Esclavage
Jean Calbrix
1802. Victor Hugo naissait et les noirs de Saint Domingue revenaient à la case départ. Pas celle de leur pays d’origine en Afrique, non, mais celle que leurs bons maîtres planteurs leur allouaient en échange de quelques menus travaux dans les champs de cannes à sucre. Bonaparte, ce grand homme, avait jugé néfaste pour le genre humain - puisqu’elle mettait en péril l’économie mondiale - cette loi d’émancipation des gens des couleurs décrétée par la convention en 1794, sous l’impulsion d’illuminées comme Robespierre et l’abbé Grégoire. De son propre chef, s’étant consulté lui-même fort démocratiquement, il la raya d’un trait de plume arrachée du croupion d’une oie de sa basse cour.
Il en résulta une remise en ordre difficile, les noirs ayant pris l’habitude, huit ans durant, de feignasser sous les cocotiers. On connaissait leur petit penchant à se la couler douce, et à se distraire en tapant sur des bambous au lieu de trimer. Nos amis les planteurs, réunis sous l’égide du Médef, leur syndicat, aux deux tiers républicain, le troisième tiers n’étant pas libre, et pompeusement appelé Mouvement égalitaire des esclavagistes fraternels, discutèrent de la situation.
Le chef des planteurs – Mes très chers bons amis, la situation est gravissime. Si nous n’avons pas une remise en ordre rapide, c’en sera fait de nous, de l’économie mondiale et de l’humanité. Dites-moi ce qui ne va pas dans vos plantations et je vous donnerai mes conseils éclairés.
Le planteur 1 – Mes nègres crient qu’ils veulent une retraite à 80 ans. Cela va diviser par deux mes forces productives. C’est impossible, je cours à la ruine.
Le chef – Eh bien, sévissez mon cher bon ami, et punissez de dix coups de verge ceux qui osent revendiquer des choses si peu réalistes.
Le planteur 2 – Les miens braillent qu’ils veulent une semaine de cent trente-cinq heures. Ils ont tendance à oublier qu’ils ont signé un contrat de travail à plein temps. Je vais me retourner contre les négriers qui m’ont vendu une marchandise qui ne respecte pas les règles.
Le chef – N’en faites rien, mon bon ami. Les tribunaux sont déjà engorgés avec des billevesées du même acabit. Donner de la badine et il fera bon voir qu’ils continuent à revendiquer des mesures qui nous mettraient sur la paille.
Le planteur 3 – A propos de paille, les miens exigent que celle de leurs cases soit changer tous les mois. Au prix où est la paille, je cours à la faillite.
Le chef – Dix coups de fouets, cher ami. Il n’y a rien de tel pour leur remettre les idées en place.
Le planteur 4 – Les miens exigent un service sanitaire libre et gratuit.
Le chef – Vingt coups de pied au cul, mon ami. Ils se sentiront mieux après.
Le planteur 5 – Les miens organisent des grèves sur le tas pour obtenir des congés payés.
Le chef – Nettoyez-les au Kärcher, mon vieux.
Le planteur 6 – Les miens me volent ma production. J’en ai surpris un en train de dévorer une de mes cannes bien grosse et bien juteuse, la plus belle de ma récolte. J’ai failli crever de crise cardiaque. C’est innommable !
Le chef – Alors là, il ne faut pas hésiter, mon pote. La bonne vieille méthode, rien de tel, et même si malheureusement cela réduit ta main d’œuvre : ablation à la hache de la main qui a commis le délit.
Tous ensemble – Viva la reprise en main !