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8 juillet 2014 2 08 /07 /juillet /2014 08:00

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Devinette

Joël Hamm

 

Ce qu’il faut pour garder la santé, c’est l’optimisme et varier les menus.  Un jour aux Restos du Cœur, place de la République, le lendemain boulevard de Ménilmontant, près du cimetière du père Lachaise. Là-bas, c’est un peu bruyant, les gens s’impatientent mais le camion de la mairie arrive toujours à 19h30. Je suis caissière dans un hyper de banlieue. Je passe 22 stations de métro pour venir. Quand mes horaires de travail me le permettent, j’essaie d’être parmi les premiers à attendre. C’est qu’on est près de 600. La patience est une qualité de pauvres que j’ai reniée. Plus de chéquier, plus de carte bleue, mes fins de mois commencent le 10. Ils servent de la soupe à volonté. C'est chaud, c'est bon. Que demander de plus. J’ai un petit appétit. Pourtant je me fatigue au boulot. Je bosse à toute heure du jour et de la nuit, été comme hiver. Ça change tout le temps. Le travail flexible, ça vous rigidifie le dos, je vous le dis. La direction de l’hyper vient de m’augmenter. Un euros de l’heure en plus. Ça ne m’arrange pas. Je n’ai plus le droit à la CMU. Je dépasse le seuil de pauvreté, qu’ils disent.

Devinez combien je gagne, par mois.

 

Brève, 26 juin 2014 

 « Elle braque le supermarché où elle travaillait. »

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6 juillet 2014 7 06 /07 /juillet /2014 08:00

Pecheur.jpg

 

Alors, ça mord ?

Jacqueline Dewerdt

 

Un brave pêcheur du dimanche,

Sérieux et fier de ses prouesses,

Pêchait, comme il se doit,

Ayant fait à sa belle de splendides promesses.

Un pied en avant et le poing sur la hanche,

Ne prenant garde au froid,

D’un œil distrait il surveillait sa ligne.

Il savourait ce moment de bonheur

Et songeait à son meilleur ami, homme digne

Connu pour la qualité de ses aquariums.

Ce point séparait nos deux hommes.

Petit détail, de l’avis de notre pêcheur.

L’un, de l’autre, admirait la science,

Quand son ami de lui vantait la patience.

Or donc, tout à ces belles pensées,

Notre homme ne voit pas le bouchon s’enfoncer.

Alerté par une secousse dans la main,

Il s’ébroue, se redresse, réalise soudain

Que s’annonce dans l’eau une prise de taille.

Bien ferme sur ses deux pieds,

Il s’apprête à livrer bataille,

Le visage sérieux et le corps cambré.

L’animal vigoureux ne se laisse point faire.

Le pêcheur n’est pas né de la dernière pluie ;

Lui, devant ce combat se sent à son affaire,

Respecte et admire l’invisible ennemi.

Il tire et lâche.

Il s’arcboute et soupire,

Doucettement, relâche.

Derechef fermement il tire,

Aperçoit un poisson orné de belles taches.

Intrigué, d’efforts il redouble,

Car pour si peu il ne se trouble.

Ce n’est pas là chose facile,

Mais notre homme, nous l’avons dit, est très habile.

Par ruse et par force, il gagne le dur combat

Et se retrouve devant un gros piranha.

D’une main ferme il s’en saisit,

En veut retirer l’hameçon

Mais aussitôt, pousse un grand cri.

De son doigt l’animal a coupé un tronçon

Et la bouche pleine dit d’un air tendre :

« Mon bon monsieur, tel est pris, qui croyait prendre. »

 

 

Brève, 4 juin 2014

À Saint-Dié-des-Vosges, un pêcheur a remonté un piranha au bout de sa ligne. Au moment d’être retiré, le poisson l’a mordu au doigt. Hypothèse des spécialistes : le propriétaire de ce poisson l’a sorti de son aquarium et l’a relâché dans l’étang.»

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4 juillet 2014 5 04 /07 /juillet /2014 08:00

Cadenas2.jpg 

 

Quand ils sont trop nombreux…

Emmanuelle Cart-Tanneur

 

- Si c'est pas malheureux ! En plein Paris, et en plein jour ! Tombés comme ça, comme des mouches !

