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8 décembre 2008 1 08 /12 /décembre /2008 18:20

Pour la quatre centième de Calipso, Yvonne Le Meur-Rollet nous propose ce soir une chanson poétique, pleine de tendresse et de nostalgie, qui a été mise en musique par Jean Deschamps.


 

Dans la rue des Drapiers

   

Ils se sont promenés

Comme le premier soir

Dans la rue mal pavée

Mais n’ont pas retrouvé

Le porche lisse et noir

De leurs baisers mouillés

Dans la Rue des Drapiers.

Elle a voulu quand même

S’accrocher à son bras

Elle a vu dans ses yeux

Monter une étincelle

Elle a cru que pour elle

Se ranimait le feu

Dans la Rue des Drapiers.

Mais près de la margelle

En haut de l’escalier

S’avançait une fille

Aux cheveux caramel

Anneau d’or au nombril

Fin tricot de dentelle

Dans la Rue des Drapiers.

Tous deux ont aperçu

Leur reflet dans la glace

Et ils ont entrevu

Le poids du temps qui passe

Qui essouffle les cœurs

Et fait traîner les pieds

Dans la Rue des Drapiers.

Ils se sont promenés

Comme le premier soir

Dans la rue mal pavée

Mais n’ont pas retrouvé

Le porche lisse et noir

De leurs baisers mouillés

Dans la Rue des Drapiers.

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6 décembre 2008 6 06 /12 /décembre /2008 09:13

Aujord’hui, c’est un capitaine qui n’en est pas à sa première traversée qui a jeté l’encre sur le papier, pour nous parler de la Calipso. Il l’aperçoit, de temps à autre, quand il repose son stylo, et il se joint à nous pour trinquer à la santé du navire et lever haut son verre sous les étoiles.


Calipso


Gamin, quand on évoquait devant moi la Calipso, je songeais avant tout à ce rafiot du tonnerre de Dieu et à son capitaine – un petit marin à bonnet rouge, dont la voix singulière traînait d’une mer à l’autre, chaque dimanche après-midi – qui recherchait sous toutes les latitudes l’épatante compagnie des requins-marteaux et des tortues marines… Un peu plus tard, à cette même évocation, je n’en avais que pour Ulysse. Une histoire d’île et de passion fatale… Moi qui ne suis pas foutu d’inventer une excuse valable quand j’arrive avec cinq minutes de retard à la maison, j’ai toujours eu de l’affection pour les heureux veinards qui ont la science du bobard…

Aujourd’hui, c’est autre chose. Quand on me dit Calipso, je me dis qu’il y a sans doute un peu des deux. Qu’on tient là une arche – à bord de laquelle ne sont grimpés que des gibiers à plume – qui poursuit sans faiblir une bien belle odyssée…

Je la vois passer, de temps à autre. Elle traverse à belle allure mes eaux territoriales, frôle – un brin enjôleuse – mon port d’attache. Toutes voiles dehors. Le vent qui la pousse en avant est de bonne composition et les matelots, pour ce que j’en sais, ont le cœur à l’ouvrage. C’est plutôt bon signe, par les temps qui courent. Quant à moi, j’en profite, à ma façon.

Et voilà qu’aujourd’hui, on m’annonce qu’elle affiche ses quatre cent coups. Il me semble bien que ça s’arrose…

 

C’est la première fois que je monte à bord mais je ne suis que de passage. On ne peut pas être de tous les voyages. Mais si d’aventure vous croisez dans mes parages, vous devriez sans trop de mal m’apercevoir. Je serai dans un troquet du port, à trinquer à votre belle santé. Et si vous tendez l’oreille, vous devriez même m’entendre vous souhaiter bonne chance…

 

Alain Emery  

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4 décembre 2008 4 04 /12 /décembre /2008 19:10


Marielle Taillandier aime les cafés et la chaleur humaine que l’on peut y trouver. Elle aime le bois verni des tables et les chaises de bistro, les petits gâteaux de boulanger que l’on s’échange dès que le garçon a le dos tourné, les confidences au-dessus d’une tasse de chocolat (elle ne boit aucun alcool, même pas en rêve), les rires retenus, les projets de se revoir dès que possible. Elle aime les autres au point de les rassembler, dans un lieu choisi par elle, lorsque l’automne se met au gris. Elle aime tout cela, sans distinction. Elle sait bien qu’en Novembre, à Paris, les cafés sont des soleils où venir se chauffer.

Marielle Taillandier fait partie de ces auteurs généreux qui n’ont pas recours aux effets de manche pour nous parler des choses de la vie. En quelques phrases authentiques, ils nous émeuvent, et nous bouleversent.

De nos jours, ces auteurs-là ne sont pas si nombreux.

C’est avec elle que nous entrons ce soir au café.

