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17 octobre 2007 3 17 /10 /octobre /2007 17:40

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Demain, nous irons (2/2)  

par Roland Goeller

   

Mon père racontait. A cette époque, les champs de pommes de terre étaient infestés de doryphores. Dès le mois de mai. C’était en 1942. L’indication des années est importante, d’une année sur l’autre, les drapeaux aux frontons des mairies n’étaient plus les mêmes et les souvenirs changent de registre et de langue. Les après-midi, des classes entières d’écoliers s’en allaient aux champs, ramasser les doryphores. Les soldats français avaient été arrêtés depuis longtemps. A l’école, dans la province annexée, des instituteurs indéfinis parlaient la langue de l’indéfini. Elle était redevenue la langue officielle. Assez rapidement, tous l’adoptèrent, comme si personne n’avait oublié. Il est vrai que nombre d’entre eux étaient nés au siècle dernier. Les souvenirs de cette époque restaient vivaces. L’indéfini fut en usage entre 1871 et 1918. L’indication des années est importante, on ne le répétera jamais assez. D’une année sur l’autre, les drapeaux aux frontons des mairies n’étaient plus les mêmes. Celui qui flottait depuis deux ans comportait en son milieu une croix gammée à quatre branches ; l’indéfini en conserva une disgrâce éternelle.

Depuis 1919, en application d’un article du traité de Versailles, les gens avaient remisé la langue dans leur poche. Le patois avait servi à cela, garder la langue indéfinie dans la poche sans qu’elle ne dessèche. Le patois, c’est la langue concentrée sur le minimal, sa ration de survie. Sans le patois, impossible de ranger le bois dans la remise, les pommes de terre dans la cave, les prunes séchées dans le grenier. Sans le patois, impossible d’interpréter le vol bas des hirondelles, les regards des jeunes filles à la sortie de la messe, la caresse de la mort sur les traits des vieillards. La guerre rôdait mais les champs de bataille étaient loin. Les champs de pomme de terre, eux, succombaient aux doryphores. En rangs par deux, les élèves quittaient la cour de l’école et s’en allaient aux champs. Pour se donner du courage, ils entonnaient des chants indéfinis. Ils n’en connaissaient pas d’autres. Les instituteurs battaient la mesure. Mon père racontait.

Sur le tard, mon grand-père Joseph devint hémiplégique. Il ne parvenait plus à lever son bras gauche. Le côté gauche de sa bouche était affaissé. Pour marcher, il s’aidait d’une canne. Monter les escaliers lui devint un supplice. A chaque marche, il prenait son élan pour la suivante. Descendre les escaliers comportait une difficulté supplémentaire, son bras resté valide n’étant pas du côté de la rampe. Joseph avait été blessé à la guerre, à plusieurs reprises. Je suis resté longtemps dans l’ignorance de quelle guerre il s’agissait. Par la suite, Joseph était allé régulièrement aux cérémonies commémoratives du 11 novembre. J’en déduisis qu’il s’agissait de la guerre de 14, la der des ders. Joseph avait été un poilu. Il est décédé quelques années après son attaque. Selon les médecins, ses blessures auraient écourté sa vie. A partir de ce moment là, grand-mère s’est assise parmi nous à table, midi et soir, presque tous les jours.

Lorsque mon père partait aux champs, ramasser les doryphores, mon grand-père Joseph travaillait à la manufacture. Le pays était en guerre, toutes les manufactures réquisitionnées par l’effort de guerre. Mon père était trop jeune pour faire la guerre, il ramassait les doryphores. Mais les jeunes adultes partirent. Par l’effet des règles d’affectation militaire, ils combattirent sur le front est, comme fit mon grand-père une génération plus tôt. Les alsaciens combattent toujours sur le front est. Willy et ses trois frères furent pris dans la nasse de Stalingrad, seul Willy en a réchappé. De retour chez lui, par dépit, il abandonna l’usage de la langue indéfinie, dans laquelle il avait reçu les ordres pour consolider des barricades que les troupes rouges prirent d’assaut. La langue fut abandonnée au même titre que les années, perdues. Willy se restreignit sur le patois, une façon de rester en relation avec l’indéfini, sans le dire. Cette restriction fut d’autant plus forte lorsque l’ampleur de la Shoah fut connue. Willy ne savait pas qu’il avait participé à l’infamie. C’est à cette époque qu’apparut le mot malgré nous, une litote pour certains, un euphémisme pour d’autres. Il y eut des querelles autour du mot. Beaucoup de jeunes gens privilégièrent spontanément alors l’usage du patois, au détriment de celui de l’indéfini, sous les efforts que déployèrent les instituteurs français, de retour devant les bancs d’école.

Dans le tiroir d’une commode j’avais trouvé, rangée, dissimulée peut-être, une croix de guerre indéfinie. Son anse était cassée. D’avoir été arrachée au cou de son propriétaire ? Au dos de la croix, il était écrit, Joseph, …, 1914-1918. Passé la stupeur, ma première réaction fut de penser que Joseph avait été un traître. Cela expliquait son peu d’empressement aux cérémonies du 11 novembre. Mon père rectifia. 1915. La guerre germano-russe. Tannenberg. Brest-Litovsk, défaite pour les uns, victoire pour les autres. Joseph n’était pas un traître. Joseph avait été enrôlé sous les drapeaux de ce qui fut alors son pays, l’indéfini. Revêtu d’un uniforme indéfini, il avait fait la guerre contre les Russes, à l’appel du Kaiser. En 1917, il était revenu de la campagne de Russie, blessé à plusieurs reprises. Un an plus tard, le traité de Versailles avait rebattu les cartes. Alsace et Lorraine s’en retournaient en France, leur berceau, selon les tribuns qui se succédaient à l’Assemblée. Le prix de la revanche. La langue de l’indéfini fut interdite, sévèrement. Des instituteurs français se dépêchèrent de prendre la place des instituteurs indéfinis. Il fallut de nombreuses baguettes de coudrier pour venir à bout de l’indéfini.

Lorsque, en 1918, Joseph fut de retour de la campagne de Russie, les employés municipaux hissaient le drapeau tricolore au fronton de la mairie. Mais Joseph ne connaissait d’autre langue que l’indéfini. Que n’avait-il appris le français au lieu de se battre, quatre longues années durant, sur les fronts de Pologne, de Biélorussie, de Lettonie et de Lituanie, portant un uniforme indéfini. Malheur aux vaincus. Ils sont interdits de parole. A Joseph, il ne resta que le patois. Le patois, c’est une langue en guenilles, sans chaussures, sans chemise, sans costume. Le patois sert à acheter du pain, désigner l’endroit dans le vaisselier où le ranger, prendre des nouvelles de gens que l’on voit de temps en temps. Le patois tient dans la poche, comme un couteau, un briquet, un objet de première nécessité.

Malheur aux vaincus !

Mais Joseph n’avait pas été vaincu. Il avait combattu vaillamment en Pologne, tué des soldats russes, comme à la guerre, permis que des soldats indéfinis ne soient pas tués, comme à la guerre. Il avait mené une guerre qui n’était ni plus propre ni plus sale que les autres guerres. Il a tué lorsqu’il ne pouvait faire autrement. Il avait été décoré de la croix de guerre indéfinie. Il n’avait pas été vaincu. Cependant, les employés municipaux qui hissaient d’autres couleurs lui dirent, tais-toi Joseph, tu t’es trompé de guerre, tu t’es trompé de camp. Tu es dans le camp des perdants. Tes blessures ne comptent pas. A présent, tu dois te taire.

Joseph s’est tu. Il a tenté de gagner ses galons de citoyen français de seconde classe. Joseph n’est jamais retourné de l’autre côté du Rhin. De l’autre côté, il avait eu la peau trouée par les balles, les poumons brûlés par les gaz et l’honneur remisé aux vestiaires. De l’autre côté, il s’était trompé de guerre.

Mon père racontait.

