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11 novembre 2006 6 11 /11 /novembre /2006 08:47

" La caisse de bière ", c’est l'un des titres signé par Marie Ragot pour le recueil " De Temps en Temps " du groupe Folitudes.

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Blonde, brune, rousse, au malt ou au houblon, brassée à l’eau de source…

Rien que d’y penser, à cette caisse aux bouteilles " vert bouteille " ou pain brûlé, à simple goulot ou à capuchon de papier doré, ou encore, comme leur ancêtre, au bouchon de porcelaine blanche et fermeture métallique avec la bague de caoutchouc, rien que d’y penser, Gustin souriait : cette fraîcheur qui perle sur le verre, qui mousse, toute renflée, qui vacille, prête à déborder ; qui revigore comme l’eau de la fontaine après la route des Crêts ou la montée du Pavé.

Depuis le temps qu’il aidait au café, Gustin n’en était pas à sa première caisse de bière. Toujours la même, la caisse de bois solidement clouée, à douze casiers.

Mais le plaisir de la première goulée, par contre, malgré son grand âge et ses bras de plus en plus gourds, que ce soit au frais sous les platanes ou l’hiver devant le poêle qu’on bourre jusqu’à la gueule avant la sortie de la messe du dimanche ou les jours où l’on accompagnait à la dernière demeure un vieux compagnon (de ces jours où il gelait parfois si fort que le pic à vigne avait du mal à entamer la terre), ce plaisir là : le tintement de la canette, le bruit sec de la capsule qui libère son collier de mousse, et la bière qui coule en ondulant, fraîche, blonde, ronde, juste amère, ce plaisir, Gustin le savourait avec la même jouissance.

Las, parfois, Gustin restait pensif et prostré sur sa chaise paillée, " la sienne propre " comme on aimait à ironiser, tournant le dos à toutes les modernités, tels le plastique et le formica, qui forçaient les portes de nos campagnes. Le vieux Gustin était de ces hommes taillés tout d’un bloc dans le chêne. Depuis tout " mâtru ", il avait connu la garde des troupeaux, puis les travaux des champs et la fonderie, enfin, avec ses cadences infernales, les trajets à vélo par tous les temps, et même à pieds l’hiver, quand les congères barraient le chemin ou qu’à la première relève du poste le chasse-neige n’était pas encore passé. Il savait aussi goûter aux joies simples d’une partie de " lyonnaise " ou de " coinche ", avec la bière du dimanche qui danse dans le verre.

Bien que sobre, Gustin était un fidèle du café. Il avait toujours " prêté la main ", disait-il avec une humilité mêlée de fierté, pour décharger les caisses du limonadier qui cornait tous les troisièmes samedis " tantôt ", pour descendre les caisses à la cave par la trappe de sapin et les remonter " à cha-peu " derrière le comptoir le dimanche matin.

Discret, Gustin se rappelait que seul le temps de la guerre l’avait éloigné du village et du café. Il s’y revoyait encore comme s’il y était : la mitraille, les canons qui pleuvaient leurs obus, l’odeur âcre de poudre, de l’herbe roussie et des ruines fumantes, la trouille ou la chaleur sans eau qui trempait le treillis et les molletières ou les pieds gelés qui éclataient dans les brodequins, tel ou tel fauché plus vite qu’un jeune foin, qui criait " maman ", tel ou tel qui lui enfonçait ses ongles dans le bras comme pour retenir la vie, les sirènes, les hurlements, les gémissements, les derniers mots étouffés, les yeux révulsés et la grimace du dernier sourire, et puis la corne de brume au fond d’un fjord de Norvège, le goût amer de sa bière frustre, presque noire, dans les relents de la morue partout, mêlés aux larmes et aux " hourras " de la victoire...

Aujourd’hui, avant de passer le costume de drap noir, de mettre le harnais de cuir pour porter le drapeau à la cérémonie du souvenir, avec son rituel immuable : la gerbe bleu blanc rouge couchée au pied du monument comme un épagneul docile...