 

 

Verveine Menthe

 

Elle m’a suivie quelques minutes plus tard et s’est assise en face de moi, portant un cabas à provisions rempli et bien trop lourd pour elle. Petite, frêle, la tête enroulée d’un foulard représentant les monuments de Paris, elle a pris son temps pour s’installer en poussant des petits " pfff ! " de soulagement en posant enfin son sac. Son imper élimé plié soigneusement sur la chaise, elle a dénoué son foulard qu’elle a enfoui dans son sac à main. Puis elle m’a souri, toute heureuse d’avoir capté mon attention, et son visage ridé s’est illuminé comme une vitrine de Noël. Je venais de commander un thé à la russe bien chaud avec des cookies lorsqu’elle appela le garçon pour demander une verveine menthe. Visiblement, nous avions besoin toutes deux de nous réchauffer.

Nous nous sommes regardées, elle tout sourire, moi un peu timide. Je ne sais que trop ce que signifient ces sourires d’approche de la part des vieilles dames : ce sont des appels au secours, des harpons plantés dans les cœurs. Son sourire à elle traquait le mien qu’elle semblait supplier de rester accroché et de ne pas l’abandonner. Les vieilles dames tentent leur chance auprès d’inconnues comme moi qu’elles savent disponibles et peut-être aussi seules qu’elles. Je parie même qu’elle m’avait repérée avant d’entrer, proie facile que j’étais avec mon regard vide et, entre deux doigts, un cookie grignoté du bout des dents.

Une main posée sur la tasse brûlante de sa verveine, remuant de l’autre le sucre qui s’y noyait, elle eut vite fait d’engager une conversation qui ne laissait aucun doute sur sa situation. Les Parisiennes sont souvent des montagnes de souffrances accumulées entre leurs quatre murs, qu’elles viennent déverser en flots douloureux aux inconnues des cafés. On les affuble souvent d’un caniche hargneux et d’un maquillage outrancier mais leur vérité est bien plus cruelle. Les verveines menthe ne sont que des prétextes pour parler, d’ailleurs elle n’a presque pas touché à la sienne, affirmant qu’elle était amère et que ça lui remuait l’estomac. La moitié de sa pension devait passer dans les infusions dont il devait peu lui importer en vérité qu’elles fussent amères puisqu’elle ne les buvait pas. Non, elle m’a regardée longuement avec son sourire d’un rose criard et nous avons parlé, doucement, tâtant le terrain sensible des épanchements puis, oubliant Paris autour de nous et l’ambiance du café aidant, nous nous sommes progressivement confiées, saoulées de souvenirs et de petits secrets qui nous arrachaient des rires pudiques ou des oh ! d’incrédulité. Elle s’appelait Marthe et avait été artiste de music hall de strass et de lumières qui avaient laissé des éclats dans son regard noisette. Amoureuse d’un homme beau comme un dieu, qui était aussi son partenaire, tous les deux avaient usé les scènes des cabarets de France et vécu de leur passion. J’imaginais les photos de cette époque tapissant les murs de son appartement, soigneusement conservées dans des cadres dorés entre les souvenirs de tournées et les programmes des premières dédicacés. Son compagnon avait disparu et les photos devaient avoir jauni tandis qu’elle devait se repasser en boucle le film de leur gloire où les projecteurs les éblouissaient face à un public enthousiaste.

Les heures ont passé, entraînant avec elles le déclin de la faible lumière de novembre. Nous n’avons pas vu la pluie tomber abondamment sur la ville, pas senti la fraîcheur qui s’installait, ni vu la nuit qui recouvrait les trottoirs et allumait les réverbères. Paris se préparait pour une longue soirée d’automne humide et froide et enfilait son pyjama.

Marthe n’a pas bougé de son siège de tout l’après-midi et n’est pas allée aux toilettes ; parfois elle contrôlait son visage dans son miroir de poche, le lissait des deux mains pour retrouver une jeunesse fanée et tenter de me montrer à quoi elle devait ressembler, avant. Une coquetterie datant de l’époque où il fallait entrer en scène avec un maquillage irréprochable. Et la peur au ventre. Le numéro de lancer de couteaux ou celui de la femme tronc, dont elle connaissait les trucs qui font rêver les gens et trembler leurs acteurs.

Vers 19 heures, alors que je regardai ma montre pour tenter d’amorcer un départ, deux types sont entrés dans le café. Ils ont lancé un coup d’œil circulaire dans la salle et, en apercevant mon interlocutrice, se sont approchés tranquillement de nous comme pour ne pas l’effrayer :

" Alors, Madame Laroche, vous nous avez encore fait des niches, aujourd’hui ? On vous cherche depuis des heures…c’est pas bien, vous savez… "

Marthe lui répondit d’un regard brillant de larmes. L’un des infirmiers l’avait prise par le bras pour l’entraîner doucement vers la sortie. Elle n’a manifesté aucune résistance et les a suivis, résignée. Alors que je regardai la scène sans comprendre, elle s’est retournée vers moi en me lançant :

" A demain, ici, à la même heure, revenez demain, je m’échapperai encore et je vous raconterai la suite ! Je vous en prie ! "…

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2 décembre 2008 2 02 /12 /décembre /2008 18:14

Calipso fête aujourd’hui son quatre centième numéro. Ysiad, collaboratrice de la première heure et subtile chroniqueuse a sollicité sa fille et sonné le rappel auprès de quelques compères pour orchestrer l’événement. Le menu des jours à venir s’annonce succulent, alors n’hésitez pas à revenir et à inviter vos amis. Un grand merci aux auteurs et aux lecteurs ; sans leur bienveillante attention et leurs généreux commentaires, le café n’aurait plus de raison d’être.

