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28 février 2007 3 28 /02 /février /2007 17:55

 

Désirée Boillot est revenue prendre un verre au café. Elle profite de l’affluence de ces derniers jours pour livrer à un public ébahi quelques nouvelles considérations sur ces héros modernes qui agrémentent notre quotidien.

 

Jaunie

par Désirée Boillot

Ce matin, il neigeait sur Paris, une neige mouillée, un peu collante et déjà grise, une de ces neiges qui vous dépayse, alors j’ai pensé à Jaunie. Je pense très souvent à lui, ces temps-ci. Jaunie mon chéri, mon idole, sous la neige lui aussi, seul en Fuisse (excusez-moi, j’ai un cheveu sur la langue). Le pauvre. Je sais, ce n’est pas tout à fait le bon terme, mais enfin tout de même, Jaunie, mon pauvre chéri puni chez d’obscurs fabricants de ganache, sous des tourbillons de neige dans cette bicoque sur deux étages, même pas chauffée, et puis même pas finie… Tout le mal qu’on lui a fait ! Pour un peu, j’aurais versé une larme, toute à ma représentation de Jaunie drapé dans son vaste manteau de fourrure, tenant une bougie et surveillant les ouvriers en train de poser une balustrade exotique au deuxième étage de sa bicoque, si un crétin n’avait interrompu mon rêve en m’écrasant sauvagement les pieds avec ses godasses pleines de boue aux abords du métro.

Du coup, j’ai descendu les escaliers, clopin-clopant, tandis que la neige féroce continuait ses odieux tourbillons rien que pour m’embêter, et ma tristesse est repartie dans la correspondance à Saint-Lazare. Pauvre Jaunie, seul, tout là-bas là-bas, là où, bien sûr, aucun inspecteur Dézimpo ne guette jamais derrière une vache (alors qu’en France ils sont partout, en embuscade derrière les réverbères) mais où il neige souvent, atrocement souvent et où il fait froid, Jaunie seul dans la nuit, devant fuir la mère patrie en catimini, on avait déjà eu la fuite à Varennes il y a deux siècles, ça suffisait, on allait pas avoir la fuite à Gchhtââât, tout de même.

Ben si. On l’a eu. Après Varennes, Gchhtââât. Deux siècles et quelques poussières plus tard. Et pan dans l’os.

Alors je vous en prie, à ce stade faites un petit effort, il le faut, pour Jaunie qui tient l’affiche depuis plusieurs décennies, même que les Anglais et les Australiens, ils ont qu’à aller se rhabiller avec leurs Bitteuls et leurs Eïcidici, parce que d’abord, notre héros il est grand, irremplaçable, et même qu’il gagne des millions d’euros, donc attention, la situation est suffisamment pénible pour que vous n’alliez pas dire bêtement : " Jaunie, il est barré à Gueustade ", comme le premier plouc interrogé dans la rue, s’il vous plaît. On dit : " Jaunie, il est à Gchhtââât ", en se servant du G comme d’un trampoline, Gchhtââât, en étirant bien sur le A final, comme le vrai bon et brave Fuisse (maudit cheveu) que Jaunie s’apprête à devenir, s’il résiste à l’envie pressante de rentrer au pays à tout bout de champ pour rallumer le feu dans une salle de concert, juste avant d’entonner son petit Bésic deux miiiiiiiillle ! tellement rocailleux et mâle et titillant qu’il précipite la France entière dans les boutiques éponymes, pour avoir les lunettes à Jaunie, justement.

Quelle n’a pas été ma peine en apprenant que Jaunie, il allait pâturer du côté de la Fuisse ! Atroce, je peux témoigner. J’ai maudit la terre entière et crié à la nuit : Pourquoi Jaunie il s’en va ? Pourquoi Jaunie il nous quitte pour la Fuisse ? Pourquoi, pourquoi ? Encore ce matin, je me perdais en conjectures en pataugeant dans la gadoue, alors que je n’étais plus qu’à quelques mètres de mon bureau, quand soudain, le flash. Mais enfin comment n’avais-je pas fait ce rapprochement évident, fulgurant, qui crevait mes yeux de myope ? Comment avais-je pu passer ainsi à côté de l’évidence ? Si Jaunie, il mettait les bouts, c’était la faute aux binocles qu’il chausse audacieusement quand vingt heures trente ont sonné à tous les clochers de France et ce jusqu’à Saint Pez-le-Gaz, et qui lui avaient permis de lire correctement sa feuille de contribuable, même les petits caractères des astérisques au bas des pages, qu’on zappe si facilement en temps normal.