- Moi j'étais passé devant la grille deux heures tout juste avant ! Si j'avais su...

- Ils étaient trop nombreux ; ça devait arriver !

- On aurait dû les interdire...

- Mais comment ? Ils venaient de partout s'accrocher là ! Tous au même endroit, les uns sur les autres, depuis le bas de la grille jusqu'en haut !

- Oui, des années qu'il en venait, du monde entier, pour avoir une place là et pas ailleurs..

- Et pour quoi faire ? Porter un message d'amour ? La belle affaire... Aussitôt en place, aussitôt oubliés !

- L'image était belle, et les photographes d'art s'en sont longtemps régalés : l'Amour en toutes les langues, message universel...

- Certes, c'était beau : mais risqué aussi ! Personne n'avait imaginé que la grille s'effondrerait un jour... et puis c'est arrivé.

- A-t-on pu en sauver certains ?

- Je doute qu'on se soit préoccupé de leur sort ; et si certains sont tombés à l'eau on n'ira pas les repêcher...

- Les grilles d'à-côté n'ont pas bougé, vous avez vu...

- C'est vrai ; mais m'est avis que ça ne va pas durer...

- La Mairie de Paris dit s'en préoccuper ; les riverains ont déjà déposé plusieurs plaintes...

- Ils ne sont pourtant pas bruyants !

- Bruyants, non, mais vous savez ce qu'on dit : c'est quand ils sont trop nombreux que les problèmes commencent...

 

Brève, 9 juin 2014

Une partie du grillage de la passerelle des Arts à Paris, où prolifèrent les « cadenas d'amour » que les touristes accrochent par milliers, s'est effondré dimanche 8 juin, dans l'après-midi, entraînant l'évacuation du pont.

 

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29 juin 2014 7 29 /06 /juin /2014 08:00

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La montre

Joël Hamm

 

Cette saloperie de Heavy Metal gueulait ses insanités par les fenêtres ouvertes. Ce genre de musique, ça me prend la tête. J’avais mon Glock dans la poche de mon blouson. La porte d'entrée était grande ouverte. Je suis entré. Zenacker était allongé sur un canapé, une bière à la main, les pieds nus sur un tabouret. Il n'a pas réagi quand je l'ai braqué, il s'est juste marré. Complètement pété. Ce mec était tellement stone qu’il restait là, à rigoler doucement. Il se foutait de moi. J'ai flingué son ampli. Ça l’a calmé. C’est là qu’une porte s'est ouverte dans un coin de son taudis et qu’un autre mec s’est pointé dans l'encadrement. Énorme, gonflé de partout, le bide débordant du jean, l’œil vitreux. Il a dit à Zénacker : C’est quoi ce nain de jardin, tu ouvres une garderie ? Et il s’est accoudé au buffet, tranquille, sa cannette à la main, shooté lui aussi ! Comme si je n’existais pas, comme si j’étais une hallucination. Ils auraient dû me faire pitié, mais j’ai vu le poignet du gros quand il s’est accoudé. Un cadran bleu, la montre de Zoubir. On en avait chouravée une cargaison dans un camion. La preuve que c’était ces zombis qui avaient liquidé Zoubir. Putain, piquer la montre d’un cadavre ! Leur victime. J’ai plié le gros en deux d’un coup de pied. Quand Zénacker a bondi sur moi, j’ai tiré, d’instinct. Mon bras a cogné le mur à cause du recul et un deuxième coup est parti tout seul. C’est le gros qui a morflé. Quelque chose a giclé, un œil, un bout de joue, un truc comme ça. Rouge. À gerber ! Zénacker était sur moi, j’ai encore pressé sur la détente.

 

Brève, 22 juin 2014

Nuit de la fête de la musique, un homme abattu par balles rue St Blaise dans le XXème arrondissement de Paris.