 

Nous transformons ce soir le café de Calipso en café-concert, pour accueillir le chansonnier Jean-Claude Touray.

Installez-vous, prenez place, nous larguons les amarres sur les traces d’une baleine assez leste, au large des côtes bretonnes. Ça va sacrément swinguer. My God ! Nous allions oublier Miss Smith. Montez vite, Miss Smith, on vous a gardé une place sur la Calipso. C’est la première fois que vous partez chasser la baleine ? How exciting ! Ah, tenez bien votre cornette, le vent décoiffe pas mal dans la région. Le chapelet, non, vous n’en avez pas nécessairement besoin. Mais oui, on vous traduira, promis. Jean-Claude est bilingue.

Musique, maestro !

 

La chanson du baleinier

 

Refrain

Pique pique la baleine, matelot c’est ta chanson.

Pique, nique avec Germaine, pique-nique avec Suzon,

Rien à faire avec Julienne, et bernique avec Lison.

 

Couplets

La bergère Madelon, pastourelle en bas de laine,

Voulait chasser la baleine, en mer avec les garçons.

Déguisée en moussaillon, toute habillée de futaine,

Ell’ fut engagée sans peine sur un baleinier breton.

 

Un matin le capitaine la vit debout sur le pont

Nue, couverte de savon, d’une beauté souveraine.

Ventre-Dieu par ma bedaine, quel faux-cul ce moussaillon.

Voilà du filet mignon et de beaux tétons Tontaine.

 

Derrièr’ le mât d’artimon, derrièr’ le mât de misaine,

Ell’ perdit sa marjolaine, sa jolie fleur en boutons.

Pas avec le capitaine ou le lieut’nant son second

mais avec le marmiton, un beau faiseur de fredaines.

 

J’ai fait mon éducation, Sainte Mado ma marraine,

J’ veux un’ autre marjolaine, pas encore en floraison.

La sainte fut bien en peine et répondit " Madelon,

Les fill’ perdent leur fleuron, sitôt vu le croqu’ mitaine ".


Moralité

Alors si c’est ça Tontaine, dans la CAL’ IPSO facto

Tous les gars, les matelots, pourront boire à ma fontaine.

Et même le capitaine et le lieut’nant, ce fayot

Pourront voir mes beaux lolos, Sainte Marie Madeleine.

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30 novembre 2008 7 30 /11 /novembre /2008 19:55

 

L’étape maritime de ce soir est en Guyane. Avant de débarquer en costume, Suzanne Alvarez vous recommande de ne revêtir le Touloulou qu'après avoir lu cette histoire…

 

                                                      Touloulou a soif

 

Quand la moussaillonne de Pythagore, qui bidonnait à la fontaine du carbet*, surprit cette conversation, elle se hâta de remplir ses Jerrican, les déposa dans l’annexe, mit le moteur en route, fila sans demander son reste et coupa les gaz devant " Mouette Rieuse ", leur plus proche voisin et sur lequel Anna, sa mère, était en grande conversation avec Lili, la propriétaire du voilier.

" Chez Kalinana  " à Matoury*, la fête battait son plein ce samedi soir, au rythme de l’orchestre des  Mécènes, et l’ambiance s’annonçait chaude. Le Touloulou*, cette vieille coutume qui date de l’esclavage, tirait à sa fin. Bientôt, on brûlerait Vaval sur la Place des Palmistes à Cayenne.

Le touloulou au masque carmin qui s’était avancé prestement sur la piste où s’étaient agglutinés tous les hommes, invita Marius à ouvrir le bal. Un sourire niais s’étendit sur le faciès de l’heureux élu.

Dès qu’il voyait arriver une femme, Marius devenait à cet instant, rose, frais, bêta et son cœur s’emballa aussitôt pour cette reine de carnaval qui l’avait choisi d’emblée. Mais il devait assurer car son honneur de danseur et sa virilité étaient en jeu.

Déguisée de la tête aux pieds, le touloulou en question, portait ce soir-là, en plus de sa longue robe, des lentilles de contact colorées, une cagoule, un masque, des faux-seins semblables à des obus, une perruque, des gants, des bas, et un faux-cul. Impossible donc de savoir qui était cette grande poupée aux couleurs chatoyantes sous le costume hermétiquement clos, ni si elle était noire, blanche ou jaune, d’autant plus que les touloulous présents dans la salle se comptaient au nombre de cinquante deux..

Pourtant, dès le premier regard, le danseur lui balaya les reins, la caressa, la dévêtit…

Il les lui fallait toutes ! Il avait pourtant une petite femme adorable…et à qui il avait interdit de participer à la fête, comme certains " machos " du mouillage avaient interdit à leurs compagnes de voyage de se rendre Chez Kalinana …car Touloulou avait une réputation sulfureuse. Et il estimait que seuls, les mâles de son espèce, avaient leur place dans cette boîte de nuit.

