Pour cette fin de semaine le café affiche au menu une véritable évaluation des préoccupations de la population avec la prise en compte effective de l’effort prioritaire qui doit être mené en faveur du statut précaire des exclus, réflexion qui bien sûr se prévaut d’intégrer dans sa finalisation globale un plan correspondant véritablement aux exigences légitimes de chacun et qui en un mot viendra soutenir un projet d’avenir porteur de véritables espoirs dans lequel jeunes et seniors pourront enfin retrouver toute leur dignité.
C’est en toute connaissance de cause que Danielle Akakpo a accepté ce jour d’être à vos côtés dans la recherche de cette réponse juste, humaine et fraternelle qui nous tourmente tant : quelle est aujourd’hui la véritable place du consommateur dans un corpus social en pleine déliquescence ?
* * *
Vous avez soixante printemps, vous avez passé ce cap ? Alors vous avez sans doute reçu les mêmes coups de fil que ceux dont je vais vous entretenir ci-après. Les premiers m’ont mise en rogne. Les suivants m’ont permis d’affiner une technique propre à me mettre en joie. Jugez plutôt.
- Allo, monsieur ou madame Ak, Ak, Ak…
En général, je prends pitié et je termine :
- Madame Aka(k)po (eh oui, on ne prononce pas le second k, quand on le sait, c’est hyper simple)
- Françoise Truc de l’institut de sondage Machin. Nous faisons actuellement une enquête sur la consommation des ménages. Avez-vous quelques minutes à me consacrer ?
(Cet appel était le tout premier appel du genre.)
- Ma foi, s’il ne s’agit que de quelques minutes… ( C’est bien de montrer qu’on n’a pas que ça à faire mais qu’on sait faire preuve de bonne volonté. Et puis, on ne sait jamais, s’il y avait un petit cadeau à la clé ?)
- Puis-je me permettre de vous demander, madame, si vous avez moins de soixante ans ? (Question bien indiscrète ! Est-ce que je lui demande son âge, moi, à madame Truc ? )
- Hélas, non. (Pourquoi je dis hélas ? J’assume parfaitement mon âge, je suis une heureuse retraitée, bien dans sa peau et très occupée !)
- Ah… (Temps mort au bout du fil). Je suis désolée, vous n’êtes pas concernée par notre sondage. Au revoir.
Furieuse, je me tourne vers mon mari et explose :
- Tu comprends ça, toi, ça ne te fait pas bondir ? À partir de soixante ans, on est exclu des enquêtes sur la consommation des ménages. Qu’est-ce qu’ils croient ? Qu’on se nourrit uniquement d’un bol de soupe et de biscottes ? Ont-ils peur de nous entendre larmoyer qu’on va au marché sur le coup de midi chercher des fruits et légumes au rabais, ou que l’on en est réduit à fouiller les poubelles des grandes surfaces ?
Quelques jours plus tard, dring… de nouveau.
- Bonjour ! Marie Chose de l’association Pierre et béton. Nous lançons une vaste consultation sur le logement. Puis-je vous poser quelques questions ?
Je refais mon cirque :
- Ma foi, s’il ne s’agit que de quelques questions…
- Tout d’abord, quelle est votre profession ?
Ça ne me met même pas la puce à l’oreille et je claironne :
- Retraitée.
- Je regrette, notre consultation ne vous concerne pas.
Et vlan, elle me raccroche au nez.
Un peu fort de café ! Un retraité, qu’il crèche dans une villa, un F5, un studio, une cabane à lapins, Pierre et béton n’en a rien à faire.
Idem pour l’enquête sur le vêtement. Mauvais sujet, la mamie sexagénaire qui doit sûrement déambuler en robe-tablier et charentaises ! La mode, elle connaît pas, la mamie !
Au quatrième coup de fil du même type, j’ai pris les devants. Au mot enquête, j’ai coupé la parole à miss Truc Machin de la banque Tralala.
- Je suis retraitée, je ne vous intéresse pas !
- Heu, ce n’est pas ça, madame. Mais…. je suis chargée de contacter les vingt-cinq quarante ans et… et... c’est un collègue qui s’occupe des soixante ans et plus.
Mon œil ! Enfin elle a fait un effort de politesse, celle-là. Pour sa peine, je lui souhaite gentiment une bonne fin d’après-midi sans lui raccrocher au nez. Mais je fourbis mes armes pour la prochaine.
Pas plus tard qu’hier, 19h, dring… Encore un sondage pour… je n’ai même pas écouté la suite, impatiente d’entendre la question clé.
- Vous avez moins de soixante ans, madame ?
- Non, madame.
- Ah… votre mari peut-être ?
- Pas de chance. À trente ans, j’étais bien amoureuse d’un de mes élèves de 6ème mais je n’ai pas eu la patience d’attendre sa majorité. J’ai épousé un collègue. (Pure affabulation, je précise !)
Elle persiste.
- Vos enfants alors ?
- Allons, mon petit, à notre âge, vous nous imaginez avec des enfants au berceau ?
Elle en tient une bonne couche la sondeuse, elle s’enferre.
- Il n’y a vraiment personne de moins de quarante ans à votre domicile ?
Je retiens mon souffle quelques secondes et je lance.
- Ah mais si, que je suis bête… mon poisson rouge !
Et j’éclate de rire avant de reposer le combiné.
Tout compte fait, ils ont bien raison, ces enquêteurs qui refusent d’interroger les plus de soixante ans ! Certains d’entre eux sont vraiment odieux !