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Café littéraire, philosophique et sociologique. Association culturelle dédiée à l'écriture dans tous ses arrangements et engagements : littérature, musique, théâtre, danse, peinture, photo, cinéma...

Sans rendez-vous (2)

Une autre nouvelle de Patrick Essel en plusieurs épisodes

 

Tout petit, alors qu’il faisait nuit, une femme qu’il n’avait jamais vue auparavant et qui se disait être une amie de ses parents, l’avait fait sortir précipitamment du pensionnat où il avait été admis quelques jours plus tôt, et conduit dans un dispensaire loin de son quartier. Là, une infirmière l’avait fait se déshabiller devant une assemblée de gens affairés et le docteur, un vieil homme en complet noir avec une pipe en écume au bec s’était écrié après avoir jeté un œil sur sa présentation " Encore un ? Cela suffit Martha, il faut arrêter de m’en envoyer ".

Marco, n’avait jamais rien connu d’autre que le mal, la douleur et la damnation. Se détacher, s’arracher, se démembrer faisait partie de sa condition, de sa place, de sa raison d’être, et s’il décidait de mettre fin à ses sempiternelles échappées, ce n’était certainement pas pour s’arranger d’une prescription médicale ni même parce que ses membres et ses organes étaient de moins en moins en mesure d’obéir à sa volonté, non, ce n’était pour aucune exigence du cœur ou de l’esprit, pour lui, ça l’avait bien pris comme ça, sans y avoir réfléchi et alors qu’il était sur le point de prendre ses cachets pour la nuit.

La décision avait été soudaine, l’explication inutile, la tournure impérative. Un soir, un homme qu’il connaissait un peu pour l’avoir soutenu un jour dans un centre de rétention et qui se disait en partance pour une île du Pacifique, lui avait fait don, au nom de la solidarité des démunis, de son invraisemblable collection de dépliants touristiques. Marco Steiner l’avait remercié d’une fraternelle claque sur l’épaule et d’un " Ah, les voyages mon cher Hadzi ! Les voyages … " Avant de se coucher, il avait tiré au hasard une brochure du lot et regardé à la va-vite les photos qui l’illustraient. Puis, il avait fermé les yeux. Les images ne l’intéressaient pas vraiment. Où qu’il aille, il en voyait bien assez comme cela tous les jours. Bien plus que les images, les premières lignes d’introduction du prospectus avaient retenu son attention. Il n’avait pas eu besoin de rouvrir les yeux pour s’en remémorer la teneur ou en vérifier le contenu.

" C'est ici, au Vandou, à l'ombre du Massif des Maures et dans l'azur de la Méditerranée, que la nature a caché quelques-uns de ses plus beaux trésors… "

Quelqu’un autrefois avait dit de lui qu’il était un trésor. C’était vraiment très loin dans le temps mais il s’en rappelait comme une promesse. Ce quelqu’un-là, disait mon trésor en le regardant avec ravissement, ou mon cher trésor ou encore mon trésor adoré, rien que de plaisantes attentions. Ce quelqu’un-là était une femme, forcément. Aujourd’hui, il ne fréquentait les femmes qu’à l’occasion et parmi les hommes qu’il rencontrait pas un seul n’aurait estimé qu’il puisse valoir quelque chose de plus qu’eux-mêmes. C’est donc là-bas, du côté des trésors du Vandou, à l’ombre du Massif des Maures, que j’irai finir mes jours, avait-il décidé sur-le-champ. Et pour la première fois depuis qu’il avait évacué quelque soixante années auparavant le ghetto de Prague, il s’était endormi presque instantanément.

à suivre …

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