"  Ouvrez le ban ! " - la sonnerie aux morts, le drapeau qui s’incline en génuflexion, et seul, le cliquètement de sa pointe de laiton au vent du Nord qui trouble la minute de silence, comme à chaque fois... " Fermez le ban ! "

Aujourd’hui, disais-je, Gustin montait la caisse de bière pour le repas des anciens combattants.

 

Mâtru : jeune enfant qui a encore besoin de sa mère (Mater). Coinche  : jeu de belote à la mode bas Dauphiné. Lyonnaise : jeu de boules qui se pratique dans la région lyonnaise sur un grand terrain délimité (par opposition à la pétanque). Cha-peu : petit à petit. Tantôt : l’après-midi

Marie Ragot

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9 novembre 2006 4 09 /11 /novembre /2006 17:54

 

Paul Fournel pratique le vélo, le coup de peigne et l’Oulipo*. Il a tant aimé les pelotons de tête et se pelotonner dans l’intimité du crâne des femmes qu’il en aurait fait une carrière si les charmes de l’écriture ne l’avaient rattrapé. Les deux nouvelles publiées dans la collection la maîtresse en maillot de bain évoquent avec bienveillance ces vocations ratées. Au fil de la narration on sent poindre la nostalgie d’une époque enfantine où la vie pouvait être un miracle. La force de l’auteur est de savoir rester maître de ses passions et d’éviter l’écueil d’une contemplation désuète. C’est avec douceur et légèreté qu’il cisèle ses souvenirs d’enfance dans le salon de coiffure des parents et c’est en danseuse pugnace qu’il revisite la course cycliste autour du monde et de son quartier. Sous sa plume, le lecteur devient à la fois témoin et camarade de ses candides aventures. Les phrases sont gorgées de tendresse, les mots ont le goût simple des caramels à un franc et la fraîcheur des Eaux de Cologne ; ils sont offerts au grand-père raseur et blagueur, à la mère qui, une veille de Noël, le promut compère et complice au salon de coiffure de ces dames lui permettant ainsi de goûter au charme des frisettes qui moussaient dans le cou et sur les tempes, ils sont enfin dédiés à l’infortuné crack du Grand Prix de Bas en Basset pour lequel il s’était dévoué corps et âme.

Loin d’être tirés par les cheveux, ces deux récits ravivent délicatement quelques couleurs du passé.

 

* La Littérature Oulipienne est une littérature sous contraintes.

Un auteur oulipien est "un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir".
Il s’agit d’un labyrinthe de mots, de sons, de phrases, de paragraphes, de chapitres, de livres, de bibliothèques, de prose, de poésie ...

 A la ville comme à la campagne de Paul Fournel aux Editions Après la Lune, collection La maîtresse en maillot de bain, 56 pages, 6€

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7 novembre 2006 2 07 /11 /novembre /2006 22:45

 

Cela pourrait être à l’heure du journal télévisé, cette fiction de fin de journée mêlant les vivants et les morts, le réel et le virtuel, l’insolite et le sordide. Le regard est appliqué, l’oreille aux aguets. Des mots s’attrapent au vol, des images se fixent sur la rétine. Les bavures virevoltent entre deux volutes de nuit grave. Quelquefois l’effroi, les larmes, le dégoût. Faire le mort. Prendre le fou rire. Une saignée en direct, une amputation droit dans les yeux. Encore et encore. Combattre, mourir, porter la médaille. On appelle ça les sentiers de la gloire.

 

Le centième post est signé Magali Duru.

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Et tous les parfums de l’Arabie heureuse…

 

Le séquoia bien ciré de l’immense table ovale brille. Une cafetière en argent s’incline sur les tasses, l’une après l’autre. Dans une corbeille de porcelaine garnie d’un napperon amidonné circule un assortiment de viennoiseries toutes chaudes. La réunion commence à peine. Des sacoches en cuir fin sortent liasse après liasse fax et photocopies fraîchement imprimés. A l’odeur stimulante du café se mêlent les riches effluves des bagels et les fragrances des eaux de toilette. Luxueuses mais discrètes, comme il sied à des généraux cinq étoiles.

