri, une sorte de soupir mais plus vif. En tous cas, elle n’avait pas protesté. Elle s’était juste pincé les lèvres et avait fermé les yeux tout de suite après. Il resta un moment sur le qui-vive puis tendit doucement l’oreille : sa respiration était profonde, gourmande, vivifiante, comme si elle attendait qu’il la touche encore. Il ne s’imaginait pas entrer comme ça si facilement dans ses bonnes grâces et il se redressa saisi d’un doute. Il fit semblant de regarder en direction de la corniche et resta un bon moment à se masser le cuir chevelu, l'air pensif. Alice se tortillait d’aise dans le sable et il eut l’impression qu’elle ne se rendait pas compte de la situation. Le ciel se chargeait d’embruns et il se demanda un instant, si un mauvais génie n’allait pas lui jouer un tour à sa manière. Il pensait à des choses simples, superficielles, presque bêtes, des couleurs, des odeurs, des contours, des plis, des replis, des entrelacements, il ne pensait pas à mal, juste à quelques petites choses toutes innocentes mais qui le faisaient frissonner jusqu’à en avoir la chair de poule. Il se disait que s’il venait à l’effleurer à nouveau, tout en bas cette fois, du côté la cheville, il entendrait peut-être un autre cri, peut-être même plusieurs, et puis peut-être aussi des bruissements, des chuintements, des résonances de toutes sortes, des choses à la fois gaies et brûlantes surtout s’il fixait son regard du côté du léger renflement près de l’élastique ; et si, si elle laissait aller les choses, alors oui, il pourrait voir à lui frôler le mollet, puis par petites touches circulaires atteindre le genou. Il savait qu’il lui serait difficile de s’aventurer au-delà du genou, après le genou c’était un autre monde, un monde de grâces et d’opulences disait-on, mais à condition d’y pénétrer avec tact et circonspection. Mais ça, c'était une autre affaire.

- Nom de nom, murmura-t-il en s’attardant plus que de raison sur la partie la plus éclatante de son corps.

Jusqu’où pouvait-il porter ses yeux sans qu’elle ne s’étonne de son audace ? Jusqu’où pouvait-il s’approcher pour se délecter de cette forte odeur de pourpre ? Il était sûr qu’en laissant son regard dériver au gré du vent, entre les généreux interstices, une amande pleine et moirée ne tarderait pas à apparaître et, s’il la frôlait encore un peu, un tout petit peu, à peine au-dessus du genou, là où la peau commence à devenir très fine, il était sûr qu’elle s’étirerait pleinement en poussant quelque petit cri insolite. Et qui sait si alors les derniers millimètres de coton ne viendraient pas à s’entortiller, le laissant face à un puits de roses dont les zébrures lui étreindraient le cœur. Tout. Tout était là, derrière cette magnifique pénombre.

Et soudain, il eut peur que son rêve soit détruit. Plusieurs fois, Alice se passa la main sur le visage et dans les cheveux ; ses lèvres tressautaient à intervalles de plus en plus rapprochés, laissant apparaître par instants un bout de langue impatient. Quelque chose semblait l’avoir piquée au vif et on aurait dit que sa belle peau se fissurait. Il cherchait un mot rassurant à dire quand brusquement elle se tourna sur le ventre et lui attrapa la main : " Tu ne m’embrasses pas ? se plaignit-elle, allez viens ! Viens donc ! Mais attends, dis voir, ne me dit pas que c’est la première fois ? Oh, mon dieu, ce que tu peux être bête ! " Voilà qu’elle le houspillait comme le faisait sa mère quand il faisait les choses de travers. Une inquiétude terrible, déraisonnable, le gagna, trouant ses pensées et empêchant son corps d’agir. Le ciel et la mer se rejoignaient en une brume mousseuse. Par vagues successives, l’eau chargée d’écume et d’algues poisseuses emplissait leur îlot de sable. Des aigreurs lui mangeaient les entrailles. Il s’allongea à son tour sur le ventre, perpendiculairement à elle et enfonça ses mains dans le sable jusque sous ses hanches. Il serra les poings de toutes ses forces. Le sable était chaud et humide et il sentit l’amour filer entre ses jambes. Lentement, il se mit à ramper, à reculons, à reculons...

