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23 décembre 2008 2 23 /12 /décembre /2008 17:45

En cette fin d’année, Gilbert Marquès revient sur la question de l’engagement et de toutes ces choses qui font qu’au-delà des circonstances propres à chacun, l’on se décide ou non à sortir de l’isolement, à assumer les enjeux vitaux de notre époque et à y aller de notre propre parole.

 




Pour cette dernière chronique mensuelle de l'année, j'entends poursuivre le débat sur la Poésie "engagée" en réponse notamment au commentaire de Jacques LAMY auquel je souhaite apporter quelques précisions.

Cette expression a repris tout son sens politique et social lors des événements de Mai 1968. Elle signifiait alors que les idées devaient se concrétiser non seulement par l'expression, artistique ou autre, mais également par l'action.

Chacun a ses raisons pour s'engager éventuellement dans la défense de multiples causes et si je suis d'accord sur le fait que créer représente un réel engagement, je me pose la question de savoir si c'est suffisant. Il est facile, toute proportion gardée, de torcher un beau poème bien ficelé pour faire pleurer dans les chaumières mais le créateur, le poète en l'occurrence, doit-il se cantonner à ce rôle ou bien payer de sa personne en montrant en quelque sorte l'exemple ? Plus explicitement, doit-il se borner à griffonner ses vers bien au chaud le cul dans son fauteuil en envoyant comme jadis ses disciples au casse-pipe ou bien doit-il aussi participer à la mise en pratique en montrant la voie à suivre ? Pour moi, la réponse ne fait aucun doute sachant qu'un poème ne résout rien s'il n'est pas suivi d'effet, s'il ne déclenche rien.

Ainsi me revient en mémoire une réflexion de François MAURIAC qui, répondant à une interview paru dans la fin des années 60 dans "Le Magazine Littéraire" au cours de laquelle le journaliste lui demandait pourquoi il parlait toujours dans ses romans de la bourgeoisie bordelaise, a dit ;

"Je parle seulement de ce que je connais"

Je ne garantis pas l'exactitude intégrale de la formule que je cite de mémoire mais elle implique clairement selon moi, qu'il faut savoir de quoi on parle. Et je remarque à ce propos qu'aucune réponse n'a été apportée aux différentes questions formulées précédemment sur le possible rôle du poète. En serait-il donc seulement réduit à se faire plaisir en écrivant et subsidiairement à le partager avec des initiés ? Ne peut-il être aussi parfois et en même temps, le témoin et l'acteur de son époque et par-là même de sa vie sans pour autant "axer systématiquement ses rimes pour défiler entre la Bastille et la Nation" ? Le poète n'est-il pas aussi membre d'une société ? Doit-il se contenter d'en subir les outrances sans les dénoncer par l'écriture et les combattre par l'action ? Ne peut-il outrepasser les conventions morales et religieuses, quitte à se mettre hors la loi, pour participer à l'évolution de la civilisation ? Doit-il enfin laisser à d'autres le soin d'assumer ses propres responsabilités ?

Personnellement, mon choix a toujours été à la fois simple et clair en tant qu'homme tout autant qu'au titre d'artiste. Je me suis battu pour certaines idées qui m'ont valu d'être jugé et emprisonné. Je n'en tire aucune gloire mais n'éprouve pas non plus de repentir. Au-delà de ces simples péripéties, j'estime que si l'homme s'assume, l'artiste y compris le poète, le doit aussi. Ceci signifie qu'il ne doit pas se limiter à créer en faisant attention à ne pas faire de vague mais aussi à poursuivre son travail en s'impliquant dans l'exploitation de son œuvre, de l'édition à la distribution en allant jusqu'à la rencontre avec les gens, et ne pas laisser cette seule charge à ceux dont c'est le métier, les éditeurs et les libraires. Se défausser de cette part de responsabilité revient à accepter nécessairement de se laisser tondre la laine sur le dos et de limiter l'impact de sa propre création.