Le 23 novembre de l’année 44, selon les manuels d’histoire, les troupes anglo-américaines ont libéré Strasbourg. Dans leurs bagages vinrent historiens, administrateurs et instituteurs chargés de tout reprendre. Au fronton des mairies, on se dépêcha de hisser le drapeau tricolore et de brûler l’autre.

Très vite, tout ce qui s’était passé pendant cinq ans et même plus loin, jusqu’à ce courrier reçu par Joseph en 1914, dans lequel le Kaiser lui donna l’ordre d’aller à la guerre, tout, les histoires, les chants, les witz, les noms à l’entrée des villes, les en-têtes des actes administratifs, les gâteaux aux épices, les conjugaisons des verbes, la sonorité des noms de fleurs et d’oiseaux, tout cela rentrait dans cette partie d’histoire dont on ne parlerait plus désormais. Tout cela avait des liens trop évidents avec les doryphores, les défilés dominicaux, les soldats qui se rendent sans se battre, les officiers arrogants bottés de cuir, les drapeaux à svastika qui flottaient au fronton des mairies. L’indéfini avait gangrené trop d’esprits et de corps.

Sur le Rhin, de part et d’autre, s’érigea une frontière sévèrement gardée. Il fallait avoir de bonnes raisons pour oser en affronter les procédures et les remparts. Pour quoi faire du reste ?

Tenus au silence, ils oublieront.

Mais à table, tandis que le lapin chasseur dégageait un fumet capiteux, tandis que régnait un silence propice aux choses tues, tandis que devenait sensible la respiration du monstre tapi de l’autre côté du fleuve, il échappa à mon père, entre deux bouchées, comme une chose très simple qui aurait dû être faite depuis longtemps mais qui, pour toutes sortes de raisons, fut toujours reportée, il échappa à mon père que, demain, nous irions.

 

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15 octobre 2007 1 15 /10 /octobre /2007 18:05
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Sur les cent douze nouvelles reçues au concours Calipso " Sens dessus dessous " dix sept avaient été retenues par les jurés dans une première sélection. Vous connaissez les auteurs des dix nouvelles lauréates mais pas les sept autres qui les suivaient de près. Comme ces dernières ne seront pas éditées dans le recueil 2007, nous avons proposé aux auteurs de les publier ici même. Nous poursuivons cette série avec Roland Goeller.

 

Demain, nous irons (1/2)  


Mon père avait dit, demain, nous irons.

Nous étions assis à table, mon père au bout. De la grande terrine de fonte posée en son milieu s’échappait le fumet d’un lapin chasseur. Par morceaux, le lapin faisait de grands bonds jusqu’à nos assiettes. A table régnaient de longs silences entrecoupés de rares conversations. Mon père n’avait pas fini de parler que cessa le cliquetis des fourchettes. Le mouvement du bras, lui aussi, s’arrêta. Pendant quelques secondes il y eut un silence à couper au couteau. Puis l’horloge murale sonna l’heure.

Où irions-nous ? Nous, les enfants, n’en savions rien. Seules ma mère et ma grand-mère devinèrent de quoi il s’agissait. A en juger le silence qui avait suivi la proposition de mon père, nous comprîmes qu’il s’agissait d’une décision d’importance et que, cela était certain, demain nous irions, quel qu’en fût le prix. Cela était entré dans les esprits et personne, passées les bouchées suivantes, ne souleva d’objections. Les pâtes au beurre baignaient dans la sauce, nous nous amusions à les avaler comme aspirées par un dévidoir. La sauce éclaboussait les vêtements, comme dans les comics de Walt Disney, que grand-mère regardait en se disant, comment diable…Les comics étaient alors encore en noir et blanc.

Ma mère attendit la fin du repas pour soulever une objection. Comment allons-nous les habiller? Sa question ne résonnait pas comme un choix entre plusieurs alternatives, mais comme un désespoir face à une absence totale de solution. Pour aller où nous irions demain, nos habits ne convenaient pas, sous-entendit-elle. Mon père se contenta d’enregistrer, sa fourchette en l’air. Ma mère semblait avoir soulevé un lièvre. Je ne me rappelle pas que nos habits d’alors fussent dépareillés ou inconvenants. Ils ressemblaient aux habits de tous les autres enfants que nous connaissions. Mais dans l’esprit de ma mère, là où nous irions, nos habits ne conviendraient pas, même ceux que nous revêtions dimanche, pour aller à la messe. Ce détail avait échappé à mon père. Sa proposition, pour solennelle qu’elle fut, se heurtait à l’objection, insurmontable, des vêtements à porter. Plus accoutumée à ce genre de lièvres, ma grand-mère s’était contentée d’opiner du chef. A ses yeux, aussi, nos habits présentaient quelque chose d’inconvenant.

Depuis la mort de grand-père, grand-mère prenait tous ses repas avec nous. Parfois, elle se chargeait de les préparer. Elle habitait à l’étage. Une petite pièce mansardée y était aménagée en cuisine. Grand-mère s’affairait devant son fourneau, une sorte de grand meuble en fonte sertie d’émail, lourd au point de requérir quatre adultes lorsque, plus tard, mon père décida de s’en débarrasser. C’était après la mort de grand-mère. La cuisine mansardée n’avait plus de fonction et les brocanteurs s’offraient à enlever les vieilleries pour rien. Les comics de Walt Disney avaient gagné du terrain sur l’écran et la manufacture rapide, mélange de tôles embouties et de plastique, s’était taillée la part du lion parmi les objets indémodables, chaque jour un peu plus. La manufacture rapide venait d’ailleurs. Sur le dos des objets apparaissaient, en relief, les lettres made in Italy. L’ailleurs n’était alors que transalpin. Le fourneau fonctionnait avec ce bois que mon frère et moi étions chargés de provisionner. Grand-mère n’en était pas pour autant dispensée de nous le rappeler tous les jours, frères nous étions, mais insouciants. Sur le fourneau sifflait une bouilloire d’eau. Lorsque grand-mère mijotait du lapin chasseur, la cuisson commençait dès le matin. Il ne fallait pas moins de trois heures pour fabriquer l’onctueux.

La question de savoir comment nous serions habillés, demain, lorsque nous irions, cette question resta sans réponse. Peut-être était-il alors évident aux yeux de mon père que, dans ces conditions, nous n’irions pas. Car nous ne sommes pas allés, je m’en serais souvenu sinon. A moins que cette conversation n’eut lieu au cours d’un repas de petit salé aux lentilles ? Ma grand-mère excellait dans la cuisson du petit salé aux lentilles et des Rinderrouladen, ma mère dans celle des gâteaux au chocolat, chacune dans sa cuisine. Les fumets s’échappaient et entraient en conflit au pied de l’escalier. Sans doute n’allâmes-nous pas le lendemain, ce qui avait réglé provisoirement la question des vêtements. Dire que nous irions n’était pas aussi simple qu’il paraissait. Mon père disait parfois des choses sans réfléchir. Mais mon père disait aussi cela de son propre père, et je dois bien reconnaître qu’il en est allé de même pour la plupart des choses que j’ai dites, moi aussi. A tout bien prendre, il vaut encore mieux écrire.

Les écrits restent.

Trois soldats allemands surgirent. Ils étaient en moto et roulaient vite. Nul ne les avait entendu approcher. Peut-être à cause de collines qui renvoyaient les pétarades des moteurs. Harnachés de cuir, les soldats portaient des mitraillettes en bandoulière.

Du bras, mon père me montrait toute l’étendue du pré où la scène s’était produite, trente ans plus tôt. C’était en juin quarante.

Toute une compagnie de soldats français avait étendu son campement, dit-il. Ils attendaient là, couchés dans le pré. Qu’attendaient-ils ? Les trois soldats allemands ont surgi. Ils ont pointé leur mitraillettes et les soldas français se sont rendus, sans combattre, sans résister.

Pourquoi ne se sont-ils pas battus, pourquoi ne nous ont-ils pas défendu, ai-je demandé ?

