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23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 08:00

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Tout en gardant en mémoire l’antienne selon laquelle "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous remontons d’un bon pas aujourd’hui la rue de Rivoli en direction du BHV alors que la neige vole et tourbillonne, à la recherche d’un porte-documents suffisamment beau à offrir pour Noël à l’homme qui partage votre vie.

Comment bien foirer sa petite équipée au magasin le plus masculin de tout Paris 

par  Ysiad

 

Il faut en convenir : sa serviette fait peine à voir. Le cuir est taché et usé aux angles, les coutures craquent, les fermetures ont terni, bientôt la poignée lui restera dans la main, il est donc urgent de lui offrir quelque chose de viril et de solide, pour lui redonner l’envie de partir le matin rejoindre le RER d’une foulée guillerette avec ses cours et ses bouquins, et de rentrer le soir tout aussi gaîment avec des paquets de copies rangés dans des compartiments imprégnés d’une envoûtante odeur de cuir. Oui, ce cadeau est essentiel pour lui permettre d’accomplir sa mission d’enseignant, ruminez-vous en franchissant les portes du BHV Hommes, le grand magasin le plus masculin de tout Paris, comme le serine la publicité. Vous n’aimez pas trop les grands magasins et la bousculade qui y règne, mais aujourd’hui vous avez fait une exception, vous mettez rarement les pieds dans un univers entièrement dédié aux hommes, et puis il est encore trop tôt pour subir un bain de foule, c’est donc un bon plan.

Et même un très bon plan, les accessoires pour hommes se trouvent tout de suite à votre gauche en entrant, ce qui vous épargne bien des traversées. Votre sens de l’orientation a tendance à s’atrophier considérablement dans les grands magasins, vous ne savez pourquoi mais vous vous perdez très facilement et n’êtes pas plus fichue de lire les panneaux indicateurs que de trouver la sortie sans demander votre chemin aux vendeuses ; aujourd’hui il s’agira de vendeurs, toujours est-il que vous n’en voyez pas beaucoup pour l’instant. Autant dire aucun. Bon. Après tout, il faut du temps pour se mettre en route, surtout un samedi de décembre, pensez-vous en contemplant les porte-documents rangés dans des casiers en bois qui grimpent sur tout un pan de mur. A moins de monter sur une table, vous ne voyez pas trop comment vous y prendre pour attraper l’article que vous venez de repérer, mais qui se trouve à trois mètres du sol. Il faudrait une échelle mais il n’y en a pas, ou une gaffe, vous n’en voyez pas non plus, ou une perche à croc, enfin un machin qui vous évite de sauter sur place comme vous le faites maintenant pour tenter de choper une mallette marron qui vous semble pas mal du tout, et qui n’est qu’à deux mètres du sol. Vous êtes sur le point de bondir en l’air lorsqu’un : Je peux vous aider ? lancé d’une voix perchée freine net votre élan. Un grand jeune homme s’approche, et tout en attrapant la mallette d’un geste élégant, vous sourit gracieusement. Ah… Dommage. Il y a une bandoulière, dites-vous d’une voix déçue. Le vendeur continue de vous sourire alors que vous retournez l’article entre vos mains, vaguement embarrassée. Je cherche quelque chose de viril, sans bandoulière, et de très contenant aussi. En cuir si possible, avec des compartiments. Et une poignée. Pour y ranger des cours. Et aussi des bouquins. Et des copies. Sans se départir de son sourire et en battant des cils, le vendeur susurre : Vous voulez une serviette à soufflets. Je vais aller voir dans la réserve, j’en ai pour cinq minutes. Vous le regardez qui s’en va en se dandinant un peu. Bon. En l’attendant, vous flânez au rayon parfumerie au même étage, reluquez les nouveautés, quand un écran posé sur un présentoir s’allume, attirant votre regard. S’affiche sur fond de Tour Eiffel un homme sublime, genre Alain Delon à vingt ans, impeccablement rasé, qui, après vous avoir fait subir le feu ardent de ses yeux verts durant dix secondes trop brèves, va successivement se passer de la crème sur les joues, se les tamponner avec une houppette, se les farder au pinceau-blush, se dessiner le contour des lèvres au crayon, s’enduire les cils de Rimmel. Vous croyez à un gag. Jamais encore il ne vous a été donné d’assister à ça, alors vous regardez une deuxième fois Alain Delon se maquiller entièrement, et une troisième, jusqu’à ce qu’un vendeur parfumé interrompe la séance d’hypnose. Je peux vous aider ? vous demande-t-il d’une voix veloutée. Et comme, encore un peu sous le choc, vous ne répondez pas, il en profite pour vous prendre de court : Vous connaissez les parfums Annick Goutal ?Non, pas encore, non, répondez-vous, estimant que cela doit suffire pour le dissuader de vous les faire découvrir. Apparemment, non, ça ne suffit pas, et le voici qui agite un gros vaporisateur derrière le comptoir. Vous reculez, pas tout à fait assez vite pour échapper à la première pulvérisation, et vous allez subir la deuxième lorsque le vendeur des accessoires revient au petit trot, cette fois en roulant ostensiblement du bassin. Jean-Claude ! Veux-tu laisser ma cliente tranquille! glapit-il en lui donnant une tapette sur le bras.