Ceci soulève depuis longtemps un problème constitué de la différence de conception de l'art entre ceux réputés professionnels et les autres. Les premiers vivent au sens matériel du terme, de leurs activités artistiques. Ils en subissent les charges sociales et fiscales. Par contre, les seconds ont souvent un autre métier leur permettant de ne pas se poser de questions existentielles sur leur présent et leur futur. Ils perçoivent salaire ou retraite et abordent l'art avec une éthique bien particulière. Pour nombre d'entre eux, toute question financière mais aussi politique ou sociale doit être exclue. L'art pour l'art en somme… Demandez donc aux intermittents ce qu'il en est de leur situation et ce qu'ils pensent de cette conception. Les mécènes ont disparu et les sponsors, lorsqu'il y en a, ne sont pas des misanthropes. Ils veulent des retours sur investissements et d'un autre côté, l'artiste dont le poète, doit subvenir à ses besoins essentiels. Comment fait-il lorsqu'il essaie de survivre de son travail artistique ou qu'il veut publier un livre même à compte d'éditeur ou monter un spectacle ? Utiliser le système ne signifie pas l'approuver. S'en servir pour gagner sa vie est en même temps essayer de faire entendre sa voix donc la possibilité de toucher un public potentiel et le sensibiliser également à d'éventuels changements sans pour autant cesser de le divertir.

Il serait peut-être temps d'arrêter de se voiler la face quand il question d'art et d'argent. L'art n'est pas neutre et bien que ce soit regrettable, il a été transformé peu à peu en produit de consommation quand ce n'est pas de spéculation même si de la part de l'artiste, il demeure avant tout un geste vers l'autre. Certes, la poésie échappe encore à ce phénomène quoique si nous voulons une culture étatique, il suffit de laisser faire les autorités sans réagir ou mieux encore, de poursuivre sur la voie empruntée par certains de ne froisser personne. Ne nous préparent-elles pas une télévision publique qui pourrait devenir une télévision soumise à l'état puisque comme au bon vieux temps des dictatures, le directeur en sera nommé par les ministres ? De là à recréer une censure omnipotente interdisant la liberté d'opinion et de pensée, il n'y a qu'un petit pas à franchir. Il peut vite mener au musellement de tous les contradicteurs et donc d'une potentielle opposition politique et par voie de conséquence culturelle, si nous laissons faire. Il existe déjà tant d'atteintes à nos libertés fondamentales que nous devrions accepter en sus de nous taire et de ne pas agir ?

Si tel est le cas, préparez-vous, bonnes gens, à pleurer toutes les larmes de votre corps, vous n'avez pas fini d'être torturés ! La politique de l'autruche n'a jamais sauvé personne et celle du mou pas davantage. La res publica (la chose publique) n'appartient pas au seuls politiciens mais au peuple avant tout, donc aux poètes aussi.

Aussonne, le 18 décembre 2008

 

PS  Bonnes fêtes à tous ! Joyeux Noël d'abord et Bonne Année 2009 ensuite avec beaucoup d'amour, de bonheur, de paix, de liberté et surtout la santé parce que pour ce qui est de la crise, si nous l'avons, nous en sortirons !

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commentaires

P
Je suis l'auteur du message sur les informations anxiogènes. On m'a prévenue qu'il avait été repris ici. Je suis contente que vous partagiez mon avis.
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L
"À la Vie : en cortège aux êtres que j'aimais,"...  bien sûr !
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L
Ce "cri" est tout simplement MAGNIFIQUE ! Bravo, l'ami Jacques...
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L
UN CRI.....Je l"aime cette Vie et je l'aime à jamais,Et je m'accroche ainsi, tel un chat de montagne,À la Vie : en cortèhe aux êtres que j'aimais,De Provence et de l'Est, mais aussi de Bretagne....Parfois s'éteint la guerre au coucher du soleil...À l'aube floréale, au printemps qui m'enchante ;Je l'oublie aussitôt dans un songe vermeil :Quand s'éveille la Paix, c'est "Ma" paix que je chante !.Je pense à vous souvent parias de Delhi,À vous "blacks" des ghettos, à vous fils d'ÉrythréeQui n'êtes que malheurs perçus comme délitsQuand la misère perd une âme sinistrée....Je voudrais que mon cri transperce tous les coeurs,Fasse taire la haine, apaise les consciences,Nous incite au partage,enfouisse les peurs :La Vie est cet instant qui meuble nos silences.....<br /> Jacques LAMY<br />
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L
La réflexion précédente me parait tellement pertinente appliquée à la Poésie, que j'ai effectué une recherche sur mes propres rimailleries, et je me suis aperçu que les messages les plus fréquemment heureux (coucher de soleil, petites fleurs, amours, délices et orgues, etc.) étaient ceux du début de mes écrits.
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