Le présentateur a la cravate bleue et le regard assorti des grands jours. Derrière lui, les puits de pétrole en torchère qui servent de fond d’écran depuis quelques semaines. Ensuite des hommes en kaki. Sous les casques, alternativement, des bruns frisés et moustachus, puis des crânes presque rasés aux traits nordiques. Un défilé de bombardiers fend le ciel. La Bourse, à présent, hoche la tête devant la lente décrue des valeurs. Quelqu’un zappe. Sur une autre chaîne surgissent les mêmes cartes d’un orient jaune sable et bleu Oman, zébrées des mêmes flèches rouges. De la cuisine arrivent des chuchotements de soupape, puis l’affolement d’une cocotte-minute. Elle couvre les commentaires du spécialiste des relations internationales, en exhalant le fumet de plus en plus reconnaissable d’un bœuf bourguignon relevé de laurier et de paprika.

Il va l’avoir. Les doigts du tireur se crispent, s’agitent. Il respire plus vite. Au coin de sa bouche, la bulle d’une mousse rose, qu’il aspire par à-coups. Le type caché va forcément se montrer. Tout sera dans l’anticipation, née de l’expérience. Tout sera dans la rapidité de ses mains agiles, l’acuité de sa conscience aiguë, prémonitoire du danger. Une silhouette surgit, enfin. La déflagration apparaît sur l’écran. L’homme se contorsionne, semble s’envoler, retombe, se remet à courir, escalade un mur. Il faut recommencer à le traquer. Les doigts du gamin s’affolent sur les manettes du jeu vidéo. Il psalmodie un chapelet rageur et jouissif de gros mots interdits. Une bulle éclate, dans un léger relent de fraise chimique : d’un claquement de langue, il remballe son Malabar. Derrière lui, sur la table du salon, un bol de chocolat chaud refroidit, dans une petite vapeur blanche aux senteurs familières de lait et de cacao.

Quand il sort de la salle de bains, elle est déjà couchée. Il se penche vers elle, l’attire à lui par le menton, goûte ses lèvres comme un vin. Framboise et épices. Elle se serre contre lui, s’agrippe à lui. Il ferme les yeux, hume ses cheveux, plonge dans leur nuit flamboyante traversée de musc et de vanille, goûte ce salé-sucré-crissant capiteux qu’il reconnaîtrait au bout du monde et qu’il va essayer d’emporter avec lui. Sur le dossier de la chaise, à côté du lit, attend une chemise bien repassée qui fleure l’assouplissant à la lavande. A la poignée de la fenêtre entrouverte se balancent sur un cintre la veste et le pantalon d’uniforme, juste au dessus du paquetage réglementaire. La brise fait palpiter l’odeur rêche du tissu neuf.

Une marmite de riz bouillonne. Autour et au-dessus, les mouches tournoient, par centaines. Au-delà d’un petit mur de pierres sèches, dans quelque chose d’indéfini qui n’est ni champ, ni friche, ni désert, un tank, immobilisé, tourelle pointée vers le ciel.

Au pied du petit mur, deux hommes étendus. L’un, en uniforme, pratiquement décapité. Une mare noire englue le cou, la veste, la terre devant lui. L’autre, en tunique rayée, est à plat ventre, le nez dans une bouse. Les mouches montent et descendent du trou brun dans son dos.

Quelques Marines s’approchent à bonne distance des corps, regardent en silence puis font demi-tour, se penchent sur la marmite.

Le riz n’est pas cuit. Ils attendent.

Ici, ça pue la mort.