La France avait été envahie, De Gaulle avait déjà lancé son appel, à Londres, avait expliqué mon père.

Je ne sais pas ce que nous faisions alors, lui et moi. Peut-être étions-nous à la cueillette des prunes. Mon père avait hérité un verger. A la fin de l’été, nous avions coutume de cueillir les prunes. Peut-être parce qu’il était impensable qu’une frondaison ne se perde. C’était avant que l’école ne reprenne. Chaque prunier donnait une quarantaine de kilos de fruits, peut-être une cinquantaine. Les arbres étaient robustes. Il y avait en ville plusieurs grossistes qui assuraient la collecte des fruits. Mon père allait chez l’un ou l’autre, en fonction de ce que les grossistes offraient.

Et les soldats français, que sont-ils devenus, demandais-je.

Mon père ne savait pas. Il avait assisté à la scène, caché dans un fourré, en compagnie d’un copain. Il dit qu’il a vu surgir les trois soldats allemands, avec leurs motos, et que, peu après, tout le monde a déguerpi. Les soldats français marchaient en rang par deux, dépouillés de leurs armes.

La récolte de prunes fut abondante. Nous avions enlevé le siège arrière de la deuche pour y installer les cageots de prune, sur deux rangs. Plusieurs voyages furent nécessaires. Dans la cour du grossiste, les cageots s’empilaient. Sur les collines, nombreux étaient les verges de prune. Les prix avaient chuté, mais la quantité permettait de faire le chiffre. Avec l’argent des prunes, nous allions faire des tours de manège. Chaque année, le dernier dimanche du mois d’août, les manèges, funambules, confiseurs et bateleurs s’installaient en ville. C’était le grand messti annuel. Lorsqu’il s’installait, l’été allait finissant. Il recommençait à faire frais le soir. Mon père nous abandonnait l’argent des prunes pour que nous puissions faire des tours de manège.

Pour les soldats français, la guerre s’était arrêtée, là, sur le pré. Ils avaient attendu un ordre qui n’est pas venu, qui ne pouvait plus venir. A la place de l’ordre, ce sont trois soldats allemands qui ont surgi. Ils chevauchaient des motos.

Après les prunes venait le messti. Et après le messti venait la rentrée des classes. Pendant le cours d’histoire, l’instituteur parlait de nos ancêtres gallo-romains. Lorsque Jules César a conquis les Gaules, ses troupes sont venues jusqu’au Rhin. Elles ont fondé la ville d’Argentoratum, qui plus tard est devenue Strasbourg. Pour quelles raisons les troupes de Jules César se sont-elles arrêtées à la hauteur du Rhin ? Au-delà, c’était la Germanie. L’instituteur évitait d’en parler. La Germanie, c’était quelque chose d’indéfini. Ce n’est pas par hasard que les troupes de Jules César se sont arrêtées à la limite de l’indéfini. Il n’y avait aucune raison pour qu’elles poussent au-delà. Il n’y avait rien à découvrir au-delà du Rhin. Nous écoutions ce que disaient les instituteurs français.

Trente ans plus tôt, les soldats allemands avaient surgi avec leurs motos. Les soldats français se sont levés et leur ont emboîté le pas, en rang par deux, délestés de leurs armes devenues inutiles. Lourds furent les cageots de prune. Entre dix et quinze kilos le cageot. Au dernier voyage, nous avions trop chargé la deuche, à la sortie du pré, le haillon a touché le sol. Nous l’avons alors délestée de deux cageots. Les pruniers ployaient sous les fruits. Les branches les plus lourdes étaient aussi les plus hautes. Nous grimpions jusqu’aux derniers barreaux de l’échelle. Des écorchures, il ne reste rien, sauf le souvenir des endroits où elles se sont produites.

Les instituteurs disaient qu’au-delà, c’était l’indéfini. Pas plus que les troupes de César, nous n’avions, nous, intérêt ou avantage à nous rendre en Indéfini. Nous en avions été sauvés de justesse, le 23 novembre 44, lorsque les troupes anglo-américaines ont libéré l’Alsace et Strasbourg, réchappés des griffes de l’indéfini. Et lorsque nous demandâmes à nos pères confirmation du fait que nous avions été sauvés de justesse, que pouvaient-ils nous dire d’autre que oui, que nous l’avions été ?

Aussi, le silence qui suivit la proposition faite par mon père, que nous irions, ce fameux jour où fumait sur la table un lapin chasseur, ce silence était de stupeur. Car où nous irions, sans oser le dire explicitement, c’était forcément de l’autre côté, celui de l’Indéfini !

à suivre… 

Roland Goeller. Le roman avance par saccades. Alors de temps à autre s’échappe une nouvelle qui prend son envol. Né en Alsace, je suis l’héritier de deux cultures, mais je ne le sais que depuis peu. Longtemps, l’écolier sage a cultivé l’un de ses jardins, en laissant l’autre en friche. Ce dernier n’a eu de cesse de se rappeler à ses bons souvenirs, avec une insistance accrue. La nouvelle " demain, nous irons " met en scène un père qui commet un lapsus, à la faveur duquel le passé oublié s’invite et prend du sens.
Né en 1956, ingénieur de formation, l’auteur honore avant tout ses obligations professionnelles. Cependant, il ne résiste plus à ce besoin d’écrire. Le fatras livre parfois un texte que remarque un concours.

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13 octobre 2007 6 13 /10 /octobre /2007 10:44

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Lieber Herr Gott (2/2)

 

par Ernest J. Brooms 
  

Lieber Herr Gott.

Venons-en à Marc, le mari de la blonde Anne. Le meilleur ami d’André. Comment le treizième le tenait-il ? Par Madeleine ou Brigitte ? Ni l'une, ni l'autre. C'était Jean. Son voisin de droite. Un jeune homme fragile, frêle même. Le contraire de Marc, large, velu, trapu, la barbe forte, les bras charnus. Le treizième avait remarqué la différence, la complémentarité.

Il avait convoqué Jean dans la sacristie, lui avait offert du vin. Du malaga. Le vin du dimanche ! Jean avait parlé. Il ne s'était jamais senti homme. Il n'osait même pas regarder son propre sexe. Quant aux femmes, il refusait d'y penser. Quelle horreur ! S'enfouir en elle, jamais ! Le treizième pensait avoir trouvé la solution. Surtout depuis qu'il avait aventuré une main exploratrice sur le corps fragile de Jean. Et que Jean se taisait. Achevait la bouteille de Malaga.

 

Lieber Herr Gott.

Direction, la sacristie ! Jean - qui ne refusait plus rien au treizième - accepta de s'y enfermer, de simuler une crise de déprime, de se rouler par terre, de crier, de hurler ! Le treizième, affolé, appela Marc, voisin de la cathédrale et bedeau : il fallait enfoncer la porte pendant qu’il courait avertir un médecin ! La porte ne résista pas. Et Marc trouva Jean en larmes. Le prit dans ses bras. Le consola si bien qu'il y prit goût. Marc fut agréablement surpris, étonné... Lui qui était exaspéré par cette manie qu’avait sa femme à vouloir le tenir serré dans un étau mental comme pour se moquer de sa force physique... Tandis que Jean était doux. Ne demandait rien. Le laissait respirer. C'est ce que Marc expliqua, navré, gêné, au treizième de retour dans la sacristie. Et Marc se fit plus menaçant : le treizième avait intérêt à ne pas ébruiter l'affaire !  Bien que la situation ne soit pas si anormale de nos jours. Mais la blonde Anne ne comprendrait pas !  Ni les autres ! Ni personne !

 

Lieber Herr Gott.

La deuxième et la quatrième à gauche,  devant, Madeleine et Brigitte, deux anciennes de l'École des Sœurs de la Charité, ne s'étaient jamais quittées. Célibataires et bien pensantes. Leurs fous rires, à propos de n'importe quoi, amusaient beaucoup le treizième. Elles avaient refusé de venir seules aux répétitions privées. Alors le treizième s'était résolu à les entendre toutes les deux. Dieu est Amour mais l’homme aussi ! C’est une question d’équilibre, ânonnait-il.