En haut de la falaise la voix s’était faite plus langoureuse :

Lune, demi-lune à honorer,

pour une heure, pour une nuit,

lune, lune, lune,

pour toi mon ami, mon bon ami,

je sais,

oui, je sais que tu viendras à moi,

je le sais.

Lune, demi-lune...

 

à suivre…

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5 juin 2007 2 05 /06 /juin /2007 15:36
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La suite des aventures de Scipion Lafleur, le feuilleton du printemps écrit par Désirée Boillot en alternance sur Mot compte double et Calipso. 

Episode 9

   

C’est fou ce que l’on peut perdre comme temps dans la vie avec des lettres difficiles à écrire et dont les mots se dérobent et glissent sous la plume qui dérape : Chère, ou : Très Chère ? Chère Madame, ou : Chère Comtesse ? Madame la Comtesse, ou : Comtesse tout court, virgule, à la ligne ? On barre, on s’énerve, on fait des pâtés, on lance par-dessus l’épaule des boules de papier qui dérivent sur le parquet comme des icebergs, mais surtout on casse les pieds du conjoint qui ramasse, remplit la corbeille, la vide, descend aux poubelles, court acheter une nouvelle ramette de papier chez Mignon, le papetier au coin de la rue, et soudain voici qu’il craque, le conjoint, tout bonnement, les coudes sur la caisse : J’en peux plus, cette lettre, c’est moi qui vais l’écrire, foi de Lola !

Dunque :

Chère Madame,

Croyez bien qu’il n’entre pas dans nos projets de perturber le cours de votre vie avec des requêtes inopportunes et intempestives, mais il se trouve que nous avons l’honneur de solliciter de votre très haute bienveillance un rendez-vous pour une affaire urgente, dont nous souhaiterions vous entretenir, le bail venant malheureusement à échéance sous très peu de temps. C’est pourquoi nous vous saurions infiniment gré de bien vouloir nous recevoir dans les jours prochains. D’ores et déjà, nous vous remercions très vivement d’avoir la gentillesse de prendre langue avec nous, dès que vous aurez connaissance de cette lettre.

C’est pas un peu ampoulé pour un rancard ? hasarda Scipion.

Signe là, dit Lola d’une voix à sens unique.

Et Scipion signa.

La Comtesse Rubano di Falabala n’habitait pas le quartier de Montmartre mais l’un de ceux situés sur la Rive Gauche en bordure du fleuve, plus chic et plus cher, où de hautes portes cochères fraîchement repeintes dans des tons vert sombre et parfois chocolat abritent de splendides hôtels particuliers restant difficilement accessibles au tout-venant, sauf aux gentlemen cambrioleurs et à ceux qui en détiennent les codes d’accès.

C’est ainsi qu’un vendredi d’été, aux alentours de dix-huit heures trente, Scipion et Lola tapèrent une première combinaison de chiffres et de lettres, poussèrent des battants lourds, traversèrent une large cour ornementée de buis en pot taillés en arrondi et de statues de pierre drapées dans des toges, dont le front pur était ceint d’une couronne de lauriers. Impressionnés par la beauté des lieux, ils grimpèrent d’un pas mal assuré une volée de marches blondes, composèrent un deuxième code tout aussi compliqué que le précédent, retinrent leur respiration, une voix leur répondit qu’on descendait leur ouvrir. Alors ils attendirent, le cœur battant, face à la porte antique au centre de laquelle était sculptée une tête de lion tenant dans sa gueule un gros anneau de fer forgé. Au bout de cinq longues minutes, il y eut un déclic et une dame d’un certain âge, dont les cheveux étaient rassemblés en un chignon argenté savamment roulé sur la nuque, vêtue d’une simple robe de soie grège à col montant et d’un boa de plumes blanches jeté sur les épaules, parut sur le seuil, aussitôt rejointe par une petite foule de miniatures jappeuses.

Oscar ! Jumper ! Rose d’Orient ! Anasthasia ! Youpi ! Pimprenelle ! Vilains petits voyous ! Aux pieds tout de suite ! fit la dame courroucée. Ces chiens ! Je suis la Comtesse Rubano di Falabala. Enchantée. Le personnel étant aux trente-cinq heures, je suis obligée d’ouvrir moi-même avant la relève du soir, de nos jours on ne trouve plus de domestiques, et disant cela elle leur tendit une senestre sévèrement baguée. Entrez je vous prie et ne faites pas attention à eux, ils sont insupportables quand j’ai de la visite !