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27 juin 2014 5 27 /06 /juin /2014 08:00

Vivre.jpg

 

Si on me demande mon avis

Sophie Etienbled

 

 

Vivre

Moi je veux vivre

Mais pas comme ça

 

Je ne veux pas de ces machines qui respirent à ma place

Je ne veux pas ces tubes, ces tuyaux, ces alambics

qui transforment mon sang en plomb

 

Je ne veux plus être cloué à ce lit cette chambre cet univers

neutre jusqu'à l'écœurement jusqu'à l'assoupissement

Je ne veux plus entendre les chuchotements les pleurs

les cris où l'on dispute de ce que ne sera pas mon avenir

 

Vivre

Moi je veux vivre

Mais pas comme ça

 

Je veux marcher dans les champs ignorant le cours du Temps

Je veux me gaver d'odeurs de musiques de couleurs

 

Je veux m'emplir les poumons du vent qui terrasse les herbes

Je veux aspirer l'étouffante senteur des moissons

Je veux l'âcre suint des moutons

Je veux m'étouffer au vol des graminées

 

Je veux tressaillir à l'appel du vautour,

Devenir fou au violon des cigales

Détester les clochettes de vaches à l'œil de velours vide

Je veux pleurer avec le rossignol

 

Je veux m'immerger dans le jaune des épis

Je veux m'écorcher les yeux au cinabre des coquelicots

Je veux me noyer au paradis des bleuets

Ajouter ma nuance aux mille verts du décor

 

Vivre

Moi je veux vivre

Mais pas comme ça

 

Brève, 24 juin 2014

Vincent Lambert: l'heure de la décision a sonné.

La famille de ce tétraplégique en état végétatif se déchire depuis plus d'un an devant les tribunaux pour savoir s'il doit être maintenu en vie. Les 17 magistrats du Conseil d'Etat suivront-ils l'avis du rapporteur public d'arrêter les soins ? 

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25 juin 2014 3 25 /06 /juin /2014 08:00

100-ans.jpg

 

Question d’âge

Jacqueline Dewerdt

 

 

J’ai cent ans, dans le corps cent ans de neige, de gel, de pluie, dans les os cent ans de froid.

J’avais un mois et de la gnole dans mon biberon.

J’ai cent ans, dans les oreilles cent ans de cris, d’insultes, de silences, dans le cœur cent ans de peur.

J’avais un an un bras et une jambe cassée.

J’ai cent ans, sur la peau cent ans de bleus, de plaies, de bosses, dans le corps cent ans de coups.

J’avais sept ans, mon frère me disait que nous allions nous enfuir.

J’ai cent ans, dans mes veines mes parents ivres, dans les oreilles les hurlements de mon père, les gémissements de ma mère, dans le cœur cent ans d’horreurs.

J’avais douze ans, nous avons traversé la moitié de la Russie.

J’ai cent ans, dans les jambes cent ans de chemins, de boue, de soleil, de villes, de forêts, sur moi les traces des hommes, violeurs, voyous, policiers, soldats.

J’avais quinze ans, je me terrais dans les trous de Moscou.

J’ai cent ans de faim, de nuits sans sommeil, cent ans de pourriture, d’alcool, de terreur, dans le nez cent ans de vapeurs de colle.

J’ai vingt ans, je suis libre, je suis seul. Je sors de deux mois de prison en pays inconnu.

J’ai vingt ans, j’ai dans la tête le souvenir de mon frère, le souvenir des hommes et mon frère avec eux et j’ai cent ans d’être seul, cent ans de vide, de larmes rentrées, de dents serrées.

 

Vous pouvez chercher dans mon sang, dans mes os, dans ma peau, j’ai un an, j’ai cent ans.

 

Brève, 8 juin 2014

Immigration. La cour d’appel de Lyon a relaxé un jeune Russe suspecté d’avoir menti sur son âge pour obtenir le statut de mineur étranger isolé. La cour a estimé que l’expertise scientifique n’était pas suffisante pour déterminer avec certitude l’âge du jeune homme.

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23 juin 2014 1 23 /06 /juin /2014 08:00

Gluten.jpg

 

Intolérance au Gluten

Corinne Jeanson

 

 

Patrick m’a mise dans une situation particulièrement embarrassante. Ecrire sur les faits divers.  Ce matin, j’accomplis ma mission : la lecture de mon quotidien régional, pages faits divers. Je découvre l’un après l’autre les articles : «La secrétaire d’une entreprise de BTP aurait détourné 200 000 euros. ». « Son voisin l’insulte à cause du bruit, il le frappe et lui prend sa carte bancaire. » «Poursuivi dans un centre commercial pour recel, vol, tentative d’escroquerie, menace avec armes et usage de fausse plaques», comportement rocambolesque, comme le souligne le dit-quotidien.

