Dernier épisode de la nouvelle
N’importe quel fonctionnaire en charge de l’autorité aurait estimé qu’il était vital de mettre fin aux sévices et n’aurait eu l’idée d’un recours à la légitime défense que pour entériner dans l’après-coup des actes commis sous l’emprise de la folie. Celui-là au contraire, encouragea la meute à faire son devoir en toute conscience et selon des protocoles éprouvés, mais il exhorta aussi chacun d’entre eux, dans la mesure où la tranquillité future de tous en dépendait, à ne pas donner le coup de grâce et à laisser à l'étranger un peu de vie pour qu’il puisse, quelles que soient ses meurtrissures, s’en aller vivre ou succomber là où bon lui semblerait dès lors que cet endroit fût loin de leur juridiction.
Sûr de sa fin prochaine, Marco Steiner voulait profiter pleinement de la bascule du temps. Profiter de son enchantement autant que de sa malfaisance, être souverain. Autour, les hommes faisaient beaucoup de bruit. Il aurait voulu dire un mot à chacun d'entre eux, une parole d'apaisement, faire entendre que ce combat était pour rien, qu’il n’avait lui aucune nécessité, aucune prétention, pas même une seule larme à leur opposer, qu’il était simplement traversé d’une idée toute bête, peut-être épouvantable à leurs yeux mais pas si compliquée que ça en définitive, et qui était de mourir là, quelle qu’en soit la manière.
Seulement, il avait affreusement mal à la tête et au ventre, son corps tout entier était pris de tremblements et les mots qu'il voulait dire s'empêtraient dans la douleur. Il se releva à moitié et, dans l’impossibilité de rassembler ses idées, balbutia à l'adresse de l'inspecteur :
- C’est bien gentil de vous occuper de moi jusqu'au bout.
Le commissaire dégaina machinalement son arme de service et hurla de tout arrêter, absolument tout, y compris les commentaires et les mouvements d’humeurs. Puis, il ordonna que l’on face venir une ambulance dans la minute. Ses subordonnés le regardèrent sans comprendre. Il semblait être dans un état bien pire que le mourant, comme si cette mort qui s'opérait sous ses ordres, était finalement la chose la plus difficile qu’il n'ait jamais eu à supporter.
Il y eut un long silence au bout duquel le jeune agent fit semblant de rire.
- Y a moyen de s’arranger, n’est-ce pas inspecteur ?
- Ça, c’est pas sûr, petit.
- Mais qu’est-ce qu’il a avec ce mec le patron ? C’est rien qu’un pourri ! Un taré ! Personne ne le connaît ! Y a aucun risque ! Aucun !
L’inspecteur serra les mâchoires, fourra ses mains dans ses poches et prit un air qu’il aurait voulu sévère.
- Putain, mais on va nous prendre pour des rigolos, inspecteur !
- Ça oui, on va certainement.
Marco Steiner n’eut brusquement plus de goût pour rien. Aurait-il voulu rassurer son monde d’un dernier bon mot qu’il n’aurait pu, désormais incapable d’émettre autre chose que quelques bruits de gorge un peu sourds. Le monde se figeait tout autour, jusque dans ses extrêmes. Il ferma les paupières sans trop savoir s’il allait seulement être pris dans un brouillard épais ou plonger pour de bon dans le grand azur. La sirène d’un Samu le tira un instant de la nuit. Le commissaire en profita pour lui coller un extrait du journal officiel sous le nez.
- Lisez donc ça avant de vous y croire.
Commune du Vandou
Arrêté Municipal du 21 septembre 2000
Vu l’enquête préliminaire,
Vu l’exposé des faits,
Vu les avis contradictoires,
Article unique
Il est interdit à toute personne ne disposant pas de caveau de décéder sur le territoire de la commune.