D’où l’exil à Gchhtââât.

Peut-être est-il nécessaire de rappeler ici, pour les néophytes qui connaissent mal les pays où il neige, que Gchhtââât est un petit village à l’usage des gens qui sont prêts à s’emmerder comme des rats six mois par an pour que l’Etat, il cesse enfin de s’en mettre plein les fouilles sur leur dos de travailleur harassé par le labeur.

A l’heure où je rédige ces lignes, j’ignore si Jaunie continuera de défendre les intérêts de Bésic 2000 lorsque la balustrade du deuxième étage de sa bicoque sera définitivement posée, mais je peux vous dire une chose : jamais je ne pénétrerai dans une boutique Bésic 2000, - dussé-je continuer de tendre la main aux réverbères que je persiste à prendre pour ma tante -, pourvu que Jaunie, il revienne vite.

C’est vrai ça, fais pas le con, reviens Jaunie, au lieu d’arrêter le temps toutes les deux minutes à ta tic-tac à quartz en t’empiffrant de chocolats (fuisses), tu peux pas t’enterrer comme ça au milieu des vaches, souviens-toi qu’on a tous en nous quelque chose de.

De qui, déjà ?

 

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26 février 2007 1 26 /02 /février /2007 18:35

 

Françoise Guérin est une voisine fort sympathique qui aime gambader dans les champs de mots et combiner en clair comme en filigrane toutes sortes d’écrits qui nous convient à des voyages singuliers, invraisemblables, équivoques, des destinations parallèles bordés par la grâce ou la détresse, habités par l’embarras, la nervosité et le plaisir, des périples riches en expériences du délice et du désastre. Ses mots au goût d’amande amère ou de pluie d’été, drôles ou chagrins, apportent la promesse de l’émotion et de l’enthousiasme ; petits bonheurs de l’écriture qui ne laissent jamais le lecteur indifférent.

Françoise est notre invitée et c’est une bonne nouvelle pour les gens de passage au café.

 

Métaphore

par Françoise Guérin

 

Elle file la métaphore comme d’autres enfilent un bas. Une jolie métaphore couleur chair, bien tendue sur le mollet.

Métaphore boulevardière qui claque du talon, métaphore aguicheuse qui ne sait plus son nom. Métaphore, piètre travestissement du désir.

Jusque là, pas un pli, jour après jour. Elle parle. Elle croit dire. Fidélité des mots qui glissent, lisses, dans les replis charnus du silence. Ce silence les contient, lui qui sait qu’il ne sait rien, elle qui ne veut pas savoir qu’elle sait. Elle file la métaphore, de tout son être, de tous ces mots qui servent à ne pas dire. La phrase, ourlée, tissée serré, ne laisse rien échapper. Jusqu’au jour…

Un accroc. Le bas file. Escarmouche de mots, coup d’ongle incisif dans la maille phrasée du discours, brillant, poli, maîtrisé. La métaphore déchirée laisse entrevoir l’indicible. Les mots s’en échappent, ahuris, embarrassés. Certains n’ont jamais vu la lumière.

Elle se tait. Contemple la béance, le trou où s’origine l’impensable. Le manque.

Bonheur et châtiment du sens.

 

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24 février 2007 6 24 /02 /février /2007 15:45

 

Une fois à Rome, on peut tenter de s’approcher un peu de ce qui se joue quotidiennement en Italie. Même en février la vie y est proprement intempestive. Les vieilles pierres ne font pas que perpétuer les voix du passé, elles créent un espace de conversation qui donne au visiteur un incroyable pouvoir de re-création et quand l’actualité* vient de surcroît bousculer les anges, agiter les confessionnaux, malmener les Augustes et les Prétoriens, on se dit qu’il est bon de braver le temps qui passe comme le temps qu’il fait, de troubler la rectitude morale et de se laisser aller à rêver dans la douce lumière des thermes ou de s’égarer du côté de quelques boutiques obscures.

* De quelques jours où il fut question d’une loi tapageuse sur l’union civile, d’une occupation de G.I., de la démission de Romano Prodi, de jeux du cirque entre légions Lyonnaises et Romaines.

 

Ceci étant, Jean-Claude Touray, le facétieux, s’est rendu en son temps sur ces terres fantasques et il en a ramené un petit récit haut en couleurs.

