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7 avril 2006 5 07 /04 /avril /2006 23:16

Les concours Calipso sont ouverts à tous, sans distinction d'âge, de nationalité ou de résidence.

Devant le nombre croissant de textes en provenance du monde entier, le jury a décidé d’octroyer un prix spécifique pour leurs auteurs : le prix calipso étranger. Ce prix n’est en aucune manière exclusif et toutes les nouvelles reçues de l’étranger participent également au concours général.

 

 

 

 

 

 Extraits de nouvelles catégorie prix étranger

 

 

Gabrielle DURANA (Etats Unis) " Départ en week end "

 

"Tu vas devoir trier tes jouets." Ma grand-mère avait mis son air sérieux. "Tu veux dire que je dois ranger ma chambre ?" Je venais de rentrer de l´école. " Non, non. Choisis seulement ceux que tu veux emporter. " Je suivais les aventures de Calculin en goûtant son riz au lait. " Emporter où ? " Je le trouvais rigolo avec son livre de maths ouvert sur sa tête. Ma grand-mère me laissa regarder la fin des dessins animés. " Tu as déjà oublié ? " On sonna à la porte, j´allai me cacher. " C´était le facteur. Allez, on s´y met ensemble. " Je la regardais du haut de mes quatre ans et demi. " J´ai envie de faire de la peinture. " Elle m´embrassa. " Après. De toute manière on n´en a pas pour longtemps. " Je fis un rapide examen : " Mis à part le lapin rouge, je veux tous les emporter. " Elle me caressa la joue. " Non. Tu peux en choisir deux ou trois. " Pour une fois, je n´ai pas demandé pourquoi. J´ai pris Martin, mon chien bleu et rose, les aventures de Calculin, que ma grand-mère m´avait achetées le jour où l´ascenseur était en panne et que les Rois Mages étaient venus le réparer et un long chewing-gum de la marque " Girafe ".

 

Ce soir là, mon père alla discuter chez le voisin. Ma mère se mit à déchirer des livres. " Je croyais que c´était interdit. " Mon père revint avec une valise de billets. " Pas celui-là, s´il te plait. Tu m´as raconté l´histoire. " Ma mère pleurait. " Ils ne doivent rien trouver. " On s´embrassa tous les trois et on continua l´équarrissage. Des livres en piles de papier et les piles de papier en sacs poubelle. J´ouvrais le vide-ordure, mon père vidait les sacs dans l´incinérateur.

Depuis longtemps, la nuit était tombée. On frappa à la porte. De derrière le rideau, je reconnus la voix du gardien. " Pour l´amour de Dieu, ouvrez ! " Il chuchotait. Ma mère fit non avec la tête. Mon père souleva légèrement son pull et je vis une arme. Il fit tourner la clef dans le verrou. Alfonso entra, livide. "  Je suis venu vous prévenir. Vous ne pouvez pas continuer à faire ça. " Je restai dans ma cachette. " Continuer à faire quoi ? " Il murmura : " Je ne vais pas vous dénoncer mais vous devez arrêter. A cause de la pollution, il n´y a plus d´incinérateur. En bas, tout tombe dans une grande poubelle. "

Il fallut aller tout rechercher. Mon père amoncela le papier dans la baignoire bleue où quand j´avais trop joué, l´eau devenait froide et grise. " Ça ne brûle pas bien le papier. " commenta ma mère. Je me faufilai comme un petite souris. " Toi, vas dans ta chambre. " Je contemplai les flammes qui se reflétaient sur le carrelage.

Le lendemain, ma mère me mit ma plus belle robe et tous les trois, on alla à la police. Ma mère sortit une trousse de maquillage. Elle en vida le contenu sur la table. La dame, d´un geste du bras rangea tous les bijoux dans le tiroir. Un uniforme m´ordonna de le suivre. Je jetai vers mes parents un regard de noyée. Ma mère me dit qu´on allait me prendre en photo. Comme je détestais les flashs, je me mis à pleurer. Elle me cajola. Je retrouvai mes parents avec soulagement. La dame sortit une boite, l´ouvrit et me mit le doigt dedans. Le bout en devint tout noir. Avec, elle appuya très fort sur une page. Puis elle remit à ma mère le livre avec la photo de mon visage et de mon doigt.

 

Maude MIHAMI (Allemagne) "Complainte d'un coeur gros"

 

Une goutte, deux gouttes, trois gouttes... d´eau et puis un flot.

Tombent sur le haut du crâne, le long du nez sans s´arrêter, glissent et rebondissent et soudain ra-len-ti-ssent. Atterrissent sur l´énorme ventre, n´en finissent pas de le parcourir, il n´y a pas de quoi en rire, s´écrasent plus bas, on ne le sait pas. Car on ne voit pas ses pieds à cause de lui. Embonpoint, surplus, bouchent la vue. Masse graisseuse qu´on a sur le devant qui nous précède poliment, en annonçant gentiment : „Nous voilà !".

Car „Nous" sommes deux: On et ce gros bidon, On et cette peau en trop. De toute façon, on n´y peut rien. Pas notre faute, on est né comme ça. Gros, lard de préférence, yeux longtemps cachés car bébé à visage potelé. Puis médicaments et traitements, énumération des tares et faces hilares. „O-bé-si-té" le mot est lâché, surcharge pondérale c´est plus médical.

On est bambin dodu, gamin joufflu, écolier grassouillet, rondouillard sur le tard. Ado n´en parlons pas, on n´existe même pas.