Elle avait une grâce provocante. Comme elle tremblait légèrement des épaules au rythme de la danse, il sembla même à Marius qu’elle était parcourue par un frisson amoureux, et à cet instant, il sentit qu’il la possédait, par un mystérieux pouvoir, à travers les épaisseurs de tissu de son costume, superposées comme des couches géologiques. Tour à tour, mazurka et biguine* s’enchaînèrent et cette fascinante belle de nuit d’une rare beauté, se fit enjôleuse, câline, espiègle, coquine, ensorceleuse et emporta son danseur dans le vertige de la nuit du carnaval qui se solda par un torride piké*, le laissant pantelant :

- Touloulou soif ! dit-elle d’une voix qu’elle s’efforça à rendre rauque le plus possible. Ce fut ses seuls mots de la soirée.

- Touloulou soif ? fit-il haletant, en plissant les yeux comme s’il plongeait dans sa mémoire. C’était son truc pour séduire les femmes. Il arbora un air émoustillé en l’entraînant au bar et lui offrit un verre qu’elle but à l’aide d’une paille à travers le masque de soie écarlate.

Savoir que son mari était tombé en pâmoison devant un makoumé*, en l’occurrence ce jour-là, Marc, le mari de sa voisine de mouillage, en s’imaginant avoir affaire à une créature de rêve, Lili accueillit cette nouvelle avec sa placidité habituelle et elle voulut savourer à nouveau les paroles entendues et rapportées par la jeune fille.

- Et il a dit quoi exactement à ton père, ma Carole ?

- Il a dit : je la sentais toute chaude à travers son costume. Je ne sais pas… mais cette voix… cette voix… même déformée… c’est drôle, ça me rappelle quelqu’un… mais je ne sais pas… ça finira bien par me revenir. En tout cas… on ne doit pas s’ennuyer avec ce genre de nana ! fit la conteuse, une main posée sur le cœur.

- En tout cas, nous, on l’a bien eu ! s’esclaffèrent les trois comploteuses.

Quand Marius le Capitaine de " Mouette Rieuse " rentra chez lui ce soir-là, Lili le regarda avec juste un peu d’ironie.

 

 

*Touloulou : costume traditionnel du carnaval guyanais

*Carbet : grande case pouvant accueillir plusieurs familles et faite de pieux et de feuillages.

*Matoury : ville guyanaise située non loin de Cayenne (capitale de la Guyane).

*Mazurka, biguine et piké : danses créoles.

*Makoumé : homme travesti en femme. .

Avec le Carnaval qui est l’événement majeur sur le calendrier, après la fusée Ariane, la Guyane française vit au ralenti pendant presque trois mois. Il représente la plus colorée et la plus attendue des fêtes qui appartient presque exclusivement à la culture créole guyanaise, et bien que les communautés métropolitaines, brésiliennes et chinoises y prennent part également. Il est à noter par ailleurs, que seuls les touloulous sont déguisés, et non les danseurs invités.

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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 18:16

A propos de poésie et d’engagement, Corinne Jeanson nous propose ce soir ces quelques mots… de douleur et de rage…

 

 

J'étais jeune, j'avais envie de vivre
Qu'as-tu fait de moi, Pablo ?

 

Chaque jour, tes mules m'apportent
leur lot de consolation
Les dames blanches aspirent
L'un après l'autre
Mes souffles de vie.
Dans la discothèque allumée
Je veine de dynamite
Mes dernières gouttes de sang.

 

Tu m'as tout pris
Et j'en redemande.
Mes voyages ne sont pas
Inscrits dans les guides
Je les sniffe avec délice.

Qu'as-tu fait Pablo
Des enfants de Medellin ?
Des Sicarios aux abonnés absents
Des Zombies défoncés
Qui errent dans les forêts
Amazones abattues.
La colombe enfarquée
Tient dans son bec
Le rameau sacré.

 

J'étais jeune, j'avais envie de vivre
Qu'as-tu fait de moi, Pablo ?

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25 novembre 2008 2 25 /11 /novembre /2008 19:46

Jacques Lamy a bien apprécié la Une du journal télévisé rapportée par Dominique Guérin et du coup il a eu envie de reprendre, lui aussi à sa façon, une de ces Unes récurrentes à l’entrée de l’hiver…

 

 

 

Quand nos pannes de cœur le privent de raison,

le sans-logis s’égare en cette nuit glaciale :

du froid de nos regards son Être est envahi…

Il patauge en l’errance et la désespérance,

sous les astres noirs et figés.

 

Et s’il a souvenance d’une vie antérieure,

de la tiédeur des mains et du pain quotidien,

c’est la douceur des soirs d’un bel été de liesse

où sonnait alentour son plus beau chant d’amour

qui surgit de mémoire en quête.

 

Il pleure ses "hiers" en rêvant des "demains",

lorsqu’il avait un nom. Dès lors, les gens l’évitent :

il n’est plus qu’oripeaux qu’on enjambe parfois

sur la marche de glace. Et son regard se lasse,

scrutant la longue nuit du temps…

 

Il gêne, et il le sait, par sa seule présence,

Il est un muet reproche aux consciences d’airain

des faux nantis prudents, des nantis égoïstes

de notre Société de contre vérités

qu’il rejette et culpabilise.

