Le numéro des quais ne variait jamais. A l’aller, c’était le trois ; au retour, le sept. Au bout du trois se profilait une suite de maisons basses avec petits jardins et allées bordées de troènes. Les extrémités du sept étaient barrés d’immeubles gris couverts de bleus et de graffitis. Il n’avait jamais su dire s’il en préférait un plus que l’autre. Durant les trajets, il ne trouvait rien à faire. Pas plus ses devoirs que la lecture d’un illustré ou une partie sur sa console. Pour tromper l’attente et échapper à la sollicitude de son père ou de sa mère, il fermait les yeux et cherchait à se rappeler un souvenir heureux. Les images du passé étaient souvent invraisemblables et les voix entendues en général absurdes. Il ne cherchait pas d’explication, il se disait simplement que les personnes n’étaient pas vraiment vivantes ou bien qu’elles lui étaient totalement inconnues. Parfois, il lui arrivait de s’abandonner un peu trop à son rêve d’un autre monde et une sorte de peur le prenait. Surtout l’hiver, quand la nuit tombait, juste avant l’échange. Il laissait alors ses pensées s’engourdir dans le bruit cadencé des motrices. A l’entrée en gare, il ne savait plus comment accrocher un regard et il levait les yeux au ciel avec un inconsolable désespoir. Il pressentait qu’un jour ou l’autre, il serait aspiré dans l’au-delà. Il disparaîtrait au nez et à la barbe de son papa. Et sa maman sur le quai d’en face n’en saurait peut-être jamais rien.