Magali Duru

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5 novembre 2006 7 05 /11 /novembre /2006 13:57

 

Cet été, j’ai relu Ubik de Philip K. Dick. D’une seule traite. Comme la première fois, il y a une bonne trentaine d’années de cela. C’était alors dans la collection argentée Ailleurs et demain de chez Laffont. Enfin, c’est ce que je crois car l’argent semble s’être désagrégé au fil des ans et domaine étranger apparaît aujourd’hui comme l’appellation d’origine. L’effet Ubik sans doute. Ubik est un mot passe-partout, un mot valise, un mot compte double, dirait Françoise Guérin. Ubik, c’est de la science fiction en trompe-l’œil. C’est un concept, un état d’esprit, une marche vers les étoiles, une descente aux enfers, un exorcisme, un remontant, un somnifère, un antidote, une vinaigrette, une pierre philosophale, le grand Autre, du poil à gratter, un cataplasme, un miroir, une seconde peau, une seconde chance… car voyez-vous, en toutes circonstances et en tout lieu Ubik se doit de vous remettre sur pied. Sauf qu’Ubik c’est aussi la référence d’un monde où l'incertitude et l’ambiguïté sont souveraines. Ubik est sans danger si l’on se conforme au mode d’emploi. La formule est sans cesse rappelée. Seulement pour Dick le mode d’emploi, c’est l’homme lui-même et son appréhension du monde, son désir d’aller de l’avant ou son renoncement à vivre.

Dans l’univers de Philip K. Dick on est jamais sûr de rien. Les morts ont encore le cœur à l’ouvrage pendant que les vivants suffoquent à l’idée d’être poussière. On évoque souvent la folie chez Dick mais son attirance pour les drogues hallucinogènes, son attrait pour les mondes parallèles, sa quête d’immortalité et sa recherche d’une vérité transcendantale en font avant tout un être tourné vers le mysticisme, un homme en proie à une incoercible angoisse de mort.

La revue Transfuge consacre dans son numéro 13 (novembre, décembre), un dossier fort honorable sur l’œuvre et le parcours singulier de l’écrivain.

 Ubik de Philip K. Dick aux Editions 10 18, Robert Laffont, 285 pages.

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2 novembre 2006 4 02 /11 /novembre /2006 19:43

 

Le centième post du blog calipso est pour très très bientôt. Pour fêter l’événement, la page du centième sera offerte à l’un des abonnés (ancien, récent, voire très récent pour celui qui saisirait l’occasion de s’inscrire avant le terme). Thème, forme et style sont libres à condition toutefois d’être assez court (une à deux pages d’écran). Le sujet retenu sera bien évidemment le résultat d’un choix qui ne pourra être que subjectif.

Merci d’envoyer vos propositions sur assocalipso@free.fr

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1 novembre 2006 3 01 /11 /novembre /2006 23:36

 

Cette nouvelle de Patrick ESSEL fait partie d'une série de récits concoctés à partir de ses rencontres professionnelles.

 

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C'est trop compliqué pour eux. Ils se disent que quelqu'un d'autre m'habite et ils ne m'écoutent plus. Grand bien leur fasse ! Ils ne savent pas ce que j'ai en tête. La gestation est quasiment terminée. Bientôt, je serai assez forte pour passer à l'acte. Un vrai sale coup tordu dont tout le monde se demandera ce qu'il y a derrière. Ils auront beau forcer leur curiosité, ils ne sauront rien de ce qui m’inspire. Sûre que les commentaires rivaliseront d’extravagances, chargés d’horribles exclamations de stupéfaction. La polémique durera des jours et des jours et ils ne seront pas plus avancés quant au fait de savoir si je suis une véritable personne. La panique aura raison de leurs certitudes et c’est tant mieux. Seul comptera le dégoût qui leur viendra du fond du ventre. A tous. Ouais, il faudra qu'ils aient le cœur bien accroché.

Je n'ai encore rien de définitif en tête pour entamer le branle-bas. J’aurais bien envie de m'en prendre à cette grosse vache d'épicière ou à cette couille molle de concierge rien que pour les entendre crier leur mère, mais cela ne mènerait nulle part. Ce ne sont pas les plus pourris. Et on mettrait ça aussi sec sur le dos des shootés qui squattent les caves de l'immeuble. Pas sûr du tout qu'une télé soit appâtée.