Simon et Luc étaient célibataires. Du même âge approximativement.

Vous n’y pensez pas,

Qu'en savez-vous ? Vous avez déjà connu un garçon ? Non ? Venez plus près. Asseyez-vous.

Le treizième désigna à chacune une de ses grosses jambes. Elles y prirent place, face à face.

Le Seigneur vous a faites belles. Ce n'est pas pour gaspiller cette beauté en pures égoïstes que vous êtes ! Cela doit cesser !

Madeleine et Brigitte baissèrent les yeux. Les grosses mains du treizième entreprirent d'ouvrir les deux chemisiers en même temps. Pour synchroniser le mouvement, ânonnait-il. Il dégagea les épaules de chacune, libéra deux paires de jeunes seins tout neufs, frissonnants et parfaits. Il les embrassa longuement, un à un, précieusement. Madeleine et Brigitte s'en mordirent les lèvres. Après un long silence, le treizième les fit lever.

Était-ce si pénible ?

Échanges de regards. Rires étouffés.

Revenez demain à dix-huit heures. Toutes les deux. Je veux que vous séduisiez Simon et Luc. De gré ou de force...

 

Lieber Herr Gott.

Ce qui fut dit fut fait. Madeleine et Brigitte ne durent guère se forcer.  Elles en éprouvèrent un plaisir inouï, jusqu’alors insoupçonné, séduisant chacune l'un et l'autre.

Pour comparer, disaient-elles, en laissant éclater leurs rires. Simon et Luc s’en trouvèrent ravis.  Le treizième garda un souvenir particulier de cette victoire et un enregistrement sonore des ébats... qu'il fit d’ailleurs entendre aux quatre partenaires désormais complices et soudés. répliquèrent-elles, offusquées.

 

Lieber Herr Gott.

Restait Sarah, à l'extrême droite. Plus un homme, plus une femme disponibles. Alors le treizième se sacrifia. Pour l’équilibre des choristes, ânonnait-il. C'était la plus jeune. Bientôt seize ans. Et toutes ses illusions. Le corps à peine achevé. Elle devait revoir ses gammes. Le treizième les pianotait sur ses bras, ses genoux, ses jambes. Sarah n'y prêtait pas attention au début. Il lui expliqua qu'il était un père pour elle, qui avait perdu le sien. Il la gâta de petits cadeaux, elle qui n’en recevait jamais. L'emmena chez lui, une petite maison basse. Lui offrit des vêtements de femme. Bains chauds et parfums. Repas sucrés et siestes sous la couette. Quand Sarah repartait chez elle, en jean et tee-shirt usés, son pas était de plus en plus lent : elle attendait avec impatience le moment de retrouver son nid douillet, ses dentelles, ses parfums chez le treizième qui la dégustait comme une coupe de fruits exotiques. Et rares.

 

Lieber Herr Gott.

Les membres de la chorale Saint Brice étaient définitivement soudés. Le treizième pouvait s'adonner à son plaisir favori : les faire chanter !

Les douze, gelés dans le noir de leurs habits, chantent. Le visage fixe. Dignes et inspirés. La cathédrale est remplie. La télévision locale les filme. L'évêque admire et chuchote, penché sur son voisin en soutane.

La belle chorale !  Douze, douze comme les apôtres. Un exemple pour tous. Et le treizième, quel dévouement, quelle efficacité,  quel sens artistique ! N’est-ce pas ?

L'abbé Paul approuve d'un acquiescement lent et prolongé.

C’est vrai, Monseigneur. C’est tellement difficile de former un groupe, de lui garder toute sa cohésion et son équilibre ! Croyez mon expérience : je sais m’y prendre aussi, depuis plus de vingt ans que je fais chanter la chorale des enfants…  

http://www.broomse.com

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11 octobre 2007 4 11 /10 /octobre /2007 18:30

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Sur les cent douze nouvelles reçues au concours Calipso " Sens dessus dessous " dix sept avaient été retenues par les jurés dans une première sélection. Vous connaissez les auteurs des dix nouvelles lauréates mais pas les sept autres qui les suivaient de près. Comme ces dernières ne seront pas éditées dans le recueil 2007, nous avons proposé aux auteurs de les publier ici même. Nous poursuivons aujourd’hui avec Ernest J. Brooms.

 

Lieber Herr Gott (1/2)

"  L’histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre ".

Boris Vian 

Douze. Ils sont douze. Comme les apôtres. Mais six hommes et six femmes. Pour l'équilibre des voix, ânonne le treizième, le seul qui ne chante pas, le seul aussi à tourner le dos, à ne jamais affronter le public de face. Par contre, il fait chanter les douze. Sans lui, ce serait la cacophonie et la chorale Saint Brice n'aurait jamais été lauréate du grand concours organisé par le diocèse.

Le treizième dont nous tairons le nom par décence, gros, gras, court sur pattes, visage en boule, crâne chauve, ancien séminariste - il en a gardé la démarche hésitante -, le treizième lève les bras, les fige, plane sur le temps. Les doigts frémissent. S'abattent. Et les douze, en chœur, ouvrent grande la bouche. Les hommes bombent le torse, raidis dans un habit noir à queue de pie. Les femmes gomment leurs éventuelles rondeurs sous de longues robes, noires aussi, des chevilles au blanc du cou. Les vingt-quatre yeux fixent les deux globes exorbités du treizième. Les oreilles, à chaque pause, se tendent vainement vers l'éternité muette.

Les douze se tiennent en quinconce sur deux rangs parallèles. Les femmes devant, par politesse, pour le plaisir des yeux, parce qu'elles sont plus petites, qu’elles chantent moins fort,... pour l'équilibre des corps, ânonne le treizième.

" Lieber Herr Gott, wecke uns auf ", est un motet attribué à Johann Christoph Bach, organiste à Eisenach jusqu’à sa mort en 1703. Il guida les premiers pas du petit Jean-Sébastien dans le domaine musical…

Le treizième adore étaler son érudition musicale, type Larousse en cinq volumes payés en dix mensualités.

 

Lieber Herr Gott...

A l’extrême gauche, au deuxième rang, Matthieu. C'est le frère d’André, qui, lui, se tient à l'extrême droite. Le plus loin possible. Depuis toujours. Depuis l'accouchement. Matthieu était sorti, tête en avant. André, en siège. Matthieu sera toujours la tête, tandis que son frère...  Dès lors, tout s'était dégradé. La mère, sans trop l'avouer, préférait Matthieu. Le père aussi. André était insupportable, désobéissant, mauvais élève, toujours dans les sales coups... Les parents simulaient seulement une espèce d'affection. Comme Matthieu pour André et vice-versa.

Leur seul point de rencontre obligé : la chorale Saint-Brice. A cause du treizième. Et d'une sombre histoire : le treizième avait surpris Matthieu, si parfait, si exemplaire, enlaçant amoureusement Véronique, dans la sacristie ! Pas de quoi fouetter un chat. Sauf que Véronique, jolie brunette, est la femme d’André. La belle-sœur de Matthieu !

L'ex-séminariste avait considéré cette situation délicate avec bonhomie. Il se sentait même coupable : c'était lui qui avait suggéré  aux deux fautifs de consacrer quelques heures au vernissage de l’armoire à chasubles. Véronique avait accepté sans discuter puisque le treizième avait insisté : Matthieu lui avait fait part de son désir de quitter la chorale qu'il fréquentait depuis l'enfance, comme son frère, par obligation parentale, par habitude... Il devait rester ! Pour l'équilibre du groupe, ânonnait le treizième. Mais Matthieu ne voulait rien entendre... Seule Véronique pouvait sauver la situation. Il ne lui demandait qu’un petit effort, un geste facile, voire agréable. Il la récompenserait, l’inviterait une après-midi, à la sacristie... pour répéter. Véronique baissa les yeux. Accepta.

