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3 mai 2009 7 03 /05 /mai /2009 19:02

La gare était noire de monde et une immense clameur s’élevait de ses entrailles. Les hommes de garde avaient depuis longtemps actionné l’alarme et les douaniers pris possession des quais. De très loin, on pouvait l’entendre braver le supplice des sables. Le convoi, chargé des semences bien fumantes de l’humanité, paraissait toujours plus monstrueux à chacune de ses apparitions. Crevant la cuirasse des ténèbres, il surgissait dans un déchaînement de poussière et d’écume. Des milliers d’étincelles griffaient les rails, et quand l’air était particulièrement lourd, le feu prenait sur les tumulus. La foule des affamés, oublieuse de tout, s’enivrait de ces flammes paradisiaques et entonnait à son approche d’envoûtants cantiques. Sûre de sa bonne fortune la soldatesque écoutait sans broncher. Ses armes hautement aiguisées avaient le pouvoir d’aveugler les plus fervents. Les anciens disaient que la nuit finissait toujours par tout envelopper et plus d’un bienheureux se perdait avant même d’atteindre les aires de déchargement. Des missionnaires ouvraient parfois une brèche pour recueillir une poignée d’illuminés. On se battait pour en être, seule échappée possible pour engranger la terre et se sentir pousser des ailes.

Il n’avait jamais cherché à attirer l’attention sur lui mais le sort l’avait choisi et il lui fallait faire preuve de reconnaissance en restant constamment à portée de main de ses protecteurs. Il comprenait mal leur langue et il lui arrivait souvent de rester bouche bée ou de transpirer à grosses gouttes quand ils l’instruisaient des recoins de leur âme. Sa nouvelle condition lui donnait accès aux plates-formes de transfert et à quelques entrepôts privés. C’est là, au milieu des caisses et des ballots que certains soirs, tête et corps repliés, il lui fallait s’abandonner à la chaleur des dieux.

Souvent il avait eu envie de fuir et peut-être l’aurait-il fait s’il n’y avait eu cette voix qui lui martelait les tympans, ne l’abandonne pas, elle a besoin de toi… Et tandis que sur les aires on palabrait sur le partage des dons, il l’imaginait saignée par le mal et dépossédée de sa superbe et plutôt que de mendier à son tour sa part, il ravalait ses grimaces de haine, chassait les papillons cendrés qui gonflaient ses paupières et partait à l’assaut des wagons du paradis. Son épouse réquisitionnée pour les besoins des compartiments spéciaux y allumerait forcément un jour une petite torche.

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commentaires

L
Dans un scénario fellinien magnifiquement interprété, Patrick l'Ecolier nous entraîne dans une singulière et éprouvante aventure, un ultime voyage dans de lointaines contrées au bord de la folie : "l'inferno" de Dante Alighieri. Et c'est ainsi, qu'après des années de purgatoire, et grâce à Béatrice, sa bien-aimée, Dante découvrira le Paradis.
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L
Les flammes du Paradis et les nuits de l'Enfer ?
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L
Étonnant, angoissant, percutant !.Des lendemains qui déchantent après avoir enchanté ?.Patrick, je ne prendrai jamais ce convoi, à l'ambiance si bien décrite, pourtant !
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