 

Parfois il se console, oubliant d’exister,

en noyant son esprit, océan de chimères,

sous l’acre goût râpeux de fruits couleur de sang :

la chute de l'obole alors en parabole

                                    tinte au fer sans l'écho du coeur.

 

 D’abord il espérait au grand Soleil renaître,

mais comme il n’avait plus ni parents, ni amis,

il se réfugiait vite aux confins de son âme,

rêvant aux mois de mai, s’endormant à jamais

par une nuit d’hiver, en ville…

Jacques LAMY

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22 novembre 2008 6 22 /11 /novembre /2008 18:13

Dominique Guérin aime bien passer un peu de temps au café. Elle apprécie le décor, feuillette le menu, goûte quelques spécialités, commente fables, légendes et odyssées, puis raconte à son tour…

 

  

La voix est sentencieuse :

- il y avait beaucoup de monde dans le TGV Atlantique vers 6 heures, ce soir.

Comme si c’était l’annonce du siècle !

Dire que je paie ma redevance pour entendre le même blabla à chaque fois que les vacances scolaires reviennent sur le tapis. Ce leitmotiv du journal télévisé me rattrape toujours au moment le plus vulnérable de mes journées solitaires, quand le crépuscule engloutit le HLM où je niche dans un studio vétuste.

Le présentateur, l’œil rivé sur son prompteur, se fend d’un sourire apitoyé. Je me demande pourquoi. Les images illustrant son propos ne m’inspirent aucune compassion. Au contraire. Elles me donnent toujours l’impression de l’avoir raté, ce train. Car je les envie ces quidams en partance, rivés à leurs valises et piaffant sur un quai bondé. Leur TGV a du retard ? La belle affaire : demain, ils seront ailleurs. Je leur souhaite tout le soleil du monde.

J’avale ma semoule en les regardant se bousculer vaille que vaille. La SNCF a encore mal calculé son coup. Pas assez de wagons malgré le surplus réquisitionné pour la bonne cause : celle des congés migratoires.

Pauvres estivants ! Leur nuit sera longue, la mienne sera courte. Ils sommeilleront jusqu’à destination, paupières bouffies et cœur en fête. Je me lèverai aux aurores, yeux gonflés et moral en berne. Non vraiment, je n’arrive pas à les plaindre. Même se posant en victimes du dérapage horaire des transports en commun : c’est le prix à payer et ce prix-là, je serais prête à en doubler la mise pour endurer leur calvaire récréatif. Seulement voilà, les petits boulots d’intérim limitent mon horizon festif aux tours de banlieue qui surplombent les méandres orléanais de la Loire. Il y a sable et sable : nos plages ne se ressemblent pas.

Soudain, je me retrouve en Irak. Là-bas aussi il fait soleil... J’éteins la télé.

Mon bol échoue sur la paillasse de l’évier. J’ai la flemme de le rincer et je m’allonge tout habillée sur mon lit défait. On est déjà presque demain. Mais demain ne sera pas un autre jour !

5 h. Le radio-réveil y va de sa litanie quotidienne. Irak, attentat, grèves, météo. Je me dirige au radar vers la cafetière. Diam’s s’éclate sur les ondes. Je frissonne. Ont-ils débarqué à bon port, les voyageurs surnuméraires d’hier soir ? Voiturés du départ à l’arrivée, sans autre souci que leur billet à composter et leurs bagages à caser… En fin de nuit, ils ont dû investir villas, gîtes et hôtels. Qu’ils y reposent en paix avant d’émerger devant un copieux déjeuner et de pester à loisir sur leurs déboires ferroviaires de la veille. L’heure n’est pas à l’indulgence : je les déteste, eux et leurs mesquines doléances de gagne-moyens. Après tout, moi aussi, j’existe. Moi aussi, j’en ai ma claque des transports.

J’avale mon kawa serré puis me déshabille à contretemps, me douche, me rhabille avec les mêmes vêtements froissés, faute de motivation devant ma modeste garde-robe. Rien que de penser à l’enfilade des locaux vides voués à ma serpillière, j’ai la nausée : et aujourd’hui plus encore que d’habitude au souvenir du faux scoop aoûtien filmé Gare Montparnasse. Dehors, la pluie m’accueille. Je précipite le pas.

Il y a beaucoup de monde dans le bus n°9 à 6 heures, ce matin.

Mais je doute que ça fasse la Une du journal télévisé !