 

Lieber Herr Gott...

Un petit effort ! Ce que Véronique fit. Avec d'autant plus de complaisance que Clotilde, la femme de Matthieu, était de ces femmes fières, dédaigneuses, osseuses et supérieures. Clotilde ne ratait jamais une occasion de glisser quelques mots ironiques à l'encontre de sa belle-sœur, Véronique, plus jolie mais d'un milieu je-ne-vous-dis-que-ça ! C'est justement ce qu'elle confiait aujourd’hui au treizième, dans la sacristie. Le treizième avait haussé les épaules. Plus jolie, Véronique ! C'est à prouver ! Il avait donc vérifié. C'était vrai ! Mais il avait consolé Clotilde.

La beauté cachée, celle que ne recouvrent pas les vêtements, est plus enviable, plus durable... Pour l'équilibre de l'âme,

Il ne fallut pas plus de louanges pour que Clotilde cédât à un exhibitionnisme inattendu. Elle se mit à danser une sorte de sarabande sacrée en tenue d’Ève. Le treizième déclara vouloir se limiter au simple plaisir des yeux. Aller plus loin ne le tentait guère. C’est qu’il avait quand même certains critères. Il ne faisait pas n’importe quoi avec n’importe qui. C’était sa " morale ", soulignait-il. Et décidément, Clotilde était trop squelettique. Matthieu resta donc à la chorale. Clotilde, une fois rhabillée, comprit qu’elle y resterait aussi.

 

Lieber Herr Gott.

Quant à André, le mal aimé, il n'aurait quitté la chorale pour rien au monde depuis que le treizième l'avait isolé dans la sacristie avec la blonde Anne ! La femme de Marc, son meilleur ami. Le treizième avait convaincu Anne : André était vraiment trop malheureux, il avait besoin d'affection, si Marc, son mari, fournissait à André l'amitié, elle pouvait bien lui distiller un peu d'amour, partager la beauté qu'elle avait reçue de Dieu. Le treizième révéla alors que Véronique et Matthieu...

André l’ignore. S’il l’apprenait, sensible comme il est, il pourrait faire une bêtise ! Entre nous, ne le répétez pas. Pour l’équilibre des couples, ânonnait-il.

D'ailleurs, entre eux, il n'y avait plus guère d'espace ! Le treizième serrait déjà le buste capiteux contre lui. Distraction, indifférence, résignation, surprise ? Elle accepta de séduire André qui fut tellement étonné de cette subite passion pour lui, l’éternel rejeté, qu’il ne résista guère à l’aubaine et évita toute question inutile qui romprait le charme.

A suivre…

 

 

Ernest Brooms. En bas d’un texte, cette signature ne m’a jamais satisfait. Question de rythme et de sonorité.  Fallait-il rechercher un pseudonyme ? J’ai pensé à Georges W. Bush, avec qui pourtant je n’ai aucun atome même pas crochu, et je me suis dit : pourquoi pas Ernest  J. (prononcez " ji ") Brooms ? Le " J " est mon deuxième prénom, celui de mon père,  Joseph,  décédé trop tôt. J’ai donc corrigé ma signature tout en rendant hommage à mon père... du moins, si mes écrits peuvent se transformer en hommage pour qui ce soit ! Dorénavant, mes textes pourront être traduits  en d’autres langues :  anglais, allemand… sans que le nom ne heurte. Peut-être en Chine, ce sera plus difficile. Enfin, c’est un détail à régler…  Voilà pour ma présentation qui ne vous a rien appris de moi.

Mais revenons à Calipso.  Patrick L’Ecolier m’a ouvert la porte de son café littéraire en publiant " Le sourire ", puis en citant mon blog " Pour le plaisir d’écrire " dans son Blogcity, revue d’ étoiles ! Il m’a fait l’honneur de commenter certains de mes textes. Depuis mars 2007, je me suis donc remis à écrire, à alimenter mon blog et je viens de créer un forum qui est une porte ouverte aux auteurs, un simple accueil de leurs textes et non pas un atelier d’écriture de plus ! Je vous y attends !

Quant au concours " Sens dessus dessous ", je ne fais pas partie des élus mais je salue l’initiative de Patrick qui fait paraître les textes finalistes. Ma nouvelle " Lieber Herr Gott " peut heurter un certain public. J'espère que les pointes d'humour, disséminées çà et là, modèrent la gravité du propos qui mérite d'être mis en exergue, actualité oblige.  A vos claviers ! 

NB. Pour ceux qui sont proches d'Issy-les-Moulineaux, je serai présent lors de la remise des prix de leur concours où j'ai obtenu le 1er Prix de la Francophonie. Date  le 20 octobre, 17 h., Espace Icare.

Ernest  J. Brooms

http://www.broomse.com

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9 octobre 2007 2 09 /10 /octobre /2007 22:07

 

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Les papillons  (2/2)


par Pascale Fayolle

  

Maman va rentrer dans quelques minutes et découvrir le vrai sens du mot " capharnaüm " !

Cet après-midi, je ne suis pas allée à la piscine avec Maman et Lucie, parce que j’ai une angine. Je suis restée à la maison avec Alain.

Alain est adorable, mais quand il se met en colère, il devient un " énorme ours mal léché ", comme dit Maman. Par exemple, quand il ne trouve pas le bon mot, l’intonation juste, la tournure exacte pour écrire son texte, il ne pense plus qu’à ça. Nous devons jouer sans bruit, manger sans bruit, parler sans bruit, sinon, il s’agite, fulmine, enrage et nous n’osons même plus déglutir, ni respirer, ni fermer les yeux !

Et il se trouve qu’aujourd’hui, Alain est exaspéré.

Il a perdu toute une page de son roman, la page 92, qu’il n’a pas eu le temps d’enregistrer avant que tout disparaisse subitement de l’écran. Il est sûr d’avoir imprimé cette feuille 92, mais impossible de la retrouver !

Alors, cet après-midi, je l’ai aidé à la chercher.

Il a bougonné sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt.

Moi, j’avais mal à la gorge et, au début, ça me fatiguait beaucoup de l’entendre rouspéter sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. Finalement, j’ai décidé de participer à ses recherches et de tout mettre en l’air avec lui…

Il était tellement hors de lui qu’il lançait de très vilains gros mots qui rebondissaient dans tout l’appartement.

Il a fouillé partout, ouvert tous les dossiers de Maman, sorti les livres de la bibliothèque pour regarder si le feuillet 92 ne s’était pas glissé chez un autre auteur.

Il a vidé tous les tiroirs du petit secrétaire, secoué l’annuaire et aussi celui avec les pages jaunes.

Il a regardé sous la télévision, derrière l’ordinateur et dans tous nos albums avec nos belles photos.

Cette page 92 était l’œuvre de sa vie, de toute beauté, une vraie merveille de délicatesse, un fleuron de poésie, un prodige littéraire et encore plein d’autres compliments que j’ai perdus en route.

Lorsque la salle à manger a été suffisamment dévastée, il a renversé la poubelle de la cuisine et a tout dépecé en vain. Pour l’aider, j’ai ouvert tous les placards et sorti toute la vaisselle, tous les couverts et même les boîtes de conserve : on ne sait jamais où peut se glisser une feuille de papier d’une telle valeur !

J’ai renversé un peu d’huile sur une chaise, sans le faire exprès, et j’ai légèrement cassé un verre en mille morceaux : mais j’ai préféré le laisser par terre pour ne pas me couper et rajouter du sang partout. Je n’ai rien dit à Alain pour ne pas l’enrager davantage !

Non, décidément, cette page 92 n’est nulle part, envolée, en fuite, évanouie et vagabonde.

Moi, j’aurais volontiers cherché dans la chambre d’Alain et de Maman, mais un silence impressionnant nous est soudain tombé sur la tête. Alain a conclu d’une voix adoucie :

" Elsa, il nous reste à peine dix minutes pour mettre de l’ordre dans ce chaos avant l’arrivée de ta maman… "

En effet, c’était la déroute dans notre appartement !