Intimidés, Lola et Scipion pénétrèrent dans le hall dallé de marbre rose où tout n’était que luxe et volupté mais pas que calme, les aboiements des miniatures cassant les tympans, c’était pénible, vraiment.

Ils sont d’un pénible, remarqua la comtesse avec un étonnant à-propos en menant ses hôtes sous cinq mètres de plafond à travers le hall, vous n’avez pas idée !, soupira-t-elle en ouvrant une porte (située, depuis l’entrée, à main gauche d’un vaste escalier de marbre blanc) donnant sur une pièce claire aux tons pastel. Entrez dans le boudoir, installez-vous, et elle leur indiqua trois grands canapés recouverts de tissu vert pâle et garnis de petits coussins mauve et rose, qui étaient disposés en U autour d’une haute cheminée sur le manteau de laquelle trônait une collection de statuettes en pierre de savon représentant des personnages portant toutes sortes de charges, cages à oiseaux, paniers de poissons, ballots de linge, malles cerclées de cuivre.

Scipion et Lola s’assirent l’un à côté de l’autre en face de l’imposante cheminée, laissant le canapé de droite aux six aboyeurs qui se livrèrent à une série de figures tordantes avec les coussins, les grattant, les griffant, agaçant leurs dents dessus, frottant leurs truffes et se roulant dedans, allant même jusqu’à les prendre pour partenaires sexuels.

La comtesse marcha vers la horde en folie, lança sur un ton terrible : Maintenant les chiens ça suffit, sinon c’est à la S.P.A. ! et il faut croire que le chihuahua dispose malgré tout d’un cerveau, car la retombée de ces trois lettres donna lieu à un grand silence humide. Sur ce, elle alla se poser dignement sur le canapé libre, rectifia son chignon, croisa ses mains embijoutées sur ses genoux de soie et dit : Je vous écoute.

Voilà, commença Scipion d’une voix un peu troublée (c’était à lui de commencer, Lola s’étant acquittée de la lettre), ma femme et moi sommes si merveilleusement logés chez vous que nous voudrions occuper les lieux encore un certain temps et même nous agrandir un peu, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, bien sûr, je crois savoir que la petite pièce adjacente au studio est vide.

C’est exact, répondit la comtesse d’une voix posée, seulement je crois me souvenir qu’elle est insalubre. Elle est mansardée et pleine de salpêtre. Il faudrait la retaper mais je n’ai vraiment pas le temps de m’en occuper avec tous ces chiens, c’est l’inconvénient voyez-vous.

Nous comprenons fort bien, reprit Scipion en lançant un sourire stratégique à la meute aplatie, c’est pourquoi je vous propose de le faire, je n’ai pas de chien, je peux tout à fait m’en charger, si vous m’y autorisez.

Vous êtes bricoleur ? demanda la comtesse, soudain intéressée. Et que savez-vous faire, au juste ? Huiler les gonds ? Planter les choux ? Réparer les fuites ? Les joints ? Les parquets qui craquent ? Les dalles qui se descellent ? Les tuiles qui tombent ? (barrer la mention inutile)

Oui, déclara Scipion d’une voix intrépide, sous l’œil navré de Lola, je sais faire tout cela, je sais même changer les ampoules qui claquent.

C’est formidââââble, s’exclama la comtesse, il se pourrait fort que je fasse appel à vos services, disons même heure la semaine prochaine pour un coup de peinture dans la cuisine, j’adore les hommes qui relèvent des défis, feu mes six maris auraient pu en témoigner. En échange, vous occupez la pièce, vous faites ce que vous voulez avec, je vous la laisse gratis, tope-là !

Et ils topèrent.

Mais quelle pomme ! fulmina Lola en sortant de l’hôtel particulier, le seul homme qui serait assez bête pour retaper le château de Versailles à l’œil, c’est toi ! et elle shoota dans une canette jusqu’aux quais de Seine, pour faire passer sa méchante humeur.

à suivre…

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