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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 08:00

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Le petit Nico

Jean Calbrix

 

 

Le petit Nico s’en revient de l’école. Il traîne la savate, il tape sans conviction dans une petite boîte de conserve rouillée, il en  a lourd sur la patate. Il a son carnet de note, très mauvais, dans son sac à dos Décathlon la forme. Sa maîtresse, que les élèves appellent la grosse Louloute, lui a collé de sales notes. De plus, elle lui a donné une lettre à faire signer par ses parents.

Il arrive devant la maison familiale, un cossu pavillon de Neuilly-la-Bourge, et il s’assoit sur les marches menant au perron, la tête dans les mains. Conchita, la bonne portugaise, l’aperçoit de sa chambre au grenier, et va avertir Madame. Elle apparaît sur le pas de la porte, en guêpière et vertugadin. Elle a abandonné la crinoline et la fraise, passées de mode.

- Que fais-tu là, mon chéri ? Viens vite manger ton petit goûter.

- J’ai pas faim, grogne Nico.

- Oh, toi, tu viens d’avoir ton carnet. Rentre un peu qu’on voit ça de plus près.

Nico hésite, puis finit par se lever, et pénètre dans la demeure. Sa mère le fait asseoir dans un fauteuil Louis XV. Elle fouille dans le sac de son fils et en tire le fameux carnet.

- Que vois-je, mon chéri. Tu as eu zéro en mathématiques ?

- Oui, je lui ai dit que les maths, ça ne servait à rien.

- Mais Nico, tu en auras besoin plus tard pour calculer tes indemnités.

- Bah, j’aurais assez de banquiers pour le faire à ma place.

- Oui, tu as raison, il faut savoir utiliser le partage du travail. Et pourquoi ce zéro en histoire ? Tu connais quand même toutes les victoires de Napoléon.

- Louloute ne m’a pas interrogé là-dessus. Elle m’a demandé qui était le chef des gaulois pendant la guerre des de Gaulle. Je lui ai répondu que c’était Astérix.

- Mais non, gros bêta. C’est Assurancetourix. Tu as pourtant lu toutes les BD. Et pourquoi ce zéro en grammaire ?

- Elle m’a demandé de conjuguer le verbe profitationner au plus-que-parfait du subjonctif.

- Comme si l’imparfait ne suffisait pas. Et pourquoi ce 3 en géographie ?

- Elle m’a demandé où se situait la résidence insulaire de monsieur Christophe Clavecin. Je savais que c’était en Corse à côté de chez nous, mais je n’ai pas su dire dans quelle mer.

- Holà, qu’est-ce que c’est que ce zéro en instruction civique ?

- Louloute m’a demandé ce qui se passerait si on travaillait plus.

- Oui et que lui as-tu répondu ?

- Bah, qu’on gagnerait plus.

- C’est très bien, mon chéri. Ça méritait 20.

- Non, elle a prétendu que ça ferait encore plus de chômeurs.

- Elle a peut-être un peu raison.

- Mais non, maman, les chômeurs, ce sont des fainéants. Il faut bien que les travailleurs courageux fassent le travail qu’ils ne veulent pas faire.  

- Qu’est-ce que c’est que cette lettre ? dit la mère en fouillant un peu plus profondément dans le sac de son fils.

- C’est Louloute qui veut que tu la signes.

La mère lut la lettre, ses yeux allant en s’écarquillant.

- Tu t’es encore battu avec ton ami Mouammar dans la cour de récréation.

- C’est de sa faute. Il ne voulait pas me donner un litre d’essence pour mon quad.

- Tu as traité Laurent de sale nègre. Ce n’est pas gentil. Tu sais bien que ce n’est pas de sa faute s’il est noir.

- Oui mais, il cultive le cacao chez lui. Il fabrique de la cocaïne avec. C’est mon ami Bush qui me l’a dit.

- Ah, je ne savais pas que c’était un dealer. Tiens, tu as fait installer un baby-foot à la place de la table d’auscultation dans l’infirmerie ?

- Il y en a trop qui jouent aux malades.

- Tu as dit au jardinier « Casse-toi pauv’ con ».

- Il nous interdit de marcher sur la pelouse, ce bouseux.

- Tu as jeté en l’air dans la cour des petits parachutes en papier doré avec des billes d’acier au bout.

- C’était joli, maman.

- Tu risquais de blesser tes petits camarades.

- J’le ferai plus, maman.

- Tu as invité quelques uns de tous tes amis qui t’ont élu chef de classe, à boire un pot au Fouquette. Les autres vous ont regardés, à travers les carreaux, siroter votre orangeade.

- J’le fira…feru… ferai pu… plus, maman.

- Tu as peloté Angéla derrière les cabinets. Ta petite amie Carla ne va pas être contente.

- J’le ferai plus, maman.

- Tu as dit à la concierge, au moment de son pot de retraite, que c’était scandaleux, qu’étant donné sa grande forme, elle pouvait rester à son poste encore dix ans.

- J’le dirai plus, maman.

- Tu as dit à ta maîtresse qu’elle gagnait trop pour ce qu’elle faisait, qu’il fallait sucrer son poste, que ça te ferait des vacances.

- J’le dirai plus, maman.

- Tu as crié « les étrangers dehors », au risque de faire renvoyer papa à Budapest avec un charter de Roms.

- J’le dirai plus, maman.

- Fais bien attention à ce que tu dis et ce que tu fais, mon trésor, lui susurra sa mère en le serrant contre elle. C’est pour ton bien que je te dis ça. Malheureusement, quand ton papa rentrera, je crains fort que tu n’échappes à la fessée.

- J’m’en fiche bien. Je serai président de la République. Et d’abord, j’exige pour mon goûter, trois petits pains et trois verres de chocolat.

 

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commentaires

L
<br /> Bon, ben j'arrive un peu comme les carabiniers d'Offenbach, après un week-end loin de mon PC (pardon pour l'anachronisme...), mais pas trop tard toutefois pour profiter pleinement de cette<br /> nouvelle fable qui colle à la réalité. Merci Jean.<br />
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J
<br /> Un coup de chapeau aussi au barman pour l'illustration tout à fait dans la note de la note, et pour sa trouvaille "Christophe Clavecin" suggérée à l'auteur (rendons à César...)<br />
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J
<br /> Merci, Danielle, Lza, Ysiad, Marlène et Joël pour vos sympathiques commentaires qui m'incitent à poursuivre dans la voix de l'humour. Le rire est salutaire parfois...<br />
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J
<br /> Merci pour ce bon rire! Vivement, en effet, qui dise pu rin, qui fasse pu rin, qui x'siste pu!<br />
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M
<br /> Un petit régal pour débuter ce WE !! Merci<br />
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