En parcourant le journal, je pensais  que notre société allait bien mal, si le voisin de palier, la secrétaire, le consommateur deviennent déboussolés, instables, déviants, hors la loi. Et je soupirais : ma tâche est  impossible à remplir. Parler d’un fait divers sans chercher à comprendre notre société. Sans évoquer notre monde et ses contradictions.

Page suivante, fait divers insolite :  « Le traiteur local a dû s’adapter au Premier ministre ». Devant un parterre d’élus locaux, notre Chef de gouvernement national était venu défendre le « made in Ardèche». Hélas, son intolérance au gluten l’a privé des plats locaux. Intolérance. Gluten. Quelle drôle d’intolérance ! Je sifflotais dans ma tête cette vieille comptine que récitait ma fille à l’école primaire : «Le Pape est mort, un nouveau Pape est appelé à régner. Araignée ! Quel drôle de nom, pourquoi pas libellule ou papillon ? Vous n'avez pas bien compris, je recommence. » Non, décidément, ils n’ont pas bien compris. Se mettre au régime, c’est leur nouvelle politique ?

L’intolérance au Gluten, quelle rime trouver avec Gluten ? Fontaine, mitaine, alien, et pourquoi pas haine ? Je poursuis la lecture de mon journal, assise dans mon pré vert,  à l’ombre de mon tilleul en fleurs, en fumant une cigarette « made in Ardèche. » Demain, c’est promis, je trouverai la rime pour Gluten. Intolérance au Gluten.

 

Brève, 14 juin 2014

Après son discours, Manuel Valls a échangé avec le député Olivier Dussopt mais aussi Didier Guillaume et Hervé Saulignac, présidents des conseils généraux de la Drôme et de l’Ardèche, autour de petits plats « made in Ardèche ». Le traiteur retenu a composé sur mesure pour satisfaire le Premier ministre.  Non pas de caprice mais à cause d’une intolérance… au gluten. Et pas à la gastronomie ardéchoise. Ouf ! Sa popularité en aurait pris un coup.

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21 juin 2014 6 21 /06 /juin /2014 08:00

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Partie de chasse

Nelly Bridenne

 

 

Désiré se préparait pour la battue : affublé de sa tenue kaki-mercenaire, protégé par son gilet jaune fluo et sa casquette orange sanguine, chaussé de ses bottes imperméables et le fusil cassé sur l'épaule, (c'est plus prudent) il partait rejoindre ses collègues chasseurs : Riton, Fifi et les autres.

Les « cochons » n'avaient qu'à bien se tenir ! Ce serait leur fête aujourd'hui !

C'est vrai quoi, disait Riton, ils nous envahissent ! Ils vont être bientôt plus nombreux que nous !

Néanmoins, Riton tenait le même discours à propos des sangliers et des étrangers...

Premier arrêt obligatoire chez Marie-Line (rien à voir avec « Poupoupidou », ah non alors !) pour un p'tit caoua-Armagnac, la gnôle locale, pour réveiller son homme.

La horde de viandards se rendit ensuite en lisière de forêt où Riton les plaça : une partie pour surveiller l'orée du bois sur toute sa longueur, et les autres pour s'enfoncer dans la pinède.

On était fin octobre, l'été gascon était agréable, la brume s'était dissipée (sauf chez certains qui avaient abusé du café arrangé), le soleil était de la partie, la journée s'annonçait jouissive.

Désiré était chasseur occasionnel : pas de chien, (son vieux Voyou était mort) il tirait maxi 10 cartouches par an et visait très mal.

Il préférait de loin se promener dans la garenne, ramasser les cèpes en automne, les pignes parfumées qu'il jetait dans la cheminée et admirer les grues cendrées survolant la lande.

Il avait répondu présent pour ne pas se fâcher avec Riton l'autoritaire.

Bah, il n'était pas obligé de tirer. Il se positionna dans le bois en bout de file, assez loin de son voisin immédiat. Dans le sol sableux, il reconnut l'empreinte des sabots d'un chevreuil, suivit sa piste et l'aperçut, affolé par les aboiements des chiens et les détonations des fusils, détalant au plus vite.