Pour la suite, je suis parée. Il n’existe pas une seule chose que je ne veuille profaner. Le moment venu, il n'y aura pas d'embrouille sur les objectifs. Les premiers spectateurs maquilleront leur trouille en invoquant les frasques d’une petite sauvageonne mais dans toutes les éditions spéciales on aura vite fait de titrer sur La Barbare.

Je ne prendrai aucune précaution particulière. J'agirai en plein jour, au beau milieu de l'après-midi et en plein centre. Le centre c'est plein de cloches qui arpentent, de guerriers pomponnés au flashball et de petites frappes à la mode qui n'en ont rien à foutre de rien.

" En plein jour, c'est comme ça que t'auras le plus de bonheur " il m'avait dit le grand-père. Et en plein jour, le centre, c'est le top du vice.

Pour ça, autant dire que j'irai pas les mains vides, j'emporterai toute la mitraille que le pépé avait planquée juste avant d'être dessoudé. Une mort magnifique, troué de partout par une bande de teigneux en uniforme, surgis de nulle part au beau milieu d’un effroyable grondement de tonnerre.

Je ne me fais pas de cinéma, je sais que malgré toute cette belle artillerie, je n'échapperai pas aux tirs croisés des bourriques et des chiens de quartier. Je les vois déjà tourbillonner, les mâchoires trempées dans la fureur, apprêtées pour la tapageuse. Ils seront comme à la manœuvre et arroseront toute la zone à coup de rafales d'armes automatiques en gueulant les pires saletés. Sauf qu’ils n’auront pas la moindre idée de ce qui les attend en face. Je suis pleine. Pleine à ras bord d’une vie bénie par les anges. Avec leur bonne étoile, j’ai de quoi taper dans le mille sans que le pépé ne vienne à la rescousse. Je suis seule sur ce coup. Il n'y aura que moi pour orchestrer les explosions : et bing les vitrines et bang les devantures et bing et bang les bagnoles et les fourgons, et bing là haut les corbeaux et bang les petits coins de paradis et bing et bang les gros cubits de la petroleum. Bang ! Bang ! Bang ! Et basta pour les collatéraux !

Après le feu d'artifice, je filerai droit à mon trou et le tour sera joué. J'attendrai roulé en boule au milieu des taupes. Pour me déloger, faudra qu'ils ratissent le plus petit recoin aux peignes à morpions. Ils piailleront de toute leur force " à la folle à la folle " Leurs cris me revigoreront. Ils feront renaître en moi l’envie de m’accaparer la place de quelqu’un d’autre. Je ne sais pas encore quel autre. Je vois simplement ses yeux mais je goûte déjà au souffle de sa bouche, je sens ses doigts triturer quelque chose en bas du ventre.

Je sais que je serai blessée avant la fin du jour. Une blessure au ventre justement, douloureuse et odorante. Mais on ne m’entendra pas. Je me plierai en deux et je resterai coite, l’esprit en berne et les jambes serrées. Ils n'auront que leurs gros yeux bouffis et leurs blaires crotteux pour renifler ma trace.

" Du sang et des tripes à l'air, rien de tel pour s'attacher la sympathie des caméras", disait grand-père.

Je zipperai la nausée à coup de tord-boyaux et je soulagerai les tripes avec des encres bleues, vertes et jaunes. Après ça elles ressembleront aux bonbons flagada, des vachement bons bonbons et je chanterai à tue-tête l'hymne de grand-père : "bleues, bleues, bleues, les tripes sont bleues… vertes, vertes, vertes, les tripes sont vertes… jaunes, jaunes… jaunes… les tripes sont…

Le sang me rappellera d'autres jours où d'autres ont titubé, étrillés par les crachats venus de la terre mais il réveillera aussi le souvenir de ceux qui ont avancé, les yeux rugissants, avec des pensées aiguisées à la vue de drapeaux rouges et noirs, des pensées âcres, pleines de ramures grondantes, exécutives.