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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 23:02

Au comptoir comme en salle, ce soir on débat ! Gilbert Marquès a préparé le menu. Reste au lecteur à l’apprécier, l’accommoder ou le contredire à s’en émouvoir ou s’en contrefoutre… après tout, il y est seulement question de littérature, de poésie et d’engagement…

 

 

En ce mois de novembre automnal, un peu tristounet, nous avons fêté tous les saints, les morts et l'Armistice de 14-18 sans oublier évidemment, l'élection de Barak OBAMA à la tête des Etats-Unis. Autant de sujets sur lesquels je pourrai m'attarder parce qu'ils m'inspirent quelques réflexions mais je préfère pour cette fois, délaisser la partie sociologique pour revenir à la culture par la poésie en m'inspirant d'un manifeste, véritable coup de gueule poussé par Stéphen BLANCHARD, poète émérite mais trop rare. Permettez-moi de reproduire ici in extenso sa diatribe intitulée "Le monde va mal"

" A l’image de la crise actuelle, le monde de la poésie va mal et ce n’est pas si étonnant que cela dans la mesure où les poètes sont si étrangement absents de l’actualité. Sont-ils là pour étaler leurs "vers" à repasser ou sont-ils là pour "échanger" la face du monde ? Enlisés dans leurs rêves, ils s’évertuent à malaxer sempiternellement le soit disant bon grain de l’ivraie, issu sans issue de leur "moulin à maux dire" que l’on appelle avec condescendance : la conscience. Ces poètes là sont-ils vraiment capables de transmettre le "témoin" ou sont-ils présents sur le haut du pavé pour s’auto-complimenter sur le devenir de leur nombrilisme ? Sans acte, la poésie n’a plus aucun sens pour vivre et espérer un monde meilleur. La priorité est dans l’urgence et non dans l’indifférence car le poète peut-il s’extasier uniquement devant un coucher de soleil alors qu’autour de lui des enfants crèvent de faim et des femmes se font violer et voiler au nom d’une religion qui laisse faire ! La rose n’a pas besoin du poète pour rendre heureux le jardinier. Alors, me direz vous, on peut écrire aussi par ennui, par plaisir, pour se mettre en valeur ou pour satisfaire l’ambition d’imiter les copains. Mais où sont donc passées vos convictions et vos certitudes ? Seriez vous devenus au fil du temps les "Thénardier" de la rime… riche ? Mais, il y a mille façons de se rendre utile au sein d’un collectif en veillant à ne pas prêcher dans le vide. Ecrire pour être connu reste légitime mais cela relève de la cour des miracles surtout lorsque le poète nie toutes les atrocités d’une société agonisante. L’ami Victor HUGO combattait contre la peine de mort et l’esclavage et nous ? Où sont nos valeurs citoyennes à l’aube du 21éme siècle ? … ou encore notre combat sur la barricade des mots afin de porter courageusement l’étendard de notre si belle devise : "liberté, égalité, fraternité" Malheureusement, le poète est victime de son hyper individualisme, toujours en quête de flatteries, de hochets de vanité et de reconnaissance. Un poète qui ne s’engage pas est condamné d’avance, un poète qui reste neutre favorisera son oubli. Certains poètes ont tout sacrifié pour leur art, même leur vie ; aujourd’hui, leur poésie végète sur de poussiéreuses étagères en contrepartie d’un semblant de gloire… c’est toujours un semblant de quelque chose mais cela ne suffit pas, c’est le Verbe qui compte, pas Vous. Si le "slam" a tant de succès (pour le moment), c’est qu’il est plus perceptible par le public, plus en phase avec le langage moderne car il apporte des images -chocs -, sans complaisance, nées de la souffrance des hommes. Croyez-moi, la poésie n’est plus réservée a une élite mais si vous pouviez témoigner, les uns et les autres, d’une nouvelle quintessence poétique à la hauteur de vos rêves, nous pourrions aller beaucoup plus loin tous ensembles même si tout le monde n’a pas la rage de Rimbaud ou l’amour passionné d’un Chateaubriand.

Continuez de rêver certes… mais nous n’aurons pas toute l’éternité pour offrir un sens à notre Ecriture et toutes nos litanies n’y changeront rien. Notre art est en péril si nous n’arrivons pas à sortir des sentiers "battus". A chacun de se remettre en question avec un cap sur le futur et avec l’intime conviction de poétiser au-delà de son miroir. Nous avons des cris à faire entendre et peut-être prouver que la poésie peut servir l’intérêt collectif par le biais d’œuvres humanitaires et sociales. Il est temps que le poète se laisse gagner par le souffle de la révolte, avec une mission paradoxale qui consiste à préserver un idéal esthétique tout en s'ouvrant à la création de nouvelles valeurs pour demain. La tâche est doublement difficile, transmettre le témoin et continuer d’avancer, c’est un défi à relever… pour celui qui se veut LIBRE !"

 

Qu'ajouter à cela ? Je dresse ce même constat et c'est pourquoi il m'est apparu important de vous le faire partager. Au-delà, j'ajouterai que comme dans la chanson, les poètes engagés existent sûrement même si nous n'avons plus de porte-parole de l'envergure d'un Léo FERRÉ.