Ses sauts gracieux, sa tête élégante surplombée de bois, sa croupe blanche et sa robe fauve, lui suscita un sourire. Quel animal magnifique ! Quel don de la nature ! Jamais il ne lui ferait de mal...

Soudain, Désiré ressentit une douleur vive à l'épaule gauche qui le paralysa. Il s'affala sans bruit dans la bruyère, sa tête reposant sur un oreiller de tourbe et de mousse.

La mère Nature rendit un hommage à ses sens en adoucissant ses derniers instants : des fougères dentelées protégèrent son visage de la brûlure du soleil ; des aiguilles de pin et un tapis d'humus ouaté embaumèrent délicatement sa couche ; des demoiselles peu farouches lui chatouillèrent le nez ; plus haut, sur un pin perché, un pic vert accentua ses percussions, pendant que son voisin l'écureuil fronçait son museau en rythme ; enfin, en fond sonore, des corbeaux bavassèrent en total désaccord. 

Désiré ferma les yeux pour profiter de ces ultimes présents...

Il ne sut jamais ce qui l'avait terrassé : le plomb d'un chasseur maladroit ou une banale crise cardiaque.

 

                                                                                                         

Brève, octobre 2013

Un chasseur a été tué lors d'une battue, plusieurs chasseurs étaient alignés et venaient de faire feu sur un sanglier. L'animal a été blessé, mais l'un des hommes s'est également écroulé, touché sous un bras.

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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 08:00

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Ça tonne là-haut !

Danielle Akakpo

 

 

– Dis-moi, Pierre, je ne peux pas avoir l’œil et l’oreille à tout, mais cette rumeur qui court depuis ce matin chez nos bienheureux, les agite et les indigne, commence vraiment à me les chauffer, les oreilles ! Je veux en avoir le cœur net. Alors, info ou intox ?

– Ma foi, chef, info ! Le père Michel est bien convoqué au tribunal de S. le 11 juin.

– Et tu attendais quoi pour me mettre au parfum ? Qu’a-t-il donc fait de si grave ? A-t-il rompu son vœu de chasteté et épousé une de ses paroissiennes ? Il faudrait d’ailleurs que je réfléchisse au problème et envoie mes instructions à Rome ; nous devons progresser dans ce domaine.

– Non, chef. Rien de cela.

– Alors, a-t-il eu des relations homosexuelles consenties ? Ce serait bien d’en finir aussi avec cette discrimination, je vais me pencher sur la question, et tant pis si Titine Boutin nous lâche.

– Rien de cela non plus, chef !

– Enfin, on ne traîne pas un prêtre en justice pour une paille en croix !  Ah ! Ne me dis pas que c’est encore un de ces voyous de pédophiles qui assouvissent leurs vilaines pulsions avec les gamins ou les gamines de la catéchèse ! Si c’est le cas, tu m’envoies vite fait bien fait un SMS à Lucifer. Qu’il descende le chercher manu militari et lui chauffe les pieds... et tout le reste sans pitié aucune.

– Non, chef. Le curé Michel recueille régulièrement dans son église des demandeurs d’asile qu’il nourrit et soigne si besoin est. Et c’est de ce crime qu’il va devoir répondre.

– Par tous mes Saints, depuis quand le devoir d’assistance à son prochain est-il devenu délit, et aux yeux de qui ?

– Aux yeux de la loi et de la mairie de S. qui a porté plainte.

– Jésus, Marie, Joseph... Les bras m’en tombent.

– D’autant que le motif principal de la plainte paraît douteux : conditions de sécurité non remplies.

– Est-ce le cas ?

– Des clous, chef ! Mauvais prétexte. Ladite église serait dangereuse pour l’accueil de ces pauvres gens sans papiers, mais il se trouve qu’elle ne l’est pas pour la foule des fidèles qui s’y pressent aux offices.

– Alors, il faut agir, mon Pierre. Tout faire pour que ce brave curé plein de bonté et de charité chrétienne ressorte du tribunal la tête haute ornée d’une auréole de futur canonisé. Tu files dare-dare chez François.

– Lequel ?

– Pas celui de Paris qui fait tout à l’envers, voyons !  Celui de Rome, grand bêta ! J’exige qu’il soit présent le 11 juin au tribunal de S. avec toute sa clique de cardinaux et qu’il fasse un ramdam de tous les diables, enfin, je me comprends...