L’anarchie avait franchi notre seuil, une révolution avait saccagé la salle à manger et la confusion la plus totale régnait dans la cuisine.

Tout était chamboulé, les objets perturbés contemplaient ce fouillis inhabituel, les livres paniqués s’affolaient de cette pagaille hallucinante et les bibelots désolés se demandaient comment se comporter au milieu d’une telle débauche !

Quand Maman et Lucie sont arrivées, il ne restait qu’un enchevêtrement pèle-mêle, mais Maman s’est quand même beaucoup fâchée ! Moi, j’ai vite filé dans ma chambre en me rappelant que j’avais très mal à la gorge… Lucie m’a rejoint pour me demander ce qui s’était passé, mais j’ai haussé les épaules pour lui montrer que je n’en savais rien…

Lorsque les cris et les bruits se sont calmés, nous avons trouvé Maman et Alain enlacés.

Maman comprenait très bien l’importance de cette page 92. Elle avait accepté de vivre avec un artiste et savait parfaitement tout ce que cela impliquait…

Moi, je n’ai rien dit... Surtout pas que je savais très bien où était cette page avec un 9 et un 2 en bas…

Hier, je n’ai pas pu aller à l’école, à cause de mon angine.

Quand je dormais, le temps filait à toute vitesse ; mais quelquefois, il passait plus lentement et lorsque je n ‘avais plus de fièvre, la petite aiguille de la pendule ne bougeait plus du tout.

Alors, je me suis rappelée ce que la maîtresse nous avait dit :

" Vous devez lire, mes enfants, lire beaucoup, lire souvent, lire tout ce qui vous tombe sous la main…

Prenez les publicités, les emballages, les mots écrits sur les enveloppes, les titres des livres de vos parents. Lisez, lisez dès que possible, encore et toujours. Et vous verrez, plus vous lirez, plus vous aimerez les mots ! "

Comme je m’ennuyais très fort, je suis allée à la salle à manger et j’ai pris la feuille du dessus sur la table, pour lire ce qu’Alain venait d’écrire et pour faire ce que la maîtresse avait dit. Elle est gentille ma maîtresse.

Je suis allée dans ma chambre et je me suis entraînée à tout lire. Mais c’était compliqué, écrit petit et tout serré. Il y avait des mots que je ne comprenais pas, mais j’étais très fière de pouvoir lire des phrases entières et je pensais que la maîtresse serait fière de moi si elle me voyait !

Les mots d’Alain racontaient de très belles images… Il y avait de merveilleux papillons avec des couleurs de paradis qui volaient dans le texte  Alors, je suis allée chercher ma grande boîte de feutres et j’ai dessiné des papillons partout, partout sur la feuille. C’était magnifique, multicolore et très joyeux…

Malheureusement, mes papillons ont envahi les mots qui parlaient d’eux et remplacé les lettres qui les décrivaient, mais c’était tellement beau que ce n’était pas vraiment grave.

Pour leur donner vie, j’ai décidé de les découper soigneusement et de les laisser s’envoler un par un par la fenêtre…

 

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7 octobre 2007 7 07 /10 /octobre /2007 12:24

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Sur les cent douze nouvelles reçues au concours Calipso " Sens dessus dessous " dix sept avaient été retenues par les jurés dans une première sélection. Vous connaissez les auteurs des dix nouvelles lauréates mais pas les sept autres qui les suivaient de près. Comme ces dernières ne seront pas éditées dans le recueil 2007, nous avons proposé aux auteurs de les publier ici même. Nous poursuivons aujourd’hui avec Pascale Fayolle.
 

Les papillons (1/2)


Avant, notre appartement était toujours tiré à quatre épingles.

Les papiers de Maman bien rangés dans leurs chemises, la brosse à cheveux dorée brillant de mille feux sous le miroir, nos chaussures reluisantes sagement alignées dans le couloir, la télécommande languissante allongée sur la télévision, les cahiers de Lucie merveilleusement ordonnés sur son bureau, mes poupées gracieusement disposées sur mon lit, nos habits soigneusement pliés dans nos armoires…

Et puis, Alain a fait irruption dans notre univers feutré.

L’appartement a pris vie, les objets se sont animés, les bibelots ont changé de place, les ustensiles se sont égarés de pièce en pièce…

Alain, ce n’est pas notre papa, je l’appelle Alain ; c’est lui qui vient nous attendre à la sortie de l’école. Notre vrai papa s’est encastré dans un camion, sur l’autoroute. On n’a même pas pu sauver la voiture ! J’avais six mois et ma sœur Lucie deux ans et demi. Elle n’a gardé aucun souvenir de lui.

Alors, Maman est devenue très, très triste. Elle ne sortait plus, ne souriait plus, n’allait même plus travailler. Elle voulait juste s’occuper de nous et que le monde entier la laisse tranquille. Notre papa, qui était aussi son mari, lui manquait terriblement. Finalement, elle est retournée dans son bureau, Lucie a fait ses débuts à l’école maternelle et moi, je me suis trouvée une gentille nounou.

Notre vie semblait avoir repris ses esprits, sauf que Maman était devenue maniaque, obsédée par l’ordre, tourmentée par la propreté, harcelée par de menus détails. Chez nous, les objets restaient inanimés, les meubles engourdis, notre chambre privée de poussière, notre univers figé en une exaspérante lenteur.

Papy et Mamie, les parents de notre vrai papa, se sont beaucoup occupés de nous. Ils ont choyé Maman, l’ont soutenue malgré leur chagrin, encouragée encore et encore, aimée toujours.

Pendant les vacances, Papy nous consacre tout son temps. Il discute longuement avec Lucie, toute douce, toute belle, toute fragile, comme Maman. Il l’appelle son " Petit Lac Paisible ". Moi, je suis son " Tourbillon fougueux ", " un vrai garçon manqué " ! Pourtant, moi, je ne me trouve pas si ratée que ça ! Papy me tempère, il m’explique pourquoi, me montre comment, me parle d’une voix très douce et ne s’énerve jamais contre moi ! Il me répète souvent que je suis tout le portrait de mon vrai papa, qui était aussi son fils Marc.

Et puis, un soir d’automne, Maman est rentrée tard, suivie par un cyclone dévastateur, un ouragan tumultueux, une tempête effervescente. Cette impression de fin du monde s’appelle Alain. C’est l’ami de Maman, celui qui l’a rendu jolie, qui dort dans son lit, qui lui fait plein de câlins et qui meuble notre espace de ses formidables éclats de rire. Il a transformé notre vie morne et silencieuse en un paradis de fantaisie !

Alain, on dirait un gros nounours tout brun, tout bouclé, tout doux sauf pour le bisou du matin qui est plutôt piquant. Il est écrivain. Il écrit de longues phrases pour des revues, tape des mots incompréhensibles pour des journaux et aligne étrangement des lettres pour fabriquer son nouveau roman. Il travaille à la maison et c’est lui qui s’occupe de nos devoirs, qui s’émerveille des facilités de Lucie et de mes progrès en lecture.

Grâce à lui, les sucettes et les bonbons ont franchi le seuil de notre maison, les biscuits fourrés ont découvert le chemin de nos placards et les crèmes au chocolat ont investi le frigo. Notre pauvre maman prétextait que ces produits n’étaient pas bons pour notre santé. Alain lui a expliqué que ce qui a bon goût et qui nous fait envie est forcément bon pour nous. Moi, j’adore manger et Alain est très gourmand. Nous adorons nous régaler tous les deux, en silence, quand Maman prend sa douche ou quand elle téléphone à son amie Léa…

" Capharnaüm ". C’est mon mot préféré. Tatie Caro me l’a offert un soir de fureur. Elle nous avait demandé de mettre nos pyjamas et d’aller nous coucher. Quand elle est entrée dans la chambre où je m’amusais avec mon cousin Jules, nous avions déjà vidé tous les tiroirs de sa commode et nous jouions tranquillement au marchand d’habits. Elle s’est mise à crier, à crier très fort et très vite beaucoup de mots pas contents du tout. J’ai attrapé au vol " capharnaüm ", il sonne bizarrement et dessine plein d’images très drôles dans mon imagination.

