Ce numéro 20 de la série " A propos de… " sera peut-être le dernier. Son auteur Gilbert Marquès souhaiterait en effet marquer une pause, changer de formule ou tout simplement partir en voyage… à moins que vous amis lecteurs l’incitiez à poursuivre l’aventure…
Pour paraphraser OBELIX, je pourrai dire être tombé dans la marmite théâtrale tout petit. Dès l'âge de six ans en effet, j'ai tenu mon premier rôle dans "Le Petit Prince" d'Antoine de SAINT-EXUPÉRY mais bien plus qu'au travail de comédien, je me suis très tôt intéressé à la mise en scène.
J'ai commencé à l'apprendre sur le tas auprès de différents metteurs en scène plus ou moins prestigieux jusqu'à créer avec deux compères, notre propre troupe.
Mon propos n'est pas toutefois de vous raconter ma vie mais plutôt d'essayer d'établir un parallèle entre le théâtre et le cinéma en expliquant pourquoi j'ai choisi la voie de la mise en scène théâtrale plutôt que la réalisation cinématographique.
Alors donc que la troupe fonctionnait depuis déjà plusieurs années, un des associés s'est vu offrir l'opportunité de tenter l'expérience de la réalisation au cinéma. Avec lui, j'aurais pu prendre ce virage mais après l'avoir parfois assisté, j'en suis resté à la mise en scène théâtrale.
Pourquoi, alors qu'à peu de chose près la direction d'acteur paraît semblable ?
Pour moi qui suis aussi musicien, la différence fondamentale existant entre le cinéma et le théâtre m'est apparue comme étant celle qu'il y a entre un concert en public et un enregistrement de disque en studio. L'un se fait en quelque sorte au grand jour alors que l'autre se passe dans un monde en vase clos.
Je ne suis pas claustrophobe mais poursuivre au cinéma m'aurait frustré de plusieurs choses considérées comme primordiales à mes yeux. Puis, comme en studio, m'a toujours énormément gêné l'omniprésence de la technique à laquelle je n'ai jamais pu m'habituer alors qu'au théâtre, elle est beaucoup plus légère.
Tourner prise par prise, recommencer parfois la même des dizaines de fois, être entouré d'une équipe de techniciens à laquelle l'œuvre se trouve assujettie ne me convenait pas. Devoir filmer des kilomètres de pellicule puis construire le film au montage me donnait l'impression de ne pas maîtriser le scénario à cause de ce que je définissais être une absence de continuité. Toutes ces phases indispensables se pratiquant dans une sorte de laboratoire, j'avais la désagréable sensation de passer à côté de l'essentiel et d'être privé de ma liberté d'action.
A tort ou à raison, je ne sentais pas s'établir le lien qui me semble indispensable, entre l'auteur et moi tout au long des lectures nécessaires pour monter le canevas d'une mise en scène. Je n'éprouvais pas non plus la complicité qui s'établit entre les comédiens et moi au fil des répétitions mais aussi entre eux afin que chacun trouve sa place. Il me semblait que la mise en scène cinématographique me privait des relations humaines que m'offrait le théâtre.
Selon la conception que j'avais alors du cinéma, il y avait trop de contraintes extérieures qui pouvaient aller jusqu'à dénaturer l'œuvre au service de laquelle je me mettais tout en essayant d'y ajouter mon empreinte et celle des comédiens que j'impliquais.
Il y avait enfin dans ce processus, une part incontournable pouvant faire capoter tout projet, le financement. Le budget nécessaire pour réaliser un film m'est toujours apparu être sans commune mesure avec celui qu'exige le théâtre même si ce dernier n'est souvent pas négligeable. J'ai pu monter des pièces avec des sommes dérisoires ne nuisant en rien à la qualité du spectacle alors que secondant mon associé dans la réalisation, j'ai pu constater qu'il lui fallait parfois beaucoup de temps pour réunir tout ce qui lui était nécessaire afin de mener son projet à bien et notamment les fonds. Il dut même, quelquefois, en reporter certains et en abandonner d'autres. Ce fut probablement le motif qui m'apparut le plus rédhibitoire et me motiva à renoncer au cinéma simplement parce que j'ai pensé qu'il me détournait de mon véritable travail en m'obligeant à m'éparpiller dans des démarches annexes complètement étrangères à la création.
Mais surtout, la réalisation cinématographique ne m'apportait pas le contact presque charnel avec le public dont j'avais besoin. Certes, le metteur en scène de théâtre ne l'éprouve pas aussi directement que le comédien sur scène mais installé dans un fauteuil de la salle comme un spectateur, il en sent les pulsations à chaque geste, à chaque réplique.
Une pièce, même jouée des centaines de fois, n'est jamais complètement identique d'une représentation à l'autre. Il y a la fébrilité de la première avec le trac qui noue les entrailles. Il y a le jeu des acteurs qui s'affirme au fil des soirs au point qu'ils finissent par s'identifier complètement au personnage dont ils deviennent plus que des interprètes en s'appropriant totalement le texte de l'auteur et les détails de la mise en scène. Ils ne jouent plus à les vivre. Ils les vivent. Il y a enfin la tristesse des soirs de dernière qui se transforme à la fois en fête et en rupture puisqu'il s'agit de la fin d'une aventure.
Durant cette osmose qui dure plus ou moins longtemps, le metteur en scène vibre à chaque scène à laquelle il découvre toujours quelque chose à ajouter, à améliorer, à inventer. Le destin de la pièce ne lui appartient plus complètement à partir du moment où il lâche les comédiens sur scène face au public mais au travers de leur travail, il se remet en question jour après jour.
C'est à la fois cette peur, cette hantise mais aussi cette immense satisfaction vécue dans l'immédiateté de l'instant qui me manquait au cinéma. Le théâtre est un spectacle périssable avec une prise de risque quotidienne alors que le cinéma, une fois le film achevé et figé sur une pellicule, devient une sorte d'archive impérissable.
Le théâtre joue avec le temps. Le cinéma le détourne. L'un est précaire et mortel, l'autre immuable et immortel. L'un se nourrit de contacts avec les spectateurs, l'autre de distance mais… tous deux entretiennent le rêve.
Pourtant, ces deux arts dont le premier est réputé élitiste et le second plus populaire au sens noble du terme, ne sont pas antinomiques comme pourrait le laisser supposer mon propos mais plutôt complémentaires. Si l'un donne la part belle au verbe et au spectacle vivant, l'autre a su utiliser la technique pour leur donner une autre dimension en permettant toutes les excentricités possibles ou presque. Le cinéma va au-delà du rêve, il le suscite.
Je l'ai compris bien plus tard et je me suis alors rendu à l'évidence que la mise en scène théâtrale et la réalisation cinématographique sont deux métiers tellement différents que si j'ai exercé le premier avec délectation, je n'aurais certainement jamais pu m'adapter au second.
Peut-être aurais-je dû me contenter de rester comédien, ce qui m'aurait permis d'aller de l'un à l'autre pour varier les plaisirs mais je ne regrette pas mon choix et si je suis toujours un fervent partisan du théâtre, je demeure aussi un spectateur attentif de ce qu'offre le grand écran de sorte que dans mon esprit, je suis parvenu à les réconcilier.
Aussonne, le 20 décembre 2009