– Le pape François, le pape François... il en a de bonnes, le père Dieu, je vais faire comment, moi, pour le convaincre le pape François ?

 

Brève, 30 mai 2014

Il héberge des demandeurs d’asile : un curé au tribunal.

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17 juin 2014 2 17 /06 /juin /2014 08:00

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Tasmania Airlines

Dominique Chappey

 

 

C’est pas mal ici. Meublé avec goût. Ça change.

Parce que j’en vois des apparts tape à l’œil, des pavillons m'as-tu-vu. Des terriers qui se cachent derrière le petit doigt des drogués de la déco. Des cases où se rangent bien sagement les accrocs du ripoliné gris taupe tranché fuchsia avec cadre rococo bombé poudre d’or.

Avec les horreurs qu’on balance à la télé, faut pas s’étonner qu’ensuite la notion du beau rétrécisse au lavage scandinave. Entre ersatz de rêve et principe de réalité, il y a confusion des genres. Bilan, on masque des goûts de chiotte derrière des décors de cinéma qu’on achète dans les hangars à gogo de la grande distribution.

Il existe des associations de couleurs qui devraient être encouragées par les compagnies d’assurance, plus dissuasives qu’une alarme anti-intrusion. Des fois, je prends des coups au cœur quand le faisceau de ma lampe torche théâtralise leurs dernières créations. En ce moment, les trucs à la mode qui vous posent tout de suite un intérieur, ce sont les grands pans de murs unis avec des stickers géants. La version décoration d’intérieur du copié collé.

Les stickers animaliers, ça, c’est une belle invention. Deux minutes de marouflage et paf ! Un tigre dans le salon ! Faut avoir le palpitant bien accroché. Ou pire, les silhouettes noir et blanc en ombres chinoises taille réelle sur la porte des toilettes : nez à nez avec Hitchcock et son ventre de profil au beau milieu de la nuit ou bien plus branchouille, ramené de la dernière biennale d’art contemporain : la petite fille aux ballons qui s’envole vers le plafond. La première fois, j’ai fait un bond de trois mètres, et toute la nuit, je sursautais quand je croisais mon ombre.

Le métier devient éprouvant, j’ai plus vingt ans.

Mais ici rien à dire. Depuis mon petit tour du propriétaire, pas de mauvaises surprises. Du massif, quelques meubles de prix, mais pas seulement, un mélange harmonieux, confortable sans être pantouflard, des valeurs sûres sans tomber dans le rustique artificiel. De l’élégant.

Et le bar, mes enfants, le bar ! Un bijou ! Un happening artistique à lui tout seul ! Variété, richesse, audace !

Je me croyais connaisseur de whisky. Le hasard de mes déplacements professionnels, quelques années d’expériences et de dégustation in situ m’encourageaient à le penser. Passées les portes de cette propriété, j’ai découvert le territoire d’un grand maître. Du bout des gants, j’ai caressé des étiquettes que je n’avais vues qu’en photo. D’autres que je redécouvrais avec émotion. Comme un gosse devant un étalage de bonbon, je ne savais plus où donner du palais. 21 ans d’âge pour ce pur malt des Highlands, solide et subtil à la fois. Agressivité saline typique de cette petite distillerie insulaire que je croyais perdue. Velours délicat et tourbé reconnaissable entre mille de cette cuvée exceptionnelle.

Et puis, pourtant presque sectaire en matière d’appellation, j’ai pris une sacrée leçon d’humanité. Fi des restrictions territoriales ! Au diable les vieilles frontières de la river Tweed jusqu’aux Shetlands. De l’espace, du rêve ! De l’ouverture d’esprit ! Une invitation au voyage. L’Internationale revisitée. Des whiskies venus de tous les horizons, tous les continents. Vous saviez qu’ils fabriquent des petits trésors en Tasmanie ? En Tasmanie ! Je l’ignorais.

Les moments rares, on les étire pour faire durer, jamais certain d’emprunter à nouveau de tels itinéraires. Alors forcément quand on atterrit chez un homme de goût, un esthète. On s’attarde.

 

Brève, 31 mai 2014 

Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône). Un cambrioleur ivre s’endort sur le canapé du salon.

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