Retour au rayon. Voici le modèle, fait-il en sortant de sa housse une serviette noire virile, à soufflets, munie d’une solide poignée de cuir. Doublé vachette, ajoute-t-il en l’ouvrant. Ah. Il y a une petite égratignure, remarque-t-il en indiquant de son ongle manucuré un défaut invisible. Si le modèle vous plaît, j’irai vous en chercher un autre dans la réserve. Ma foi oui. Le modèle vous plaît. Sobre. Contenant. Pratique. C’est tout à fait ce qu’il vous faut. Allez. Affaire conclue. Vous voulez un joli paquet-cadeau ? vous demande-t-il. – Ça va aller comme ça, je le ferai chez moi. Mais si vous avez du papier et du bolduc, pourquoi pas. – Bolduc, non, un gros nœud, oui, croit-il bon de préciser.

La vidéo d’Alain Delon se maquillant passe en boucle derrière les caisses. En attendant votre tour, vous êtes prise d’un fou-rire nerveux, et sans doute une réflexion vous échappe-t-elle aussi, pour que les deux types qui se tiennent par la main devant vous se retournent brusquement, et vous assènent un regard farouchement outré.

Foiré ? Pas tout à fait, mais presque !

Attendez le moment de franchir la sortie pour lancer malgré vous au vendeur des accessoires : Merci, vous m’avez beaucoup aidée, et estimer que cette fois ci, oui, but, c’est foiré.

Mais si par miracle, une fois chez vous, en déballant la marchandise pour faire le paquet-cadeau, vous découvrez, en sortant la bourre de papier glissée dans les soufflets, que le doublé vachette de la serviette est d’une sympathique couleur rose bonbon, alors seulement, votre petite équipée au magasin le plus masculin de tout Paris aura été bien foirée.

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commentaires

L
<br /> <br /> J'ai pris beaucoup de retard dans mes lectures de décembre, il va falloir que je lise tous les pétillants foirages d' Ysiad pour aborder confiante la nouvelle année , tout cela est tellement ...<br /> rassurant !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Super en forme pour Noël, Ysiad!<br /> <br /> <br /> Bravo!<br /> <br /> <br /> Joeyux Noël à tous avec cette carte de saison. d'accord, c'est sirupeux, mais un peu de guimauve à partager avec les enfants, les petits-enfants suivant le cas ou ceux du voisin, c'est permis pendant la<br /> trêve des confiseurs, non?<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Encore un texte plein de vie alliant un sens aigu de l'observation, une narration vive et enjouée, et des images croutillantes. Merci, Ysiad.<br /> <br /> <br /> <br />
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