Mes vertes années
Paroles de Louis Delorme
Musique et interprétation : Serge Bastille
Pour le " bal des 500 ", plus d'une quinzaine de personnes ont apporté leur amour des mots et des arts, sous forme de poèmes, nouvelles, textes courts et même chansons et peintures. Qu’elles en soient toutes félicitées pour leur indéniable talent. En effet, ce fut pour moi un plaisir et un honneur de présenter leurs œuvres qu’elles ont bien voulu me confier l’espace d’un instant.A leur tour, donc, Johanne Hauber-Bieth, Irène Devaux, Yvonne Oter, Sylvie Wesley, Yvette Bonnaric, Claude Romashov, Arlette Homs, Franck Garot, Danielle Hymbert Zenaïdi, Jean-Pierre Michel, Louis Delorme, Colette Rigoulot, Jacques Charlier, René Lallement, Martina Scanavinovich et Ana Surret, tous, m’ont chargée de remercier, en premier, Patrick l’Ecolier, le très sympathique barman du Café littéraire CALIPSO, qui a fait un travail remarquable de mise en page, ainsi que tous les commentateurs, des esthètes sensibles à la saveur des mots, à la musique et à la peinture, mais sachant également apprécier l’humour. Encore un grand MERCI à TOUS !
*Les textes des poètes, accompagnés des commentaires, paraîtront dans les revues que dirigent certains poètes passés sur CALIPSO.
Suzanne ALVAREZ
Le caprice de la rose
La Rose, un beau matin, ne voulut plus séduire.
Elle décida lors de ne plus sentir bon !
"Cela ne suffit guère, encor faut-il réduire
L’éclat de votre mine... ou rayonne un beau ton !"
Fit remarquer le lys en admirant la belle ;
Lui, se trouvant si beau, prisant sa propre odeur,
Ne pouvait pas comprendre, à la fin, la rebelle.
"Pourquoi cette lubie à vouloir la tiédeur ?
Décidément, Madame, où part votre jugeote ?
Vous aurez bien le temps d’avoir vilain aspect
Quand vous vous fanerez, que vous serez vieillotte...
Votre soudain tracas me semble un peu suspect !"
"C’est qu’à trop plaire, hélas, l’on n'est jamais tranquille"
Lui répondit la rose, "et moi, je veux la paix !"
"Tout ce bruit fait pour moi me déplaît, m’horripile.
Aujourd'hui je dénonce un chagrin vil, épais,
D’être toujours la reine, ici-bas, que l'on coupe
Car je parle d’amour, parfois de passion,
Lorsque je me retrouve en vase, en pot, en coupe !
À moi, vient-on parler rempli d’émotion ?"
Le lys, compréhensif, plaignit la demoiselle ;
Lui qui, pour secourir, était toujours dispos,
La regarda de face et, se penchant vers elle,
D’une voix de stentor, lui lança ces propos :
"Vous devriez savoir pourtant que cœur de femme
Pour réjouir un homme a besoin d’être ému !
Si l’homme use de vous pour déclarer sa flamme
C’est que tout votre éclat, par le monde, est connu !"
Épilogue
C’est ainsi que la fleur, de toutes, merveilleuse,
Flattée à l’évidence oublia son chagrin :
Son rôle était de plaire en fragrance enjôleuse ?
Son parfum, sur-le-champ, s’exhala souverain !
Johanne Hauber-Bieth
Extrait du recueil " En Cueillant le Jour "
Espace...
Espace...ô liberté de nos premiers matins
Ouvrant sur l'infini du rêve et du mystère,
Tes volumes sont pleins de vides et de terre
Se révélant parfois si proches et si lointains.
Une étoile s'allume au fond des cieux éteints
Pour éclairer, la nuit, l'Univers planétaire
Ton ombre s'alourdit et puis...se désaltère
A l'aube qui se lève en robe de satin.
Dans ton silence vague où notre âme se grise
Nous cherchons un écho...mais la raison s'épuise !
Pèlerins sans boussole, explorant "tes chemins",
Nous sillonnons le ciel, de nos vaisseaux sans ailes...
Existe-t-il un monde ignoré des humains
Où le Temps tisse encor...des heures éternelles...
Irène Devaux
Lisa.
Il cueillit la première pâquerette du printemps. La plus nouvelle, la plus belle, la plus fraîche. Il surveillait sa prairie depuis des jours, voyait se développer les premières feuilles, puis pousser la fine tige fragile poussant son bourgeon innocent vers la lumière encore timide du soleil engourdi. Il guettait l’éclosion des pétales chiffonnés en attendant leur réel épanouissement. Chaque midi, il prenait un apéritif de senteurs printanières en se penchant au ras de l’herbe en renouveau et humait un bouquet d’effluves grisants portés par un léger souffle coquin.
