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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 08:00

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Entre deux tours

Patrick Ledent

 

 

 

Ça y est ! On était enfin débarrassé des importuns. Huit victimes qui retourneraient bientôt en cuisine, à la plonge, jusqu’au prochain scrutin où, rebelote ! C’est dire si on se serait bien passé de tout ce cinéma, mais bon, c’était le prix à payer pour donner à croire que la démocratie vivait encore.

Le meilleur restait à venir : écouter la consigne de vote des déchus. Non contents de s’être vu éjecter d’une roulette qui comptait trente-cinq zéros pour deux cases déjà occupées, les voilà qui devaient plébisciter ceux qu’ils venaient de combattre ! Même à Rome, du temps des jeux du cirque, on se montrait moins chiens.

Bien sûr, les plus marginaux le prendraient de haut, achèveraient de se faire hara-kiri avec panache : « C’est bonnet blanc et blanc bonnet, résister, c’est s’abstenir. » Ben tiens !  On s’offre les consolations qu’on peut.

Mais la plupart ne pourraient pas résister aux courtisaneries, c’était la tradition. Quand on s’était fait botter en touche avec dix à vingt pour cent des voix, on avait gagné le droit de se faire cirer les pompes pendant quinze jours, juste récompense.

Les abouliques du centre allaient devoir choisir entre la droite et la gauche, un truc de fou. Sortir de l’ornière et casser un mur mais lequel ? Pas se tromper surtout. Ça serait ballot de baisser son froc en plein champ de courses pour monter ensuite sur le mauvais cheval. De se déshonorer pour se voir quand même passer sous le pif le maroquin cossu. D’incinérer six mois de campagne et de sacrifier trois millions d’électeurs pour se retrouver dans l’opposition. Enfin… pardon, au point de départ, puisque le centriste, par définition, ne connaît ni l’opposition ni la majorité : il est « résolument centriste ». C’est-à-dire d’accord et contre à la fois. Soit écartelé, soit menotté, il s’en fout, pourvu qu’il n’avance pas. Plus que du funambulisme, de l’apesanteur !

Le front de gauche, pour sa part, avait annoncé la couleur : rouge. Donc, en dernier recours, s’il fallait s’y résoudre, socialiste. Sauf que le socialisme, loin de se radicaliser, était mort avec l’union de la gauche, en 81. Depuis, au mieux, l’heure était à la social-démocratie, c'est-à-dire à gauche, mais pas trop : payer les travailleurs sans effaroucher les patrons, maintenir les services publics sans renoncer à les privatiser, protéger les petits épargnants sans égratigner les actionnaires, développer la production locale sans toucher à Maastricht, assainir les soins de santé sans bouter le privé hors des hôpitaux publics, rendre les banques aux citoyens sans les nationaliser, lutter contre la délinquance fiscale sans abolir paradis et niches ; bref, tenter d’opérer soixante-deux millions de Français d’une tumeur en tranchant dans le vif avec des ciseaux de broderie. Se rallier à cette politique, pour un radical de gauche, ça tient moins de la révolution que de la volte-face ! Mais que faire sinon attendre son temps en limitant la casse ?

Les verts, eux, avaient bien compris qu’ils pouvaient se garder leurs éoliennes et leurs panneaux solaires tant que le peuple n’aurait pas son bifteck. Quand on cartonne à deux pour cent, on en tire des leçons. Une leçon lucide et pragmatique: « On reviendra quand vous n’aurez plus faim ! » Autant dire aux calendes. Grecques, évidemment. La consigne : « Faites semblant d’être daltoniens ! »

Quant aux frontistes, alors là, pas question de s’abaisser à reconnaître que l’UMP les avait dépouillés jusqu’à l’os et que le PS les avait snobés jusqu’à l’évanescence. Aussi la lutte continuerait-elle loin du pouvoir, dans le calme haineux des foyers et du chacun pour soi. Ça irait mal si, au coup par coup, on ne finissait pas par alimenter gentiment son génocide : c’est goutte à goutte qu’on réussit les meilleurs bains de sang.