 

Parlo Italiano

 

Norbert transpire. Il tourne et retourne sur lui-même sans parvenir à s’endormir dans ce lit d’hôtel du Trastevere où il est couché à côté de Martine qui roupille à poings fermés. Pas de climatisation malgré la chaleur, juste au plafond une grande hélice à trois pales qui brasse l’air en dérangeant les mouches avec un bruit d’hélicoptère; c’est comme le début d’" Apocalypse Now " mais en plus bruyant à cause des Vespas qui pétaradent encore (ou déjà…) à 3 heures du matin. " No comprendo… Pourquoi j’dors pas ? " se dit Norbert, qui est peu sensible au bruit et dont le sommeil de plomb est légendaire. C’est tout simplement qu’en plus de la chaleur et du bruit, il est surexcité : voici une vingtaine d’heures, le top départ du voyage à Rome était lancé et six heures plus tard débutait l’immersion linguistique qui allait le booster très fort pour apprendre l’Italien.

" C’est par immersion qu’un adulte progresse le plus vite pour apprendre une langue étrangère, au moins dans les débuts " songe Norbert. Brutal mais efficace : vous êtes parachuté quelque part, à Rome par exemple, sans rations de survie ni sacs de couchage et démerdez-vous…Vous ignorez la langue…Vous allez voir que, simplement pour vous nourrir, vous apprendrez les indispensables notions d’italien en moins de temps qu’il n’en faut pour savoir préparer honorablement les spaghettis " alla romana ". Du moins c’est ce qu’y disent dans Sélection. Et c’est exactement ce que Norbert vient de vivre avec Martine.

L’immersion linguistique a débuté dès l’entrée dans l’avion d’Al Italia.  " Heureusement qu’ils utilisent comme nous l’alphabet normal et les chiffres musulmans, j’ai tout de suite trouvé nos places " murmure Norbert en se tournant sur le côté. Il a un peu de mal à digérer " Je dois l’avouer, je suis ravi de ce voyage. Pourtant, quand Martine a commencé à me dire qu’elle voulait aller à Rome, pour voir le pape et visiter, au Vatican, le musée de la papamobile, je l’ai traitée de " petite cloche de Pâques en chocolat ". J’ai même ajouté avec humour qu’elle ne verrait jamais aussi bien le Saint-Père que dans le clip " Urbi et Orbi " qui passe tous les ans à la télé. Mais Martine insistait, elle ne voulait pas en démordre… Et le jour où j’ai fait le quinté dans l’ordre et que 11.876 euros me sont tombés du ciel, elle a prétendu que c’était grâce à ses prières…Difficile dans ces conditions de ne pas faire le déplacement qu’elle souhaitait. Ce serait pour moi l’occasion de visiter l’hippodrome du Vatican… ". Et hop ! Voila Norbert à nouveau sur le ventre. Il est en pleine transpiration.

" Imbécile que j’étais, je ne me rendais pas compte que huit jours de vacances romaines étaient l’occasion d’apprendre l’italien. Signe du destin, je n’avais emporté aucun guide ou ouvrage de référence en français (ni en aucune autre langue d’ailleurs). Aucun dictionnaire. Une situation idéale pour directement penser en italien sans être gêné par le français. Avec Martine, pendant tout le séjour, nous ne communiquerons plus que dans la langue de Garibaldi, en utilisant en cas d’urgence le langage des gestes. Par exemple le doigt dans l’œil ou le toc toc de l’index bien tendu sur la tempe… "

Le hasard (ou Dieu le père selon Martine) a bien fait les choses pour Norbert : apprendre l’italien, c’est l’occasion inattendue d’une utilisation intelligente de ce qui lui reste de son " option latin " du BEPC, ce brevet d’études du premier cycle qui est son seul diplôme… Maintenant qu’il a sa retraite d’employé municipal, Norbert a du temps pour la culture. Jusqu’à ce voyage improvisé, il n’avait pas choisi sa branche et il avait tâté d’un peu de tout : poésie, tiercé, concours canins, mots fléchés. Il est à présent en pleine jubilation, il a trouvé une noble occupation, il va commencer l’apprentissage d’une langue latine moderne. Un bon choix l’italien : plus utile que le catalan ou le roumain, moins guttural que l’espagnol et plus chantant que le portugais. La langue de l’opéra et des pâtes fraiches. Il se rend compte qu’il en a toujours eu envie : c’est la bonne manière de valoriser ses acquis du collège tout en luttant contre la prééminence de l’anglais. A ses côtés, Martine dort en rêvant à une entrevue en tête à tête avec le souverain pontife. Elle a le sourire sensuel d’une femme comblée.