Il cueillit la première pâquerette du printemps dès sa floraison. Ses pétales bleus rappelaient parfaitement le bleu des yeux de Lisa et son arôme végétal, de citron vert mêlé d’une pointe de musc, semblait le parfum même de la peau de Lisa. Sa souplesse reflétait parfaitement la grâce de Lisa quand elle dansait nue dans la lumière du premier matin. Sa corolle ébouriffée était la chevelure de Lisa décoiffée par l’ardeur de son amour. Sa fraîcheur et sa beauté dénotaient les quinze ans de Lisa. Sa fragilité était celle de Lisa lorsqu’elle s’abandonnait entre ses larges mains d’homme. Les perles de rosées ayant survécu aux rayons de lumière n’étaient que le pâle reflet des larmes de Lisa lorsqu’elle était repartie à la fin des vacances. Et le vent s’élevant en une brusque bourrasque ne donnait qu’une vague idée du désespoir que son départ avait provoqué dans son cœur vierge d’homme mûr qui y avait tellement cru et se retrouvait esseulé au milieu de sa prairie désertée.
Il froissa la première pâquerette du printemps entre ses larges mains brutales, veillant à ne laisser intacts aucun des pétales bleus, essuyant leur parfum fruité et musqué sur son pantalon de toile, frottant, frottant, frottant, pour effacer Lisa.
Yvonne Oter, septembre 2009
Partir
Partir un soir d’avril sans esprit de retour,
Fuir loin des bruits épars de la ville éternelle,
Bercé par le chant pur qu’un zéphyr troubadour,
Arpège à fleur de ciel, de gamme en ritournelle
Lorsqu’à l’ancre du cœur qui chavire, éperdu,
Se meurent les espoirs, fragile épithalame,
Aux confins de l’oubli sombre un bonheur perdu
Qu’un vent d’incertitude a consumé la flamme.
Partir sans contempler les moires du couchant
Nimber l’or des coteaux d’une brume opaline,
Chaviré de senteurs, d’effluves s’épanchant
Sous le souffle vermeil de l’azur qui décline,
Lorsqu’au bleu du regard où l’eau s’unit au feu,
S’embrase un souvenir éveillant une alarme,
A l’heure des regrets, ne brûle qu’un aveu,
Au point de non-retour, ne brille qu’une larme.
Sylvie Wesley
Quand un rire d'enfant
Quand un rire d'enfant éclaire un pur visage,
Quand une aube d'avril naît au chant des oiseaux,
Quand la brise odorante argente les roseaux,
Mon esprit refleurit comme dans son jeune âge.
Quand la vague amoureuse épouse le rivage,
Quand un chien confiant approche son museau,
Quand la blondeur des blés se pare de gerzeaux,
Mon être rajeunit jusqu'à l'enfantillage.
Car mon âme a besoin de la simple beauté,
De l'intime splendeur, d'un geste de bonté,
D'un reflet de soleil sur l'eau vive et riante.
Et le givre éclatant d'un amandier en fleurs,
L'arc en ciel d'un amour, après le temps des pleurs,
Désaltèrent mon cœur d'une onde irradiante.
Yvette Bonnaric
Des perles d’ambre
Ils avançaient dans la nuit sans étoiles. La journée avait été étouffante et le soir n’avait guère apporté de fraîcheur. L’ombre bleue noyait la végétation qui se raréfiait à mesure qu’ils grimpaient. Elle essuya la sueur de son visage, voulut reprendre son souffle mais les rudes montagnards ne ralentissaient pas leur marche. Ils savaient exactement où mettre leurs pas, sauter sur les pierres des torrents, trouver le sentier qui évitait de longs détours. Ils avaient rempli leurs musettes au dernier village. Un village de pierres sèches et de terre battue, pratiquement désert. Ils s’éclairaient à la lampe électrique. Il fallait être discret, éviter le moindre bruit. Les parfums de la garrigue lui remontaient aux narines. Elle respira profondément les odeurs de thym, de ciste et de verveine. Toutes les plantes sauvages qui évoquaient le soleil, la terre aride et le sel de la méditerranée. C’était une fille née sur le sol aride de Provence au hasard des pérégrinations des siens.