Les autres, laissés-pour-compte, moins de deux pour cent, regagneraient bien vite qui leur usine, qui leur bureau, qui leur fauteuil directorial, sans demander leur reste. Ils n’étaient pas venus pour gagner, juste pour se donner l’illusion d’exister. Les plus désappointés s’enverraient bien en orbite autour de Mars, avec le petit dernier qui semblait bien avoir des dispositions, mais c’est qu’il faudrait en revenir dans cinq ans et ils n’étaient pas sûrs d’avoir alors encore assez d’essence.

Loin au-dessus, déconnectés, les deux vainqueurs allaient se bouffer le nez jusqu’à l’indigestion. Avec leurs bobards, ce n’est pas la nourriture qui viendrait à manquer !

La droite saleloperait sa soupe jusqu’à la rendre imbuvable, façon mer morte, caressant les loups en faisant mine de les prendre pour des king-charles. On abandonnerait le débat économique, trop compliqué, pour lui substituer les plages horaires de la piscine de Lille, le port du voile, le terrorisme et l’excision. Le tout dans le même sac car faire des amalgames, c’est bien, mais cimenter la haine, c’est mieux.

Quant à la gauche, forte des promesses d’un report favorable, mais fragilisée par trente ans d’échecs, elle jouerait la prudence, achevant de s’infléchir, des fois qu’au centre il s’en trouverait des plus à droite qu’eux, on ne sait jamais avec ceux-là.

Et toutes ces manœuvres accoucheraient d’un nouveau-né qu’il faudrait garder cinq ans sous couveuse, parce qu’éternel prématuré.

Ce qui n’empêcherait pas les vainqueurs de faire la fête place de la Bastille, chantant l’avènement d’un avorton qu’on ferait mine de prendre pour Goliath, le temps d’un rêve controuvé, avant de s’en désintéresser cent jours plus tard, comme d’habitude, pour se tuer, encore et encore, à faire bouillir une marmite froide.

 

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commentaires

J
<br /> Devoir électoral oblige, je reviens d'une longue marche (pas celle de Mao arrivant à pied par le Chine, non, une petite balade le long des Côtes de la Manche, du Mont Saint Michel - où monsieur<br /> Véolia a réalisé avec retardement le désensablement de la perle de l'Occident, désensablement faisant l'objet d'une des cent une propositions de monsieur François II en 1981, creuser, à coups de<br /> milliard un trou d'eau dans un bac à sable - jusqu'à la centrale de Flamanville sur laquelle des urluberlus tentent de jetter des pétards) et je découvre cette belle observation de la vie<br /> politique française vue de la frontière par notre ami Belge qui d'un oeil lucide et perçant en brosse un tableau sans concession. Merci, Patrick, pour ce texte dans lequel l'humour et le<br /> pessimisme se le disputent.<br /> <br /> <br /> "dès fois qu'au centre, il s'en trouverait des plus à droite qu'eux", j'adore !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci au barman pour la photo tout à fait adaptée à ce tournez-manèges et qui fait penser au galopant d'Yvonne (restons en Belgique  !).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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J
<br /> Les verts,Les verts, eux, avaient bien compris qu’ils pouvaient se garder leurs éoliennes et leurs<br /> panneaux solaires tant que le peuple n’aurait pas son bifteck.<br /> <br /> <br /> BIEN CIBLE ! Mais on verra qu'ils n'ont toujours pas compris !<br /> <br /> <br /> Un texte lucide...<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> aie <br />
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M
<br /> Bravo ! Fort et prenant.<br />
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C
<br /> Superbe analyse, lucide et marrante du noeud de serpents électoral. Une narration complète de l'occupation du champ de manoeuvres (sournoises).<br />
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C
<br /> Ecrit dans un rythme qui donne du corps ! bon ben bleu ? rose ? blanc ? Aristote a pourtant bien dit que la<br /> démocratie était le moins pire des gouvernements, il ne vivait pas au XXIe siècle...<br />
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