Norbert se repasse mentalement la vidéo de ses débuts de polyglotte : c’était il y a un peu plus de douze heures, peu après qu’ils aient trouvé leur place dans l’avion ; Norbert avait lu, sur le dossier du fauteuil placé devant lui une inscription. Il ressentit comme un choc sentimental, tant ça ressemblait à du latin. Il éprouva une grosse bouffée de nostalgie pour ces versions faites en classe " à mains nues " sans dico, avec pour seules armes son intelligence et sa mémoire. Devant lui, à traduire, la fascinante inscription : " GIUBOTTO SALVAGENTE SOTTO LA PROPRIA POLTRONA " (1). Aussitôt Norbert cogite : Giubotto Salvagente c’est le nom d’un homme, probablement un rital typique ; la propria c’est la proprio, la propriétaire. En traduisant mot à mot on obtient : " Giubotto Salvagente saute la propriétaire poltronne ". Manifestement un avertissement destiné aux voyageuses craintives et riches : une façon de leur dire : " Méfiez-vous des dragueurs à l’italienne ". Et un peu inquiet, Norbert fit aussitôt part de sa traduction à Martine qui haussa les épaules. Entre Fiumicino, l’aéroport, et Termini la gare centrale des trains (Terminus tout le monde descend), Norbert commença dans le rapide " Da Vinci " l’immersion auditive dans la langue locale en familiarisant son oreille avec les accents chantants des indigènes. L’apprentissage du vocabulaire débuta un peu plus tard dans la galerie marchande de la gare par une cueillette de mots et d’expressions qu’il connaissait sans le savoir comme: " carta di credito ", " banca ", ou dont il pouvait deviner le sens facilement. " Gatto " (gâteau), ou encore " piccolo " (l’équivalent du français " picole " mais, va savoir pourquoi, avec redoublement du c).

Au restaurant (ristorante), Norbert savait déjà comment demander la carte (carta). Il commanda des spaghettis (spaghetti) pour Martine, des gnocchis (gnocchi) pour lui et ils burent de la bière (birra) et de l’eau qui frisait (acqua frizzante). Enormes et rapides progrès dans l’expression orale en une soirée. Une exception : impossible de se faire comprendre du chauffeur de taxi qui les conduisit à leur hôtel, à croire qu’il ne parlait pas l’italien. Il avait l’air de se fâcher quand Norbert lui parlait par gestes ; heureusement, il s’exprimait en français et il fallut pendant quelques minutes interrompre l’immersion.

" Je n’ai toujours pas sommeil " constate Norbert en faisant sur le lit un véritable saut de carpe. "  L’immersion linguistique est un super coup de pied au derrière pour vous motiver. Mais il faudra poursuivre en France, ne pas perdre l’élan de la vitesse acquise et, sitôt rentrés, acheter des méthodes, des manuels, des grammaires, des dictionnaires, des DVD. Bref tout le matériel pédagogique pour travailler l’Italien 5 à 6 heures par jour et posséder après trois mois d’efforts environ la langue de Dante et de Berlusconi. Sinon le jeu n’en vaut pas la chandelle ".

Il aura alors la faculté d’écouter radio-Vatican en version originale, de parier au totocalcio (ce qui le changera du quinté plus) et de lire les petites annonces du " Corriere della sera ". Sur cette vigoureuse décision Norbert s’endort enfin malgré les longs hululements à la Tarzan d’une ambulance qui passe. Malgré aussi un irritant détail : " trattoria ", un mot qui signifie manifestement " trottoir ", est utilisé sur certaines enseignes de restaurants…pourquoi ?

1) Le gilet de sauvetage est sous votre siège

Jean-Claude Touray

 

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17 février 2007 6 17 /02 /février /2007 17:20

 

Le café sera fermé jusqu'au 23 février 2007 ; l'occasion de lire ou relire chroniques et nouvelles passées ou de jouer dans la cour des commentaires. A bientôt.

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15 février 2007 4 15 /02 /février /2007 21:48

  

 par Patrick Essel

 

C'était la fin des vacances, paraît-il. Le temps doux et pluvieux annonçait une rentrée des plus académique. Comme tous les matins, le paysage se peuplait de choses, de créatures, de bruits et de lumières parfaitement hétéroclites.

