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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 08:00

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Rêverie

Jean Gualbert

 

 

Je fulmine, je n’arrive pas à me calmer. Je suis assise au salon, près du feu, avec mon mari. C’est un homme incroyable, charmeur et colérique à la fois. Voilà plus de cinq ans que je suis amoureuse de lui. Amoureuse folle, comme une collégienne. Dès que je l’ai vu, j’ai su que c’était l’homme de ma vie. Pour moi, il décrocherait la lune, inventerait de nouveaux mondes. Il me fait rire de mes peurs, m’allège de mes soucis, dissipe mes angoisses.

Mais aujourd’hui, ça ne va plus du tout. Je ne l’ai jamais vu aussi énervé, il tourne sans arrêt, comme un lion en cage. Son visage a pris une expression simiesque. A croire qu’il a encore fait une mauvaise rencontre au salon de l’Agriculture ! Est-ce la perspective de cette échéance toute proche qui l’énerve ainsi ? Mais non, ce ne peut pas être cela, il est tellement confiant dans sa bonne étoile. Il me regarde de travers, me gronde, m’assaille de reproches. On dirait qu’il cherche à me rabaisser, juste pour le plaisir. Une négation de ma personnalité. Après tout, je vaux aussi bien que lui, mieux même. Souvent, il me fait pitié. Sa veulerie m’insupporte. Ce soir, il m’irrite, plus que d’habitude. Il veut saper mon autorité, me séparer des enfants. Qu’il ne touche surtout pas à ma relation avec eux. Je ne le lui pardonnerai jamais. C’est d’ailleurs à peine un père, tout juste un géniteur ! Après tout, c’est moi qui m’occupe d’eux. Ce n’est pas parce qu’il va les applaudir au spectacle ou à l’école, joue un peu avec eux, leur fait de belles promesses, qu’il doit se croire plus que moi. Ce serait bien mieux pour eux s’ils ne devaient plus jamais le voir.

Et la maison ! Je suis sûre qu’il va essayer de m’en priver, de me jeter à la rue. Un salaud, comme tous les hommes ! Ils veulent étendre leur pouvoir partout, ces pieuvres malfaisantes. Une véritable mafia, toujours de connivence, toujours à s’en prendre à moi. Je me sens mal, je manque d’air.

Ce monstre me regarde avec une lueur perverse dans les yeux. Il me fait peur, horriblement peur ! Il va me frapper, me battre ! Son visage narquois semble me narguer, sur les écrans, sur les murs, jusque sur ce bout de papier que je tiens en main. C’est fini, je suis perdue, je vais mourir. Je dois me défendre ! Un stylo, un crayon, n’importe quoi. Et frapper, frapper, encore et encore, jusqu’à ce que cesse cette abomination, jusqu’à ce qu’il ne bouge plus, jusqu’à ce que je puisse à nouveau respirer.

 

Quelqu’un me saisit, m’arrache le bras. Je suffoque ! J’ouvre les yeux, j’émerge du brouillard étouffant qui enveloppe tout. Mon mari est là, étendu à côté de moi. Il me tient l’épaule, tendrement. « Marianne, tu as fait un mauvais rêve, ma chérie, réveille-toi » me murmure-t-il. Un cauchemar… Mon amour que j’assassinais, c’était un cauchemar ! C’est terrible les rêves, tellement vrai, tellement présent. Je respire, soulagée.

C’est dimanche, les enfants sont chez des cousins pour le week-end. Mon mari me regarde amoureusement. Ses mains me caressent, tendrement, le visage d’abord, puis descendent, de plus en plus câlines, de plus en plus tendres. Je ressens de doux frissons dans tout le corps. Il vient tout contre moi, nous nous aimons, avec passion, longtemps, un temps infini. Puis je me blottis dans ses bras, et nous restons là, ne faisant plus qu’un, en dehors de l’espace et du temps. Je l’aime, je l’aimerai toujours. Ou du moins pour les cinq prochaines années.

 

Doucement, je lève la tête, regarde autour de moi. La chambre me rassure par son atmosphère familière, les enfants me sourient dans leurs cadres accrochés au mur. La vieille pendule égrène le temps de son rythme apaisant, l’armoire normande semble surveiller la pièce avec une calme assurance. En face du lit, le grand miroir me renvoie une image. Celle d’une femme, au visage sombre, aux traits déformés par la colère, aux yeux mangés par la folie. Et à la longue chevelure parsemée de bulletins rouges sang.

 

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commentaires

L
<br /> Tout en subtilité, comme toujours, avec les textes de Jean. Jolie chute! <br />
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L
<br /> Allons, Marianne, un petit effort! Cet homme a assez profité de toi: Et, en plus, il a besoin d'une bonne leçon: on ne fait pas n'importe quoi si on a les responsabilités qui sont les siennes.<br />
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