Aujourd’hui, tout en chantonnant le refrain selon lequel "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous allons traîner nos guêtres le long des galeries d’art situées dans le sixième arrondissement de Paris. C’est fou comme il est agréable de flâner, durant les belles journées d’automne, dans les petites rues où se niche tout ce que la capitale compte de plus en vogue parmi le peuple des artistes. Même si vous éprouvez quelques difficultés d’ordre esthétique à adhérer à toutes les nouvelles tendances, vous aimez assez vous tenir au courant de ce qui se fait comme de ce qui s’expose, afin de ne pas avoir l’air de tomber du cocotier lorsqu’il est question, par exemple, de : Michaël Jackson and Bubbles, œuvre incontournable exposée récemment au château de Versailles - à ne surtout pas traduire par Michaël Jackson et des bulles, mais par : Michaël Jackson et Bubbles ; ce dernier ayant été le primate favori dudit chanteur. Ne prenez pas cet air ahuri s’il vous plaît, cela n’a rien de surprenant ; Georges Clooney n’a-t-il pas partagé les années les plus érotiques de sa vie avec Max, un porc vietnamien d’une séduction brûlante ? Michaël Jackson avait donc tout à fait le droit de donner à fond dans le chimpanzé, et Jeff Koons de les sculpter dans la porcelaine, tous deux vêtus du même costume or et blanc.
Comment bien foirer à un vernissage dans Paris
par Ysiad
Vous voici donc dans le quartier des artistes, en train d’observer derrière la vitre d’une galerie à la pointe de l’art toutes sortes d’objets tubulaires composés de matériaux recyclés, et sans doute votre esprit grossier cherche-t-il déjà l’usage que l’on peut bien faire de ces choses aux formes insolites trônant sur des colonnes de marbre blanc de hauteurs différentes, lorsqu’un être tout aussi insolite portant catogan et blouson clouté vous fait signe d’entrer. C’est vrai, ça, au lieu de rester plantée sur le trottoir comme n’importe quel quidam, poussez donc la porte de l’art, le galeriste vous y invite ; pourquoi vous faire prier ? Et regardez comme vous avez de la chance : c’est la soirée du vernissage.
Un imposant buffet barre le fond de la salle principale, copieusement chargé de bouteilles de champagne, et pas n’importe lequel. L’artiste doit être connu ou le mécène très riche, en tout cas c’est du Roederer. Vous n’en buvez pas tous les jours, alors demandez vite une flûte bien pleine. Voilà. Parfait. Vous y avez droit comme les autres, et puis vous serez plus à l’aise, une coupe à la main, pour signer le registre que le galeriste vous indique, en vous priant de laisser vos coordonnées à côté de votre signature, pour l’envoi du catalogue. Il est tellement plus agréable de recevoir un catalogue d’art dans une belle enveloppe timbrée du sixième arrondissement qu’un message électronique du discounter du quartier prévenant sa clientèle d’habitués qu’il y a des prix fracassés sur les Mars en pack en douze entre le 7 et le 10 janvier, reconnaissez-le en vous mêlant à la foule venue admirer l’œuvre de l’artiste dénommé Eloy Rampignol.
Rampignol ne se contente pas de créer des sculptures tubulaires à base de matériaux recyclés. Il prend toutes sortes de photos représentant des décharges publiques dans un clair-obscur étudié, où des cuvettes de toilettes sont jetées les unes sur les autres au milieu de vieux cintres et d’abat-jour éventrés. Un peu plus loin, il y a sa série des Pinces à linge à contre-jour, bouleversante de vérité. C’est de l’art, admettez-le en demandant une rasade supplémentaire de champagne au buffet, et allez admirer la salle consacrée aux dernières toiles de l’artiste. Un groupe de catogans et de queues de cheval discute face à un tableau de deux mètres sur trois mêlant des couleurs très crues autour de ce qui vous semble être une grosse tache entièrement bleue. Vous posez la coupe sur un guéridon pour fouiller dans vos poches à la recherche de vos lunettes. Point de lunettes mais des papiers de bonbons à foison, qu’il faudra jeter dès que possible. Pour l’heure, où sont passées ces satanées binocles ? Dans votre sac, peut-être. Fouillez. Encore. Ouf, les voici. Videz votre coupe et chaussez-les, afin de contempler tout à loisir le chef-d’œuvre de Rampignol intitulé : La naissance du Schtroumpf bleu.
A première vue, la grosse tache bleue, c’est le Schtroumpf qui vient au monde, au milieu de fulgurantes éclaboussures de rouge de vert de jaune et de violet, tandis qu’au loin, le ciel persiste dans un noir absolu. C’est ainsi, et sans doute ce noir très dense signifie-t-il que cette naissance n’est pas forcément porteuse de bons présages, d’après le petit texte à droite du tableau de Mark Greenson, qui a été traduit de l’américain par Hortense Bourrin-Lepannard. Heureusement, un grand serveur passe avec du champagne frais et remplit votre coupe à ras bord, trop aimable. Tout en aspirant vos bulles, vous clignez des yeux et vous efforcez de piger face au tableau ce que l’artiste a voulu dire derrière cette "très intéressante polychromie autour de la représentation métaphorique d’une déité du troisième millénaire", comme le souligne le barbu à votre droite, pour qui les subtilités de la peinture avant-gardiste ne semblent avoir aucun secret. Vous continuez à cligner, en écoutant d’une oreille vague la logorrhée de l’initié, quand soudain, il vous semble apercevoir au milieu de la tache bleue, les traits du chef de l’Etat. Allons bon. Stupeur. Horreur. La coupe de champagne est vide, la tête vous tourne et vos poches sont bourrées à craquer de papiers de Carambar et de mouchoirs sales. Point de corbeille aux angles de la pièce, peut-être y en a-t-il une dans la première salle. Certainement. Il faut simplement s’en enquérir auprès du serveur qui passe, là-bas, tout habillé de blanc.
Vous vous faufilez tant bien que mal parmi la foule de plus en plus dense pour alpaguer le petit homme en blanc qui glisse comme une ballerine de groupe en groupe, et c’est en lui demandant où se trouve la poubelle la plus proche que vous réalisez à son air stupéfait qu’il ne s’agit pas du serveur, mais d’Eloy Rampignol soi-même.
Bingo. En plein dans la croûte. C’est foiré.
Mais si par miracle, à l’instant de vous éclipser, avisant un récipient caca d’oie à l’entrée, vous sortez l’immonde petit tapon de vos poches pour enfin vous en défaire, et que le catogan clouté se précipite pour vous faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’une poubelle mais d’une œuvre signée de l’artiste, (Le Vase de nuit – Période grise – 2002), alors seulement, la petite escapade au vernissage d’un artiste en vogue dans le sixième arrondissement de la capitale aura été bien foirée.