A première vue, la fille qui était posté aux feux sur le trottoir d'en face ne me regardait pas sans arrière-pensée. Ses courbes m'étaient familières : pleines, profondes, vigoureuses et parfaitement étincelantes, découpées comme il se devait avec le seul souci de taper dans l'œil du quidam. Le passage au vert provoquait chez elle une infinité de balancements et de déhanchements qui, vus de mon côté, donnaient l'impression d'une grande turbulence intérieure. Cela dit, au retour du rouge, elle jetait instantanément un voile sur ses émotions et protégeait sa jolie frimousse d'une mimique boudeuse.

Moi, j'occupais mon trottoir depuis un sacré bon bout de temps déjà, pieds nus et mains dans les poches, l'air absorbé par la circulation. Je suis petit, voire un peu tassé, plutôt rougeaud, chauve de naissance et sujet à l'embonpoint. Ma vie est assez convenue, un peu trop confinée aux dires de certains mais quoi, la place est correcte et de nos jours une bonne situation n'est pas si facile à trouver. Bien sûr, comme tout un chacun, il m'arrive de frissonner quand passent sur ma route des personnalités à l'allure athlétique et hautes en couleurs, je n'en conçois aucune animosité, bien au contraire.

Mais voilà qu'avec cette fille-là en face, je me surprenais à penser à mes mains restées libres depuis des lustres, sans véritables complicités, plus souvent moites que frétillantes. Et voilà que je me mettais à avoir des manières d'étourdis, des grimaces bêtes et stupides, des allures de minot pour tout dire. J'avais l'impression d’être bancal et de cristalliser sur moi tous les regards. C'était d'autant plus troublant que d'ordinaire à la vue d'une belle inconnue, je m'arrangeais pour sombrer dans un irréprochable anonymat.

C'est elle qui m'a sauvé la mise en faisant le premier pas. En fait, elle a grillé l’orange et quelques pas lui ont suffit pour traverser la chaussée et me rejoindre. Moi, vu mon inertie, je n’aurais jamais réussi un tel tour de force. Enfin bon, elle s'est plantée devant moi, les mains sur les hanches et a prétendu que oui, oui, oui, elle était bien celle que je cherchais. Le ton était magistral, presque sentencieux. J'ai rigolé jaune. Pendant qu'elle traversait la chaussée, je m'étais dit tour à tour : "Aïe, pourvu qu'elle ne s’imagine pas, qu’elle se reprenne, qu’elle bifurque, pourvu qu'elle ne remarque pas mes balafres…". Je ne suis pas très fort en conversation et je savais que lorsqu'elle serait là, sur mon trottoir, toute proche, presque mitoyenne, je ne serais capable que d'un vilain petit sourire artificiel.

"Ne me dites pas que je me trompe" a-t-elle ajouté, un brin soupçonneuse. Ses traits étaient plus charnus que je ne l'avais crû. Plus équivoques aussi. C'est fou comme je me suis senti tout de suite moins lourd, moins épais, plus important. On s'est regardé un moment comme des chiens de faïence, en coin, en biais, de travers, par dessus, par dessous puis sans que je ne m'explique pourquoi, je l'ai prise par la taille et j'ai dit comme ça : "Allez, traîne pas !" On a filé droit devant à une allure folle. Tout le reste du jour et toute la nuit. On s'est hasardé aux quatre coins de la ville contemplant l'effervescence du monde à chaque carrefours, chaque intersections, bifurcations, bretelles et autres ronds-points. Au petit matin, elle s'est blottie contre moi, vraiment contre, comme des conjoints. J'en ai eu la raison toute retournée. C'était de loin la meilleure chose qui ne m'était arrivée de toute mon existence. Tout à coup, elle m'a serré la main avec une intensité inouïe, presque effrayante. Elle a répété plusieurs fois que nous n'aurions jamais d'enfant. Jamais. Il n'y avait aucune amertume dans sa voix, juste peut-être un peu de désenchantement. J'ai fait le malin et j'ai dit : "T'inquiète !". Elle m'a regardé avec un tendre sourire de connivence puis peu à peu elle a perdu de sa substance et ses beaux yeux pétillants se sont doucement engourdis sur un petit bout de route, un tout petit bout de route fraîchement bitumée avec un virage qui donnait sur une école maternelle.

 

 

 

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14 février 2007 3 14 /02 /février /2007 16:28

par Jean-Claude Touray

Odeurs de sel et de varech

D'algues mouillées, de sable sec.

Il y a des laisses de haute-mer,

De petits cailloux ronds de toutes les couleurs

Des piquants d'oursin qui blessent les chairs

Et les cœurs.