Alors, où sont-ils et que font-ils ? Ils écrivent, c'est leur sacerdoce en même temps que leur torture, mais ils ne sont pas publiés par les revuistes souvent trop frileux pour se départir d'une attitude politiquement correcte. Peut-être et sans doute même craignent-ils de perdre leurs subventions et leur lectorat neutre se cantonnant à l'art pour l'art. Néanmoins, pour se donner parfois bonne conscience, consentent-ils à éditer un poème polémique mais allons, pas plus d'un par numéro sinon ce serait prendre des risques inutiles sinon inconsidérés ! Parmi mes correspondants réguliers, le poète Gérard LEMAIRE en sait quelque chose…

 

Phénomène nouveau, cette frilosité atteint maintenant aussi Internet qui restait jusqu'alors un espace de libertés et de paroles ouvertes. Certains modérateurs de sites n'hésitent pas en effet avant de publier un auteur, à lui demander de signer une "charte de bonne conduite" (sic).

 

Où va la poésie ainsi ? Jadis, "je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" pour citer Charles AZNAVOUR, il existait en France des revues qualifiées d'engagées aux tendances libertaires et pouvant aller pour les extrêmes, jusqu'à un anarchisme non violent. Je pense notamment à la revue pacifiste de Louis LIPPENS, "Élan" ou encore à "Poétic 7" de Georges PIOU. Ces publications ont disparu avec leurs initiateurs décédés à plus de quatre vingt ans après avoir parfois, connu la prison à cause de leurs idées. À ma connaissance, il ne reste plus guère que la revue belge "La cigogne" de Bernard GODEFROID mais jusqu'à quand puisque lui non plus n'est plus très jeune ?

 

Alors, questions :

Où se situe la relève ? Les poètes ont-ils peur de s'engager ou bien ceux qui l'osent sont-ils marginalisés, subissant ainsi une sorte de censure leur interdisant de versifier sur le sexe, la morale, les religions, la politique et tous les faits sociétaires marquants de leur époque ? Doivent-ils seulement rester des observateurs ne prenant jamais partie et se bâillonnant pour ne pas faire de commentaires ? Doivent-ils se cantonner à décrire le décor sans jamais en critiquer les acteurs et seulement louer leurs bons sentiments ? Sont-ils réduits au rôle passif de témoins neutres de bon aloi qui ne blessent ni ne heurtent personne ? Sont-ils à ce point sourds, muets et aveugles comme les singes du proverbe ?

Je n'y crois pas ! Le temps des poètes maudits est révolu même si beaucoup d'entre eux se plaignent encore du sort qui leur est réservé. J'espère un sursaut de leur part, sursaut d'orgueil et de conscience de leur rôle au sein d'une société malade. Il leur appartient de descendre dans l'arène et de prendre le taureau de la révolte par les cornes comme nous y incite Stéphen.

Puisse-t-il ce propos les réveiller… mais aussi nous réveiller tous !

                                                                                             Aussonne, le 16 novembre 2008

Annonce :

Un lecteur qui apprécie particulièrement les " Histoires d’eau " demandait récemment si l'administrateur de ce forum donnait des cartes de fidélité auquel cas il lui serait agréable d'en bénéficier.

Une chose est sûre : on peut passer prendre un verre au café et discuter sans qu’il soit nécessaire d’être encarté. Par contre, le simple fait d’évoquer le site Calipso permet de se faire offrir les frais de port par Gilbert Marquès pour la commande directement auprès de lui de son dernier livre " La Trilogie du pouvoir " (parution novembre 2008) soit 16€ au lieu de 18,50€.

Gilbert Marquès Cidex 3651Chemin du Brana d’en Haut 31840 Aussonne

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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 17:07

Vous êtes de nouveau à bord du Pythagore en compagnie de Suzanne Alvarez, mais prenez garde car c’est par-dessus bord qu’elle va vous entraîner ce soir…

Sous le signe du poisson

 

 

Après deux longues escales à Madère et aux Canaries, nous voguons en direction des Iles du Cap-Vert. Une armada de dauphins nous accompagne tout au long du voyage.

Dans la nuit, le vent a forci. Pendant mon quart*, j’ai embarqué une déferlante* qui a réveillé Marc. Nous laissons la moussaillonne dormir et nous écopons* à peu près deux cents litres d’eau dans le cockpit. Et c’est sous tourmentin* que nous aborderons les îles, vers dix heures, ce jeudi matin. Le moral de l’équipage est descendu au fur et à mesure de l’ascension du vent sur l’échelle de Beaufort*. Nous affalons et jetons l’ancre qui n’arrive pas à accrocher, malgré de multiples tentatives.

- Bon Dieu ! On dérape ! Si ça continue, on va se retrouver sur la plage ! Et avec nos 1m80 de tirant d’eau*… Allez ! On remonte tout, faut sortir de là… y’a danger ! crie Marc, aux commandes.

J’ai un mal fou à actionner le guindeau manuel*. Carole vient à ma rescousse et nous galèrons pendant un sacré moment. L’ancre charrue apparaît enfin, mais une des deux dents qui la composent est complètement tordue. Ça paraît incroyable.

- Il y a une petite crique là-bas en face. On va aller s’abriter ! décide le capitaine.

Nos corps agacés par tous les efforts, le manque de sommeil et le stress, réclament du repos. Cet abri complètement désert, qui jouit d’un micro climat, est un vrai petit coin de paradis. Après quelques grignotages, chacun se détend. Les mains en coussinet sous la nuque, nous sommes allongées côte à côte, ma fille et moi, au pied du mât, quand :

- PLOUFFF !