Et maintenant? Maintenant on a trente ans. On se regarde sous la douche, on fait une moue avec la bouche, on essaie de suivre les gouttes, sans qu´elles ne s´en doutent, mine de rien, observant leur chemin. On se sent bêta, cela va de soi. Gros et idiot. Mais on voudrait que ça change. On voudrait perdre tout ça, jeter ce fatras. Quitter ce déguisement, grotesque vêtement. Alors, Nous avons décidé, enfin On tout seul, de bouger le tas, le tout. On s´est regardé dans le miroir. Tout nu. On a bien vu, faudrait pas croire. Obésité n´annihile pas lucidité : visage vultueux, ventre volumineux, corps adipeux.

On se souvient de la nudité subie, de la timidité ressentie, pendant les cours de natation, une éternelle perversion. Ne sait pas nager, risquerait de se noyer. Baigneur en plastique qui coule à pic. Supporte idées malveillantes et moqueries méchantes. Graisse flottante, vision repoussante.

Fange fleurissante qui s´étale et contamine tous les gens dans la piscine.

Le rampant nénuphar envahit la mare, vilain petit canard au visage poupard.

De toute façon, on déteste les maillots de bain, ça tombe très bien.

On s´est habillé, enfin, on a essayé. Cou serré et cuisses saucissonnées. Un tantinet boudiné. Résultat ? Grossier paquet cadeau, du genre ballot.

Et puis on est sorti. Dans un bar branché, faut forcer le déhanché. On a respiré, pour s´encourager, on a traversé la salle, on devait être pâle. On s´est assis au comptoir, on a fait mine de ne pas voir, les regards de côté, les oeillades échangées. On n´a pas pu s´empêcher d´imaginer la serveuse : dans une position lascive, du genre expressive. Sexy dans son deux pièces, posé sur ses deux fesses. C´est amusant : les fantasmes d´un gros sont toujours répugnants, ceux d´un Don Juan deviennent valorisants.

 

 

Cédric BEAL (Suisse) " L’appel du large "

 

 

Une voix grave posée sur une musique lancinante. Il me semble reconnaître un poème d’Hafez chanté par Shahram Nazeri. Hafez, " celui qui connaît le coran par cœur ", né et mort à Shiraz à la fin du XIVème siècle et à qui les Iraniens vouent un culte particulier. D’ailleurs, j’aperçois le mausolée du poète dressé là-bas, tout proche, au milieu d’un jardin luxuriant. Quatre colonnes en marbre entre lesquelles est posé le tombeau, sobre et par endroits poli comme un miroir. Un homme apporte une rose qu’il pose sur le gisant. Les yeux sont brillants de larmes, les bouches tremblent à moins qu’elles ne murmurent. Les femmes sont vêtues de noir. Elles portent le tchador. Le regard d’une jeune fille que je crois reconnaître.

 

Ensuite, j’ai un léger moment d’égarement. Devant moi se dressent les ruines imposantes de Persépolis. Un groupe de touristes entoure un guide qui explique qu’il s’agit des vestiges les plus extraordinaires de l’empire Achéménide. Ils observent des guerriers taillés de profils dans le roc, des ethnies apportant des offrandes, des coiffes ornées de plumes. Je m’attarde quant à moi sur le ciel limpide et aveuglant, sur la grande plaine désolée que surplombe le site. Je rêve de batailles en entendant les noms évocateurs de Darius, Xerxès, Cyrius le Grand. Le choc des glaives en bronze contre les cnémides d’airain. Les quadriges des archers fendant l’armée qui souffre. La défaite de l’armée perse. Le premier marathonien apportant la nouvelle de la victoire à Athènes. Les morts sont entassés dans des tours circulaires et deviennent bien vite la proie des vautours. La psalmodie des prêtres, les offrandes offertes à Ahura Mazda. Puis le retour des généraux inquiets à Suze, le début d’une famine.

 

S’ensuit un gros plan sur un pot fumant en céramique. Je suis à Tabriz, le meilleur endroit d’Iran pour déguster " l’abgusht ", un mélange de soupe et de ragoût à base de bœuf ou de mouton si tendre qu’il fond dans la bouche, accompagné d’un généreux morceau de graisse, de pois chiches, de pommes de terre, de tomate et d’oignons. Je me sers d’un pilon pour malaxer les ingrédients jusqu’à obtenir une pâte épaisse et parfumée. Le pain fait office de cuillère. J’ai à peine fini mon repas que je suis arraché de ma table par des mains invisibles et déplacé manu militari à l’intérieur d’une mosquée. L’architecte responsable des travaux de restauration entame immédiatement un long discours sur l’historique du vénérable édifice. Mes paupières sont lourdes et j’écoute d’une oreille distraite le monologue du maître d’œuvre. Je m’absorbe dans la contemplation de quatre piliers recouverts de mosaïques et surmontés d’une admirable coupole. Les carreaux de faïence bleu cobalt ainsi que les céramiques azurite du portique répètent le nom d’Allah dans les mille et une variations possibles. Je flâne quelque peu, caressant une stèle, m’attardant devant une inscription mystérieuse lorsque je suis soudainement projeté vers l’avant comme dans un travelling et me retrouve, assis sur un tapis, à boire le thé en compagnie de ravissantes étudiantes.

Calipso (café littéraire, philosophique et sociologique)

Contact : assocalipso@free.fr

 

 

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