Des coquillages blancs,

Usés par le sable et les vagues.

Des clams

Doux comme la peau d'une femme.

Odalisque sans vasque

Etendue près de l'eau,

Sereine comme un marbre antique,

Eclatante et fantasque,

Elle sourit pour la photo.

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11 février 2007 7 11 /02 /février /2007 15:10

 

C’est parti pour le concours de nouvelles Calipso 2007. Un nouveau règlement a été établi afin de tenir compte des remarques et commentaires adressés aux organisateurs lors du précédent concours. Une rubrique " Concours de nouvelles 2007 " est crée sur ce site pour informer, commenter, questionner et suivre l’évolution du concours.

Nous vous souhaitons une agréable et passionnante participation.

Pour cette sixième édition le thème proposé aux auteurs est :

" Sens dessus dessous "

Ce concours de nouvelles est ouvert à tous, sans distinction d'âge, de nationalité ou de résidence.

Les textes soumis pourront avoir fait l’objet d’une publication préalable sous quelque forme que ce soit.
Les œuvres seront appréciées par un jury de cinq membres composé de personnalités choisies par l’association Calipso en fonction de leur talent pour l’écriture ou la lecture.

Le jury procédera à une première sélection de 10 nouvelles dont les titres seront publiés sur le site calipso en septembre 2007.

Dans un second temps, trois grands prix seront attribués dotés de 250 € pour le premier, 150 € pour le second et 100 € pour le troisième. Les 10 nouvelles distinguées seront publiées sous forme de recueil au cours du premier trimestre 2008. Elles seront également présentées au public et mises en voix par des comédiens accompagnés de musiciens lors d’une soirée " Lire en fête " en octobre 2007.

Les auteurs primés s’engagent à ne pas réclamer de droits d’auteur autre que le prix reçu à l’occasion de ce concours.

Le jury et l’association calipso se réservent le droit, d’annuler le concours si la participation était jugée trop faible. En ce cas, les droits de participation et les manuscrits seraient renvoyés à leurs auteurs aux frais de l’association Calipso.

pour participer

Le nombre des envois est limité à deux œuvres par auteur. Chaque texte présenté sera rédigé en français, dactylographié, agrafé et expédié en cinq exemplaires. Ni le nom, ni l'adresse de l'auteur ne devront être portés sur le ou les textes. Par contre, sur chaque feuille du texte, en haut à droite, l'auteur portera un code de deux lettres et deux chiffres au choix (exemple : AB/10).

Ces deux lettres et ces deux chiffres seront reproduits sur une enveloppe fermée à l’intérieur de laquelle figureront le nom, l'adresse, le téléphone et l’adresse courriel de l'auteur ainsi que le titre du texte (ou les titres, un code par titre).

Les droits de participation sont fixés à 5 Euros par texte. (chèque libellé à l’ordre de Calipso).

Deux enveloppes timbrées à l’adresse de l’auteur devront également être jointes à l’envoi. (accusé de réception et envoi du palmarès)

La date limite de réception des œuvres est fixée au 16 juillet 2007.

Association Calipso – 35 rue du Rocher 38120 Le Fontanil, France Courriel : assocalipso@free.fr

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9 février 2007 5 09 /02 /février /2007 18:47

 

Une chronique à la petite semaine de quelques judicieuses fabriques de littérature.

à cliquer :

Chez Stéphane Laurent

Fin d’aventure pour le blog du même nom avec un ultime petit noir consacré à Frédéric Boudet

Sur Rien que du vent… 

Le retour de Stéphane Laurent avec un laboratoire consacré à l’exploration littéraire.

Sur Mot Compte Double

Des dédicaces tous azimuts en l’honneur de Françoise Guérin et de son recueil de nouvelles " Mot compte double " publié aux éditions La Quadrature.

Chez Emmanuelle Urien

Le véridique avis de naissance du petit dernier publié chez Gallimard " La Collecte des Monstres "

Chez Jean Calbrix

Un nouveau site en chantier avec déjà quelques belles salles à visiter.

Chez Frédéric Boudet

Des propos tout neufs sur l’Invisible qui remuent les sens et les méninges.

Sur Bonnes nouvelles

Un concours d’idées de courts métrages sur le thème " Scénarios contre les discriminations "

 

La dépêche expéditive de chez Reuters

En Thaïlande, les hauts fonctionnaires ne peuvent mourir sans avoir demandé à leur souverain l’autorisation de quitter ce monde. Les futurs défunts doivent adresser leur demande part écrit au monarque. Leur lettre, accompagnée d’un bouquet de fleurs et de bâtons d’encens, doit être envoyée au préalable au responsable du protocole. Jusqu’à ce jour, sa majesté n’a jamais refusé son autorisation.