Quand ils feront irruption, je ne dirai rien. Je ne chercherai même pas à leur faire entendre la mort. Ils seront tous là, je le sais. Les pompiers et les docteurs, les reporters et les justiciers. Ils m'entraveront nue sur leur autel et prendront des dizaines de clichés de mes entrailles et ils dresseront leurs zooms et leurs stéthos sur mes gros tétons avant de les planter dans la profondeur de mes cuisses grandes ouvertes. La lumière sera blanche, éblouissante, ravageuse. Au début, je serai encore belle, offerte à la pluie des males. Les plus jeunes voudront s'attarder, voire s'alanguir mais ils seront vite cisaillés par les éclats de rire des vrais hommes à poigne. Par ceux-là, je me laisserai emmailloter sans broncher. Ça sera ma seule bonté.

Quand ils auront fini de m'écorcher et de décortiquer toutes les combinaisons de mon âme et qu'ils auront jeté pour le compte ma carcasse derrière les barreaux, je ferai encore une fois la morte. Je fermerai l'œil de la nuit et me réfugierai à l'intérieur de cette chose noire qu'ils appellent mauvaise graine. Je végèterai le temps qu'il faudra, recroquevillée dans les anneaux du silence.

Le temps d'une nouvelle germination.

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26 octobre 2006 4 26 /10 /octobre /2006 22:14

Lauréat(e)s, comédiennes et musicien(ne)s au cours de la soirée de remise des prix du concours " Enquêtes et filatures ". C’était le 21 octobre 2006.

A très bientôt...

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26 octobre 2006 4 26 /10 /octobre /2006 17:35

 

Un roman dont le titre est une question a quelque chose de forcément intriguant. Quand de surcroît l’interrogation résonne du côté de la division de l’être, on se dépêche d’ouvrir le livre pour voir de quoi il en retourne. Voilà donc un homme qui s’en va au bout du monde tout simplement parce que cet ailleurs est loin de tout ce qu’il dit exécrer. C’est pourtant autour de toutes ces choses abhorrées que l’histoire est construite. D’abord du côté du superflu avec des descriptions hautes en tournures décapantes sur l’insupportable morosité de la vie parisienne ; puis du côté des égratignures avec des témoignages caustiques sur les mesquineries d’une société française recroquevillée sur elle-même ; puis sur le versant existentiel avec toute une cohorte de malaises traités au Temesta ; viennent enfin les motifs sérieux qui font que l’homme est en souffrance : famille aimante et vorace, une sœur mufle mais tellement pleine de cœur, la lumière trop vive d’un amour qui pourrait faire de lui un père ; bref la nécessité de passer par dessus les rêves adolescents et d’ouvrir ses sens aux exigences de l’âge adulte. Loin de quoi ? est un roman sur l’impossible engagement d’un homme trentenaire en plein désarroi.

Car sitôt parvenu à cet autre bout du monde (de lui-même), l’homme est en prise directe avec ces sentiments d’étrangeté et de nostalgie qu’affronte le migrant ordinaire. La déconvenue est au coin de la rue et la déception au décours de chaque rencontre. Les questions se bousculent et on comprend très vite l’embarras de l’auteur quant au fait de savoir si les bénéfices vont combler les pertes. Résultat, l’errance devient le point d’orgue de l'évasion, et la seule garantie de survie de cet homme est sa capacité d’introspection et à prendre finalement de la distance en se moquant, parfois férocement, de sa culture et de ses traditions. Le propos est souvent jubilatoire, (et l'on rit effectivement beaucoup) seulement cette ardeur mise à vouloir rire de tout est plus empreinte de douleur que d’apaisement. Mais peut-être ne s’agit-il tout simplement que d’oublier d’avoir affaire à l’autre ?