Je crois que " capharnaüm " décrit très bien notre appartement…

à suivre…

Pascale Fayolle

Après avoir écrit de nombreuses nouvelles tournant obsessionnellement autour de la seconde guerre mondiale et de la vie dans les camps de concentration, j'ai essayé d'alléger mes propos en donnant la parole aux enfants. Lorsque je pose mon crayon, je me sens légère et je ne porte plus toute la journée le poids de souvenirs que je n'ai pas vécus. Plusieurs de mes nouvelles ont été primées. J'ai adoré écrire "Les papillons" : les mots se sont amusés à tourner légèrement sur ma feuille avant de s'envoler gaiement.

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5 octobre 2007 5 05 /10 /octobre /2007 17:27

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Une journée bizarre (2/2)

 par Philippe Laperrouse 

Vers quinze heures, Mercadier mon patron me félicitait. Si !si ! Mon rapport sur une affaire importante qui risquait de générer un contentieux juridique catastrophique avait soulevé son enthousiasme. Convoqué d’urgence dans son bureau, je m’attendais à l’entendre proférer la litanie quotidienne de mes insuffisances, ponctuée du traditionnel :

" Il va falloir vous secouer un peu, mon petit Martin ! "

Eh bien non ! Le premier évènement fut que Mercadier me pria de m’asseoir alors qu’il a l’habitude d’enguirlander ses subordonnées debout. Je n’eus pas le droit à ses fauteuils, n’exagérons rien, mais je pus prendre place à la table réservée aux réunions de travail. Le second étonnement me figea sur place : il me félicita longuement de l’acuité des arguments que j’avais avancés, ce qui allait, selon lui, tirer l’entreprise d’un très mauvais pas.

En rentrant tout étourdi dans mon bureau, je m’aperçus qu’un évènement considérable dans le quotidien de mon existence n’était pas encore survenu : la panne informatique. J’avais un besoin pressant de mon imprimante et celle-ci fonctionnait ! Bérengère pointa son nez vers dix-sept heures :

- Je vous appelle l’informatique, comme d’habitude ?

Elle insista lourdement : l’affaire faisait partie de son rituel quotidien. Elle estimait qu’il n’y avait aucune raison pour qu’on la prive d’admonester nos informaticiens ce dont elle raffole, pouvant donner libre cours à son goût pour les interpellations élégantes et sans détour, du style :

- C’est encore planté, votre bazar !

En rentrant dans le cercle familial, je m’attendais à tout et ne fus pas déçu. Aucune facture ne patientait dans la boîte aux lettres. Je pronostiquais une grève postale, mais Bernichon, mon voisin, que je salue tous les soirs à la même heure, me détrompa. La stupéfaction me saisit lorsqu’en poussant la porte du salon, je dus convenir que Jérome n’était pas vautré dans le fauteuil pour suivre un dessin animé débile à la télévision. Je m’inquiétais craignant une maladie juvénile. Je dus me rendre à l’évidence : assis sagement à la table de sa chambre, Jérome faisait ses devoirs ! Pour couronner le tout, il m’annonça fièrement que je n’étais pas convoqué chez le principal de son collège, comme chaque semaine, pour entendre la liste de ses frasques habituelles et le détail de mes incompétences en tant qu’éducateur.

Maryse rentra à son tour une demi-heure plus tard. Quelque chose clochait : elle n’était pas crevée par sa journée de travail ! D’humeur délicieuse, elle me proposa même de nombreux projets de divertissement pour le prochain week-end. Je sentais que nous glissions dangereusement vers un dimanche actif et intéressant qui n’aurait rien à voir avec nos repos hebdomadaires maussades et silencieux.

Le dîner se déroula d’une manière complètement anormale. Jérôme avait éteint la télé, nous fûmes donc obligés de discuter gaiement, chacun racontant les vicissitudes de sa journée. Je fus privé de plat surgelé, car Maryse avait pris le temps de nous mijoter un succulent gratin dauphinois et de couronner le repas par une somptueuse pâtisserie de sa confection. Je dus renoncer ainsi à la crème caramel de chez Carrefour.

En fin de soirée, je me jetai sur le fauteuil pour prendre connaissance des informations télévisuelles. Enfin, me dis-je, une occupation d’une passivité normale dans une journée infernale. Les informations du jour achevèrent de me dérouter. Aucun SDF n’était mort de froid la nuit précédente alors que la température avait été fortement négative. D’après le Ministre de l’Economie, les français n’étaient absolument pas appelés à faire un effort pour combler le déficit de la Sécurité Sociale. En foot, il semble même que l’un de nos clubs se soit hissé en demi-finale de la Ligue des champions !

Je n’en pouvais plus. En me couchant, je me recouvrais la tête de mon drap : une journée aussi atypique m’avait éreinté. Mais le coup de grâce était à venir : en se regardant dans le miroir de l’armoire, Maryse ne me demanda pas si je ne la trouvais pas trop grosse ! 

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3 octobre 2007 3 03 /10 /octobre /2007 18:21

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Sur les cent douze nouvelles reçues au concours Calipso " Sens dessus dessous " dix sept avaient été retenues par les jurés dans une première sélection. Vous connaissez les auteurs des dix nouvelles lauréates mais pas les sept autres qui les suivaient de près. Comme ces dernières ne seront pas publiés dans le recueil 2007, nous avons proposé aux auteurs de les publier ici même. Nous commençons aujourd’hui la série avec Philippe Laperrouse

Une journée bizarre (1/2)

 

Il y a des jours où tout va mal.

Ce matin, par exemple, je me suis levé frais et dispo. Ne ressentant aucune lassitude, j’ai ouvert les yeux naturellement, au son de la douce musique, sifflée harmonieusement par les oiseaux du jardin. Je ne me suis pas offert le plaisir de maugréer en mettant les pieds à terre puisque mes pantoufles avaient renoncé à se cacher sous le lit pendant la nuit. Je n’ai même pas pu me traîner lamentablement jusqu’à la cuisine en évitant laborieusement les fauteuils du salon, tout en me grattant vulgairement le poitrail d’une main et en étouffant un bâillement de l’autre.

A partir de ce moment là, les difficultés se sont enchaînées. Dans la cuisine, je n’ai rien renversé : j’ai trouvé tout de suite le paquet de café. Il en restait suffisamment pour satisfaire mon envie. Maryse n’avait pas oublié d’en réapprovisionner la maison. Je n’ai pas répandu la moitié du paquet sur la table en me servant. L’odeur du café a achevé de me réveiller agréablement.

La suite s’est déroulée dans le même registre : les rues de la capitale étaient libres de tout bouchon. Les voitures avançaient plus rapidement que les piétons au grand étonnement de ceux-ci. L’air était presque respirable. Je n’ai pas pu, comme chaque jour, lorgner mes voisines d’embouteillage, fignolant leur maquillage en tendant leur cou gracile vers leur rétroviseur. Compte tenu de la fluidité du trafic, les commerciaux étaient obligés de garder la tête droite en conduisant alors que leur position ordinaire consiste à pencher le visage sur l’épaule pour coincer le téléphone qui les relie dès l’aube à leur clientèle impatiente.

En arrivant au bureau, j’allais de surprises en émotions : Véronique, la standardiste était habillée. Enfin, je veux dire qu’elle était vêtue décemment. Elle ne portait pas ses chemisiers transparents habituels, sa robe tombait de manière élégante jusqu’au genou. Contrairement à l’habitude, les regards virils ne s’attardaient pas sur son décolleté, les visages masculins dépités passaient rapidement. Aucun homme n’avait ce matin-là d’instruction particulière à donner à Véronique, en se penchant largement vers elle pour profiter agréablement du galbe de ses cuisses.