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7 février 2007 3 07 /02 /février /2007 23:55

 

Lorsque l’on veut parler d’une chose, disons préoccupante, et que l’on ne parvient pas à se décider à la rendre entendable par la parole, on se réfugie parfois du côté du l’écrit avec ce qu’il suppose comme prédisposition à faire-part. Pour le porteur des mots, l’excitation qu’induit l’écrit peut compter double : à la fois délivrance d’un secret par l’évocation de la chose en question et effet de brouillage de celle-ci par le recours à des arrangements esthétiques originaux ou tout au moins par l’emploi d’une langue autre, étrangère qui provoque un sentiment d’irréalité. Un écrit qui en quelque sorte se laisserait aller à livrer une pensée désirante en souhaitant qu’elle reste lettre morte.

A la question : qu’est-ce que ça raconte ? le lecteur peut tout autant entrer dans le dispositif de l’auteur en y ralliant sa propre curiosité et trouver une source inespérée de fantasmes, comme il peut être tenté de répondre ça ne veut rien dire du fait d’une certaine candeur, d’une étroitesse d’esprit ou bien sûr d’une trop grande affinité avec cette chose qui l’atteint de plein fouet et qu’il ne peut contenir qu’au prix d’un déplacement incessant de son attention.

Ce jeu de l’endroit et de l’envers se retrouve finement mis en scène dans le roman de Georges Flipo " Le vertige des auteurs ". A commencer par le vertige, cet éblouissement de la pensée fait de désirs impatients et de mystérieuses aspirations pour lesquels des hommes sont prêts à tous les renversements, à toutes les métamorphoses. C’est dans cette spirale de transmutations qu’est entraîné le héros de cette histoire dès lors où, lâché par ses pairs, il entreprend de partir à la conquête de ses rêves de vie. En l’occurrence, être un écrivain, quelqu’un hors du commun, puissant, envoûtant, doté de mystérieux pouvoirs, quelqu’un capable de résister au temps, d’être statufié. Seulement pour être viable, l’entreprise d’écriture réclame une certaine rupture avec le rêve - ne serait-ce que pour profiter de l’expérience singulière du réveil - pour ne se laisser porter que par le souffle des Muses avec ce que cela implique comme nœuds, trébuchements, désordres et altérations.

Ici, le héros de cette expédition romanesque n’en a cure, son œuvre rêvée se construit sur sa seule foi et, occultant le fait que l’écriture se nourrit de rêveries, d’écoute flottante, d’échafaudages instables et de renoncements, il ne parvient à s’engager que du côté des apparences. Il n’a d’autre exigence que de vouloir jouir au plus vite de ses fantasmes, faire ça dans un monde où la chose lui appartiendrait totalement et exclusivement. Seulement voilà, ce monde-là reste désespérément vide d’une histoire à partager et ne subsiste en définitive qu’un pauvre hère virevoltant et s’enflammant devant son seul miroir. Au passage, les dessous du milieu sont férocement exposés à la vindicte des laissés-pour-compte et l’on pourrait se dire que tout cela est affligeant s’il n’était question que de griefs et de rancunes mais Georges Flipo parvient à entraîner le lecteur - auteur en devenir - dans une ronde qui l’intéresse et le préoccupe suffisamment pour qu’il puisse dépasser la répulsion et se sentir éclairé sur ses propres turpitudes.

Un voyage déchirant au cœur de l’espérance littéraire.

Le vertige des auteurs de Georges Flipo aux Editions Le Castor Astral, 273 pages, 15 €

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5 février 2007 1 05 /02 /février /2007 17:59

 

Habituée des podiums dans les concours de nouvelles (premier prix au dernier calipso), Désirée Boillot rebondit sur le registre des dépêches expéditives publiées régulièrement dans la série Blogcity et nous livre ici, à partir d’une brève repérée dernièrement sur de multiples médias, quelques considérations sur ces héros modernes qui agrémentent notre quotidien.