Ses doigts s’enroulaient autour des perles de son sautoir. Un collier qui l’accompagnait depuis l’enfance. L’ultime cadeau de sa mère. Elle qui avait traversé une partie de l’Europe pour terminer sa vie à l’hospice des Filles de la Charité, victime de la grippe espagnole. Ce collier sans grande valeur était un cadeau transmis à travers le temps, à travers le voyage qui était leur raison d’être. Il dégageait des effluves d’ambre jaune et gris. Gris comme les sécrétions de l’estomac des baleines, lui affirmait son père quand elle était gamine. Elle aimait le porter car il était à la mode de ces années là. On la complimentait sur l’effet qu’il produisait sur sa petite robe noire. Les amants y coinçaient leurs doigts gourds avant d’effleurer sa chevelure de cendre blonde et plonger leurs yeux dans son regard pervenche. Elle aimait cela comme elle aimait la frivolité de ces années d’après guerre. Le sang de ses ancêtres bohémiens courait dans ses artères et dans son âme aventureuse. Elle aimait l’odeur des ports de la musique du vent dans les mâts des bateaux. La spirale enivrante du voyage. Elle avait offert sa solitude aux hommes de passage et toujours, le collier était là, comme un animal domestique qu’on caresse machinalement, une dernière attache quand on se retrouve seule au bord d’une route semée d’embûches. C’était bon les soirs de spleen de respirer son odeur si entêtante. Une odeur qui ne la lâchait jamais. L’odeur piquante du flacon des sorcières qui était la continuité de son histoire familiale. Bribes de chants, couleurs chatoyantes des châles, beauté de sa jeunesse jetée aux quatre vents.
Ce soir il tintinnabulait au gré de la marche. L’homme qui la précédait se retourna le regard courroucé. Discrète, il fallait marcher en silence. La discrétion et la bienséance ne lui ressemblaient guère. D’ailleurs son amoureux (celui pour qui elle courait au devant du danger) l’aimait pour cela. Elle l’avait rencontré lors d’une marche pour la paix. C’était un homme engagé, un militant. Sa faconde, son goût du risque, l’art de jeter toutes ses forces dans la bataille l’avait séduite mais aussi, sa carrure imposante, son visage énergique et dur que démentait la bonté de ses yeux. Cette excursion de nuit, dans la montagne était dangereuse. Elle l’avait acceptée pour lui, pour défendre un idéal qu’elle partageait, dont la générosité coïncidait parfaitement avec l’exaltation de son histoire d’amour.
Elle avait caché les ondes de sa chevelure dorée sous un béret, mis des vêtements sombres, évité de parler mais, le collier non, elle ne voulait pas s’en séparer. Il était son porte-bonheur. Une part d’elle-même.
Les larmes lui montaient aux yeux. Elle ne cèderait pas aux injonctions de l’homme. Il avait beau grogner entre ses dents que les femmes ne servent à rien et ralentissent la marche avec leur fichue coquetterie, elle ne faisait pas plus de bruit que lui avec son bâton ferré et ses godillots de montagne.
Cela faisait des heures qu’ils luttaient pour gravir le sentier abrupt des contrebandiers. Ils étaient presque au sommet et apercevaient les lumières de la ville dans la vallée. La ville où leurs compagnons espéraient fébrilement leur venue.
Ils étaient presque arrivés devant la cache fermée par un éboulis de pierres. Là où s’entassaient le stock d’armes. Il fallait faire vite, se charger des caisses qui contenaient fusils et pains de dynamite, pour rejoindre au refuge, près de la frontière, les combattants qui les recevraient. Ils espéraient que tout se passerait sans incident car deux semaines auparavant, une patrouille phalangiste avait démantelé une colonne de partisans, pas loin de là, sur un autre versant.
Les caisses pesaient lourd et son collier la gênait. Elle ne l’ôterait pas. Ce soir, il lui avait encore porté chance. Et d’autres voyages l’attendaient, elle et les passeurs d’armes de la guerre d’Espagne.
Elle en refit quelques uns, malgré la répression qui s’intensifiait. Ce soir là, elle était fiévreuse et resta allongée dans sa chambre d’hôtel. Tout était prêt. Les hommes allaient repartir bientôt, sans elle. Son amoureux hésita à quitter son chevet. Il la regarda avec inquiétude en remontant le drap sur ses épaules. Elle le rassura. Pour une fois, lui et ses compagnons se passeront de son aide. Son collier était posé sur la table de nuit. Quand elle voulut s’en saisir avant de s’endormir dans l’odeur de cire et de lavande de la petite chambre. L’air entra par la fenêtre et la fit frissonner. Le fil du collier, pourtant solide se cassa et les perles ambrées roulèrent en faisant un bruit assourdissant sur le carrelage froid. Un bruit qui masqua les tirs des fusils mitrailleurs dont l’écho se répercuta de loin en loin sur les flancs de la montagne.
Claude Romashov
En attendant le vent
Un tout petit chemin serpente doucement,
Sauvage, parfumé, il court négligemment
Puis, joue à cache-cache au pied de la colline
Au loin on aperçoit une pauvre ruine,
D'un vieux moulin à vent.
Un pan de mur déjà, s'est un jour écroulé,
Les herbes ont envahi, le cers (1) a déboulé,
Cruel et sans merci, il a brisé ses membres,
Secoué, transpercé, en ce mois de décembre,
Il est là, le moulin à vent.
Le meunier certain soir l'avait abandonné
Sans regret, sans remord, dans ce lieu vallonné.