Loin de quoi ? de Laurent Sagalovitsch, aux Editions Actes Sud,170 pages, 6,50 €

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24 octobre 2006 2 24 /10 /octobre /2006 12:37

 

Ogresse, c’est l'un des titres signé par Marie-Thérèse Jacquet pour le recueil " De Temps en Temps " du groupe Folitudes.

 

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J'ai replacé les planches sur la margelle. La sueur me coule entre les omoplates en dépit du froid. La lune est le seul témoin ; elle se moque bien des frimas, pleine comme elle est, toujours à sourire, toujours contente d'être au maximum de son tour de taille. Tu ne peux empêcher, ma vieille, que ce que j'ai fait, je l'ai fait et bien fait et que rien ne pourra défaire ce que j'ai fait.

Là-bas dans la maison basse, ils dorment, les six fils, les trois filles, leur père aussi. Les innocents, ils dorment …

Ah ! Les innocents…

Hier soir, il a considéré longuement la situation, en larmes… Quand je pense que c'est son extrême sensibilité qui m'a séduite, il y a dix ans de cela. Il saurait me comprendre, nous marcherions la main dans la main, les yeux dans la même direction, comme écrivait Saint Ex… qui a largué sa bonne femme la plupart du temps ! Aux poèèètes, on pardonne tout. Aux épouses, les basses œuvres ! Faut-il être particulièrement conne pour aimer un homme de lettres ! J'ai froid au dos, c'est la sueur qui se fige. Mais je ne peux pas partir tout de suite. Il faut que je sois sûre.

Il a dit en reniflant, non moi je ne peux pas faire ça… Toi, tu sais gérer les affaires, ton enfance à la campagne t'a endurcie. La vie, la mort c'est du naturel pour toi… Moi, tu le sais bien, la vue de mon propre sang m'envoie dans les vaps.

Excuse-moi, a-t-il pleurniché. J'ai eu cette journée pénible avec l'éditeur. Bonne nuit, chérie.

Regarder dans la même direction… moi devant, lui, derrière. Quand je pense qu'il n'a pas voulu assister à la mise bas de nos neuf enfants !

Il y a une heure, j'ai mis au lit ma nichée. Les plus petits étaient joyeux comme d'habitude, ils attendaient l'histoire. L'aînée Amélie, a encore bougonné quelle voudrait bien avoir sa chambre à elle et qu'elle n'aurait pas d'enfants quand elle serait grande, que d'ailleurs elle ne se marierait pas, qu'elle serait juge pour enfants, avec le boulot qui ne manquerait pas. Je l'ai calinée, je lui ai dit que je l'aimais. Elle a pris son pouce, a sombré de suite.

Les petits attendaient leur conte en sautant sur leur lit. "Le Petit Poucet ", a hurlé Norbert !

- Je vous l'ai déjà raconté cent mille fois, non ?

- On s'en fiche. C'est une histoire de famille nombreuse et nous on aime les histoires de famille nombreuse…

- Ouais, a complété Célimène (ma future prix Nobel) parce que les ogres peuvent réussir quelquefois, si le plus petit n'est pas assez malin !

Et elle a pincé le nez du dernier dans mes bras.

- Allonge un peu l'affaire des deux lits, tu sais. Les filles de l'ogre avec leurs couronnes et les pauvres avec leurs bonnets, a supplié Clément, l'aîné des garçons.

- Dis, maman, y a pas d'ogre dans le jardin qui va passer par la fenêtre quand tu dormiras ?

- Non, il n'y a pas d'ogre dans le jardin. Et s'il venait, maman le tuerait avec la hache à bois, ai-je affirmé avec conviction et geste violent.

J'ai pensé… pas d'ogre mais peut-être une ogresse.

La lune escalade les proues du Vercors. Je n'ai plus froid. Penser à mes enfants me réchauffe. La mousse de la margelle est douce, humide sous mes doigts. Aucun bruit. Tout dort. J'ai bien accompli ma mission, ce travail qui revenait à ma mère, à ma grand-mère… Depuis des siècles, la chaîne sans fin des ogresses.