La réunion de direction du matin se déroula dans une ambiance surréaliste. Normalement, chacun y va de son monologue, sans écouter ses interlocuteurs. S’il peut couvrir de sa voix ce qu’essaie de dire son voisin, c’est encore mieux. Aujourd’hui, rien n’allait comme de coutume. Les cadres répondaient clairement aux questions posées, prêtaient attention aux arguments de leurs collègues, évitaient de se couper la parole et pire encore, ne tentaient pas de briller systématiquement auprès de la direction. A son air effaré, je sentais bien que le patron perdait pied et ne savait plus très bien où l’on allait.

Les choses s’aggravèrent dans la journée. Bérengère, ma secrétaire se montra parfaitement détendue. Elle ne mélangea pas mes rendez-vous. Le comble fut atteint vers dix heures trente, lorsqu’elle accueillit très courtoisement un client important, arrivant spécialement de Londres. Elle se chargea elle-même d’apporter le café sans passer un coup de fil aux représentants syndicaux de la maison ou penser, une seule seconde, à examiner sa convention collective pour déterminer si une telle tâche relevait bien de sa fonction. Je n’en revenais pas. Elle non plus d’ailleurs, elle finit par m’avouer qu’elle ne l’avait pas fait exprès.

L’après-midi me réservait encore quelques surprises. J’échappais aux ballonnements qui m’insupportent et à la somnolence qui m’envahit lorsque je déjeune chez la mère Andrée, la tenancière de ce bistrot du quartier qui nous accueille à l’heure méridienne. Même Bérengère qui se fait, tous les jours, un malin plaisir de rentrer en coup de vent dans mon bureau vers quatorze heures en espérant me faire sursauter, afficha sa déception. Nous cherchâmes une explication rationnelle à cette vivacité d’esprit dont personne ne me croyait capable à cette heure de la journée : nos soupçons se tournèrent rapidement vers la blanquette de veau de la mère Andrée. N’aurait-elle pas changé la recette qui alourdissait nos estomacs tous les mardis depuis quinze ans ?

à suivre…

Philippe Laperrouse

Etudes à la fois classiques et quelconques au lycée Ampère de Lyon.

Baccalauréat en Mathématiques arraché de haute lutte en 1967.

Licence de sciences économiques, plus décontractée, à Montpellier en 1971.

Stage exotique de deux ans en Cote d’Ivoire.

Fonctionnaire appliqué.

Converti à l’écriture depuis juillet 2005, au foot depuis toujours.

Quelques menus succès dans quelques sympathiques concours de nouvelles.

né le 31 mars 1949, il porte vaillamment ses 58 ans.
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1 octobre 2007 1 01 /10 /octobre /2007 17:25

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Comment traverser le dimanche sans penser au vide, sans songer au temps qui se conclut, sans frémir à l’idée de retrouvailles et de séparations, sans être pris par la proximité de la solitude, sans appréhender l’étrange lumière du soir, sans devoir endurer cette absence du bonheur attendu et sans entendre trotter le désenchantement, sans risquer au fond de mesurer la part d’échec qui nous échoit ?

Entre le " vivement dimanche " et le " c’est pas tous les jours dimanche " répété à l’envie par tout un chacun, on sent bien que le manque vient s’immiscer plus particulièrement ce jour-là, on sent bien la difficulté à justement satisfaire cette envie et l’épuisement à vouloir tromper le trouble. Le dimanche serait-il un jour de condensation du malaise et la mise en œuvre inconsciente de sa liquidation ou simplement le signe d’une inéluctable ambivalence ? Une chose est sûre, il nous faut bien faire avec.

Les mots parlent bien sûr et à n’en pas douter l’écriture agit comme une sorte de protection rapprochée dans notre appréhension du monde. Pour son premier recueil de nouvelles Magali Duru nous projette du côté de la face obscure de ce jour tourbillonnaire et si, au fil des récits, elle le tamise de vers endimanchés, d’apostrophes taillées au cordeau ou de chants prémonitoires, elle en fait avant tout le théâtre de toutes les confrontations, le lieu d’exposition d’une vérité crue où la chair et la pensée sont à vifs. Les beaux dimanches ou comment tuer le temps, ce temps qui ne passe pas ou si mal, ce temps que l’on voudrait éliminer pour ne plus avoir affaire à l’altérité, ce temps de l’autre en soi et en face de soi, cette inexorable durée qui nous fait sentir l’angoisse de la perte. Car dans ce livre où la mort, réelle ou supposée, est si souvent présente, Magali Duru ne nous la fait pas seulement palper du côté macabre, elle l’aborde dans sa version roman intime, là où se joue notre rapport à la folie.
Pour autant elle prend soin du lecteur qu’elle imagine pris par l’ambiguïté de cette relation et c’est avec un beau doigté, rigoureux et subtil qu’elle vient rappeler que la mort fait partie de la vie ; et quand bien même le décès ne serait pas tout à fait naturel, elle s’attache à ce que les survivants ne renoncent pas à vivre au prétexte qu’ils auraient été touchés de très près par le malheur. Aujourd’hui je suis un écureuil en cage mais un écureuil heureux… dit-elle. Alors, le dimanche comme un jour de commencement ? Libre et détendu ? On pense au film aigre-doux de Gérard Frot Coutaz " Beau temps mais orageux en fin de journée " et on ressent comme un pincement au cœur. 
 

Les beaux dimanches de Magali Duru aux Editions Quadrature, 136 pages, 16€ 


A noter sur vos agendas ou à apprendre par cœur :

Magali Duru présente son recueil " Les beaux dimanches "

Lectures de textes extraits du recueil et autres "petits polars", par Maëlle et Mo.

Le samedi 6 octobre 20h30 à Paris.

Relais du vin, 85 rue Saint-Denis, Paris 75001 métro les Halles.

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29 septembre 2007 6 29 /09 /septembre /2007 16:42

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Une chronique à la petite semaine de quelques judicieuses fabriques de littérature.

à cliquer dans les Aiguillages :

 

Sur Mot Compte Double

Le mot de la fin pour Scipion Lafleur, le héros du feuilleton épique de Désirée Boillot publié en alternance sur MCD et Calipso.

Stéphane Laurent

Ou le retour d’une plume qui ne se contente pas d’être journalistique…

Chez Quadrature

Magali Duru n’a pas de site mais elle est très bien située dans la vitrine des Editions Quadrature ; en conséquence de quoi vous ne pouvez pas manquer de la surprendre si vous cliquez  . 

Sur Lenonsens, revue littéraire hebdo/quinzomadaire

Hector Plasma fait toujours son redoutable numéro : de l’information en tant que sport national au sport considéré comme un fait de guerre… vous pouvez aussi vous intéresser aux autres chroniqueurs, ces estimables acolytes qui aident à passer à travers les murs de dentelles et les fenêtres cotonneuses…

Sur Histoire d’écrire

Le récit " Décembre en Afrique " se devait d’être écrit, c’est Corinne Jeanson elle-même qui s’en est chargé et c’est certainement la raison pour laquelle sa lecture est si attachante.

Sur Pour le plaisir d’écrire

Ernest J. Brooms refait le monde sur le mode palingénésiesque…

La dépêche expéditive de chez Reuters

Une Indienne de 12 ans a été battue puis pendue par sa mère pour avoir demandé à être scolarisée, rapporte le journal Hindustan Times. La jeune fille a été rouée de coups avec un rouleau à pâtisserie par sa mère dans un village de la région de Jodhpur, dans le Rajasthan. "La mère a pensé qu'elle avait tué la fille et, paniquée, elle a décidé de maquiller ça en suicide", a déclaré un policier au journal. La mère a été arrêtée. Le père, un ouvrier, a expliqué que la famille n'avait pas les moyens d'acheter la bicyclette qui leur aurait permis d'envoyer leur fille à l'école, située à quelques kilomètres de leur domicile.

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