- C’est toi, Papa, qui te baigne ?

- Non, c’est Kiki Caron* ! répond l’intéressé en pratiquant une vigoureuse nage crawlée.

Nous n’en revenons pas. Il faut dire que Marc est né sous le signe du poisson, est un fou de navigation, mais il a cette particularité étrange de ne pas aimer l’eau… Remarquez, il y a bien des grands navigateurs qui ne savent pas nager…alors… Depuis notre départ, il a dû se baigner deux fois, alors que nous, les filles, passons la moitié de nos journées dans l’eau, dès que nous sommes au mouillage.

Nous nous apprêtons à le rejoindre quand des appels nous parviennent de la plage, mais avec le vent, nous ne comprenons rien à ce qu’il se dit. De toute manière, notre portugais capverdien étant assez limité, ça ne changerait pas grand-chose. A présent, des bras s’agitent dans notre direction.

- Tu vois, comme ils sont accueillants ! Ils nous souhaitent la bienvenue. C’est pas souvent qu’ils doivent voir arriver un voilier dans le coin, les pauvres… C’est dommage, parce que c’est drôlement chouette ici !

- Oui, Maman, " Ils " le disent dans la documentation… qu’ils font partie des gens les plus chaleureux du Monde.

Nous leur rendons leur salut et plongeons à notre tour. Des cris se font encore entendre pendant un bon moment, mais nous n’y prenons plus garde car l’eau est un vrai délice.

- Ça va Papa ? Elle est bonne, hein ?…. Allez ! Dis-le qu’elle est bonne !

Je n’ai pas besoin d’entendre sa réponse, je vois, au contentement qui se lit sur son visage qu’il nage en plein bonheur. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu comme ça.

Je suis la première à remonter sur Pythagore, inquiète de savoir l’heure, car ça fait pas mal de temps que nous nous baignons. Nous devons lever l’ancre. D’ici peu, il fera nuit et il nous faut gagner l’île de Sal, étape obligatoire des voiliers pour faire notre entrée dans l’archipel du Cap-Vert, composé de sept îles. Carole me rejoint quelques minutes après.

- Tu viens Papa ? Maman dit qu’il se fait tard !

- Minute… Y’a pas l’feu !

On le voit remonter à contre-cœur. C’est vrai, ça, pour un coup qu’il était vraiment bien.

A peine une heure après notre départ de ce lieu magique, le vent frôle les trente nœuds*. Nous sommes étroitement serrés les uns contre les autres autour de la barre. J’ai une peur bleue que l’un de nous ne passe par-dessus bord.

Nous arrivons sous les coups de vingt deux heures sur l’île de Sal. Plusieurs feux clignotent dans la nuit et nous peinons à repérer lequel est celui du phare…

Après avoir jeté l’ancre et avalé un plat de spaghetti, nous nous couchons, abrutis de fatigue. Il n’est pas loin de minuit et nous sommes seuls. Pas un voilier en vue.

Carole s’est réveillée la première et a pensé à hisser les couleurs. C’est le premier drapeau que j’ai confectionné et j’en suis très fière. En son milieu, il y a deux pinces de crabe.

Nous avons à peine achevé notre petit-déjeuner, face à un décor lunaire, que nous avons la visite de cinq militaires plutôt rébarbatifs armés jusqu’aux dents et qui parlent le français aussi bien que vous et moi. Leur chef nous ordonne en hurlant (mais nous commençons à en prendre l’habitude) de retirer en vitesse notre pavillon de courtoisie. On nous donne la matinée pour le remplacer : le régime politique du pays a changé depuis six mois. Nous n’étions pas au courant. Puis il a ajouté sur un ton sentencieux :

- Dites-donc ! c’était pas vous… le voilier qui était dans la crique à quelques milles d’ici……hier.

Marc a opiné de la tête.

- C’était mes hommes sur la plage...qui vous faisaient des signes … L’endroit où vous vous êtes baignés est infesté de requins… C’est pas pour rien qu’on l’a surnommé La Baie Aux Requins… un catamaran et tout l’équipage, le père, la mère et leur gamine se sont fait attaqués dernièrement… Vous, alors, on peut dire…

Il n’a pas terminé sa phrase, a confisqué passeports et cartes d’identité que nous mettrons une semaine à récupérer, et il est reparti avec ses sbires comme il était venu.

 

* quart : chacune des périodes de quatre heures consécutives pendant lesquelles les hommes sont tour à tour de service ou de repos sur un navire.

* écoper : vider l’eau du fond d’un bateau avec une écope (petite pelle).

* déferlante  : vagues qui se brisent avec violence.

* tourmentin  : petite voile pour le mauvais temps.

* guindeau : treuil servant à virer ou à héler les ancres.

* échelle de Beaufort : graduation de 0 à 12 utilisée pour mesurer la force du vent.

* tirant d’eau : hauteur de la partie immergée du bateau qui varie en fonction de la charge transportée.

* nœud : unité de vitesse utilisée en navigation maritime.

* kiki Caron  : Christine Caron, née en 1948, fut 29 fois championne de France de natation.

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