L'élastique bien serré autour du sac de plastique. Il a dit que je savais faire.

Oui je sais faire ces choses-là : le coup au lapin derrière les oreilles, la chienne à mener chez le véto pour l'ultime piqûre, l’anguille à écorcher vive. Oui, je sais. Je sais aussi raconter des histoires, pousser un chariot entre les rayons de conserves, et maintenir en vie les orchidées. Tu as les doigts verts ma chérie. Ce que je déteste, c'est l'odeur de l'éther. Je ne m'y ferai jamais.

Le silence. Je suis morte de fatigue, je rêve à un lit tiède, à son corps chaud sous la couette où il ronfle du ronflement délicat des poètes.

Miaulement plaintif amplifié par la gorge du puits.

Zut ! C'est à refaire !

Marie-Thérèse Jacquet

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22 octobre 2006 7 22 /10 /octobre /2006 17:58

 

L’association Calipso n’est pas seulement le lieu d’un concours de nouvelles et du blog du même nom, c’est aussi un espace d’invention où peuvent se jouer toutes les partitions de la création : littérature, théâtre, musique, cinéma … petit domaine d’évasion et de rapprochement, de rencontre et de rupture, d’interrogation et d’engagement, ouvert en grand sur le monde, celui qui passionne comme celui qui oppresse.

C’est encore un atelier d’écritures nommé Folitudes. Un atelier traversé depuis une quinzaine d’années par de multiples artisans écrivains. Le groupe actuel, comme ses prédécesseurs, publie aujourd’hui un recueil de quelques unes de ses variations littéraires intitulé De Temps en Temps.

Marie-Thérèse Jacquet, animatrice de l’atelier, nous en fait la présentation.

De " Temps en Temps ", c’est le titre que tous les six nous avons donné à ce recueil de quelques uns de nos textes.

Nouvelles, poèmes, chroniques, récits d’enfance… les genres que nous affectionnons et que nous pratiquons avec plus ou moins d’assiduité. Nous écrivons seuls, à notre rythme ou réunis autour d’une bonne bouteille, de Temps en Temps…

Chez les uns ou les autres ou dans une bibliothèque municipale chaleureuse et grande pourvoyeuse d’ouvrages à consulter. Nous remercions les animatrices bibliothécaires de Saint-Egrève de nous avoir offert leurs tables, leurs chaises, leurs sourires lumineux et leurs livres… Leur salle d’exposition aussi lorsque nous nous sommes lancés dans les haïkus que les artistes de l’Atelier d’Aquarelle de la M.J.C. du Fontanil ont illustrés finement.

L’écriture crée du lien avec la parole qui nous fait humains pas nécessairement artistes. Si nous revendiquons le titre d’écrivants c’est que nous ne sommes en aucun cas des écrivains.

Le Temps comptable de nos vies est le thème qui sous-tend la plupart de nos textes : le temps retrouvé des souvenirs, le temps des ruptures, des départs, le temps des lieux simples, le temps sublimé des imaginaires et des fantasmes.

Eric et Bernard, jeunes hommes bien de ce vingt et unième siècle, sensibilités vives que dissimulent mal humour noir et calembours. Nos deux Jacqueline passionnées de jeux intellectuels. Marie, Marité, toutes les quatre déjà grand-mères, s’étonnent de ces gaillards qui les ébouriffent. L’amitié se fiche des années. Paroles sages, de Temps en Temps s’échappent des bouches les plus jeunes. Et paroles folles de Temps en Temps des bouches mûres.

Oui, l’écriture partagée, le labeur de la récriture qui exige humilité mais aussi respect et attention sans faiblesse entre nous, oui tout cela éclaire nos vies, brode sur le tissu du Temps quelques uns de nos motifs d’être heureux.

 

 

Au cours des prochains jours seront publiés ici même un texte choisi par chacun des auteurs de ce recueil. Puis, vers la fin novembre, ce recueil sortira des presses et pourra être envoyé aux souscripteurs.

Contact : assocalipso@free.fr

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