 

On nous dit tout, on nous cache rien

 

Par Désirée Boillot

Jusqu’à présent, j’ai toujours tenu Georges Clounie en très haute estime. Il a beaucoup de qualités, Georges Clounie, et puis il est très beau. Une sorte de clone de Cary Grant. Même prestance, même carrure, même allure. Je regrette un peu qu’il se soit rasé la moustache, je le trouvais encore plus sexy à ses débuts, plus naturel, avec ses belles dents bien blanches et son début de barbiche qui lui mange agréablement le bas du menton, en première page de Wikipédia. Et puis il est à peine plus âgé que moi. Un type beau et célèbre qui a mon âge, personnellement, ça me botte, ça me donne de l’allant, ça me file la pêche, quoi. Le matin, je me dis : du nerf, Georges Clounie a ton âge, et tout de suite ça va mieux, des fois que je le rencontrerais au rayon des surgelés du Monoprix, j’aurais tout de suite quelque chose d’intéressant à lui dire.

Mais voilà : ces derniers mois, je lui trouvais une sale petite mine, à Georges Clounie. Un je ne sais quoi de chiffonné dans le regard, quelque chose d’une tristesse rentrée, presque crépusculaire, qui me filait le bourdon dès que je passais devant le panneau où on le voit sur un fond noir, le front soucieux, consterné derrière une tasse de café. J’ai pensé que c’était encore un coup de Fépresto, qui utilise son visage de beau ténébreux affligé dans le seul but d’inonder un peu plus le marché de ces mignonnes petites capsules qui font un vrai café (bien meilleur que celui de Grand-mère), et dont le goût de velours emmène le premier venu dans des paradis rutilants et sublimes, et non au fin fond d’un bouge crasseux qui sert du jus de chaussettes à des consommateurs fauchés.

Mais revenons à notre affiche : De le voir tirant ainsi la tronche, j’en étais triste pour lui. Un soir, décidée à percer le mystère, je me suis approchée du panneau publicitaire. Tout près. Aussi près que possible… Nos visages se touchaient presque. S’il n’y avait eu cette malencontreuse plaque de verre entre nous, je lui aurais roulé une pelle d’enfer, à Georges Clounie, ni vu ni connu, histoire de le dérider, avant de me fondre dans la foule anonyme de Miromesnil... Mais voilà que sur la trame des points, derrière le rictus figé, j’ai soudain compris que l’acteur n’en menait pas large. Qu’il avait de vrais gros soucis. Que quelque chose d’épouvantable était survenu dans sa vie. J’ai pensé : Sa villa sur les hauteurs de Hollywood a brûlé. Non. Pas celle de Hollywood, celle du lac de Côme, voilà. Il ne reste plus rien de celle du lac de Côme. Ou alors il a des problèmes de couple. Quand on forme un couple, on a toujours des problèmes de couple, l’un n’allant pas sans l’autre, et réciproquement. Ou bien des problèmes de santé. Otite carabinée ou orchite aiguë ? J’ai repris mon chemin vers le métro, l’esprit accaparé, attrapé le gratuit qu’on me fourrait dans les mains, avec l’intention de chasser l’orchite de Georges Clounie loin de moi quand, en ouvrant sur le quai le léger journal, j’ai lu en page 10 : Pax, le porc vietnamien de Georges Clounie, est mort à l’âge de dix-neuf ans, ce matin, des suites d’une longue maladie.

Suivait tout un tas de détails d’une étonnante précision sur la très profonde affection que Georges Clounie avait pour son cochon, (et dont il avait réussi à obtenir la garde, après avoir quitté une actrice dont le nom m’échappe) sur l’insoutenable cruauté de la vie, sur son immense chagrin de star qui a perdu son compagnon de tous les instants.

Une fois dans la rame, d’effroyables turpitudes se sont mises à danser devant mes yeux, alors que le métro s’enfonçait toujours plus loin dans le tunnel taggué d’obscénités. Je voyais Max et Georges dans d’étranges positions, emmêlés l’un à l’autre, frottant leurs cuirs dans un corps à corps torride, tantôt se roulant dans la fange, dans des draps douteux, tantôt se livrant à des cochonneries que la nétiquette réprouverait sur l’heure, si d’aventure me prenait subitement l’envie de parler de grouing, grouing et de youplaboum violemment zoophiles.

En rentrant chez moi, je n’ai pas pu éviter le visage de Georges Clounie, toujours aussi consterné devant sa capsule de café, qui occupait à lui seul un nouveau panneau publicitaire.

Mais au lieu de m’approcher de l’affiche pour percer à jour sa peine secrète, je suis passée, la tête haute, dans un grand mouvement d’épaules dédaigneuses.

Sans les médias, qui pourrait nous informer sur l’essentiel ?

 

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