Il n'a plus qu'un secours, son amie la renarde,
Qui vient rôder ici, et bien qu'un peu roublarde,
Console le moulin à vent.
C'est une bonne amie, car elle le comprend,
Il arrive à rêver, il oublie le présent,
Tous ses maux, ses malheurs, sa grande solitude,
Le mal qu'on lui a fait, avec ingratitude.
Il est triste le moulin à vent.
Dans un sursaut d'orgueil, il ne peut s'empêcher,
D'espérer que quelqu'un viendra tout défricher,
Les ronces, les buissons, et les herbes rebelles,
En attendant le vent qui tournera ses ailes,
Optimiste est le moulin à vent.
cers : vent local qui souffle sur le bas Languedoc.
Arlette Homs
Radio
Voiture. Autoroute. Radio en sourdine.
— Il y aura qui chez ta mère ?
— Mes deux frangins, mes oncles Pierre et Stéphane…
— Elle sera là ta tante ?
— Laquelle ?
— Léa.
— Évidemment puisque Pierre sera là ! Je te rappelle qu’ils sont mariés, ma chérie.
— Elle va encore nous poser des questions…
— Et alors ?
— J’aime pas. Ça devient gênant. Elle dit qu’après huit ans de mariage, on doit avoir des enfants.
— Laisse-la dire. On s’en fout.
— Non, Julien, on s’en fout pas.
— On va pas recommencer ?
— Et pourquoi pas ?
Voiture. Autoroute. Il a monté le volume de la radio.
Franck Garot
Soirs de confidences
Quand je parle à ton cœur, que la vie a froissé
En cette fin du jour où le bonheur s’effeuille
J’aimerais que les mots au soyeux de ma feuille
Brodent l’or de tes yeux de rêves enlacés .
Quand je parle à ton cœur, aux soirs de confidences
Où dansent les reflets que filtre l’abat-jour
Renaît dans ton regard où s’éveille l’amour
Une aube de lumière en sa magnificence.
Quand je parle à ton cœur, qu’un doute effleure encor
Ecoute les échos, au chant de mes -je t’aime- .
Dans le lit de la nuit où éclot mon poème
Chaque vers est musique au clavier de ton corps .
Jean-Pierre Michel
Incertitudes
J'aime entendre le coq dans mon demi-sommeil
Il me dit que le jour est à moins de deux heures ;
Et mes craintes s'en vont, seule ma joie demeure :
De pouvoir contempler le monde à son réveil.
Oh, le chant des oiseaux dans un champ de soleil!
Sur le moindre rameau, c'est la rosée qui pleure ;
Quand le premier rayon touche notre demeure,
C'est un enchantement à nul autre pareil !
Le bouleau, dans la brise, a des bras qui s'étirent ;
Au moindre souffle d'air, ses feuilles qui respirent
Laissent voir un instant leur revers argenté ;
Bientôt, c'est le jardin tout entier qui s'enflamme,
Dont chaque goutte d'eau se met à miroiter
Et j'ai le sentiment de voir flotter mon âme.
Louis Delorme (autoportrait orange)
Dernière rose
En sa robe de feu, cette dernière rose
Perdue en fin d'été, d'effluves distillés
Son parfum capiteux, lançait pour nous charmer
Afin de nous séduire, en une apothéose.
Corolle pourpre offerte aux ultimes rayons
D'un astre à son déclin, elle craint qu'il n'exhale
Une brise glacée, enfin, farce finale
N'emporte sa beauté, la vêtant de haillons.
En effeuillant au vent, sa tenue veloutée,
Avant que cet hiver, la réduise à quia
Quelques pleurs de rosée, y jetaient leur éclat
Perles de diamant, sur sa face moirée.
Colette Rigoulot
La vespasienne
Sous les ombrages frais des arbres verdoyants,
On entendait jadis, se mêlant à la rue,
Le murmure de l’eau puis les airs clapotants
De la vespasienne aujourd’hui disparue.
Car sans compassion, malgré mon désaveu,
Des tâcherons armés de folie novatrice
L’ont lâchement détruite et provoqué l’adieu
De ce qui incarnait ma fée libératrice.
A sa place, ô blasphème, existe, vil suppôt,
Un édicule ingrat qui vous tend sans vergogne
Sa lézarde à monnaie, pour recueillir l’impôt
Qui de Vespasien fut la triste besogne.
Au zénith de l’urgence, on peut le déplorer,
Je n’entrerai jamais dans cet antre aseptique
Où la porte vous claustre, où la brosse à curer
Se livre à je ne sais quel geste automatique.
Aussi, quand vous verrez un passant agité,
Réprimant sans espoir la crampe pelvienne,
Vous pourrez dire alors, empreints de gravité,
" C’est lui qu’on a privé de sa vespasienne ".
René Lallement
Martina Scanavinovich