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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 00:00

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Si, à l’approche des vacances d’été, vous vous préparez à migrer dans nos belles campagnes, cette nouvelle de Jean-Pierre Michel ne manquera pas de vous interpeller et contribuera de la plus belle façon à la préparation de votre immersion dans le terroir.

 

La suite serait délectable

Malheureusement, je ne peux

Pas la dire, et c’est regrettable

Ça nous aurait fait rire un peu ".

Brassens – " Le gorille "

 

Un parfum d’aventure

 

A la fin des vacances, nous emportons notre lot d’anecdotes, faites de rencontres imprévues, de situations cocasses que nous partageons à notre retour avec la famille, les amis et collègues de travail.

C’est l’une d’elles qui m’est revenue en mémoire, presque trente ans après et qui me fait encore sourire, car elle me semble assez exceptionnelle.

Ne voulant pas heurter les âmes sensibles, il m’a semblé préférable de ne la raconter que partiellement, afin de laisser à chacun le soin d’imaginer la suite devant une situation inattendue.

C’était dans les années soixante dix. Après avoir répondu à une petite annonce concernant une location à la ferme, nous sommes partis, mes enfants et moi à St N…

La propriétaire des lieux, qui était en train de retourner du fumier dans la cour à notre arrivée, se dirigea vers nous pour nous accueillir. Elle était accompagnée d’un gros chien à longs poils, ce dernier nous fit la fête en posant ses grosses pattes sur nous. En quelques instants, nos vêtements commencèrent à se marbrer de taches malodorantes, dont il était aisé de deviner l’origine, après l’avoir vu se rouler à l’endroit où travaillait sa maîtresse…

Après avoir été conduits dans les chambres que nous avions réservées, le bleu du ciel se montrant engageant, nous partîmes à pied pour la plage qui était à quelques kilomètres afin de prendre un bol d’air marin.

A notre retour, je laissai mes deux fils dans leur chambre et m’allongeai en travers du lit dans la mienne, après avoir posé à terre le journal de la région pour y lire les dernières nouvelles, cette pose décontractée étant dans mes habitudes.

Etait-ce la fatigue ou une hallucination? Mais il me sembla voir les lettres sauter allègrement sur le journal. N’en croyant pas mes yeux, j’ôtai mes lunettes pour m’assurer que les verres ne me jouaient pas un mauvais tour, puis je posai mes doigts sur le quotidien et ne pus que constater que des milliers de puces venaient d’y élire domicile pour faire la fête. En quelques secondes mes bras furent recouverts de ces minuscules bêtes.

Cette arrivée massive de colocataires, cela va de soi, n’était pas de mon goût. J’appelai la propriétaire des lieux pour lui faire part de mon mécontentement. Cette dernière ne se montra pas trop surprise. Elle me dit que c’était des puces de parquet comme il y en a beaucoup dans les vielles maisons. Et se penchant, elle me montra ces dernières qui circulaient nombreuses sur le journal, comme en pays conquis. Ce n’était pas la place de la Concorde aux heures de pointe, mais on n’en était pas loin !

Les chambres n’étaient équipées que d’un lavabo. La fermière me proposa une bonne douche en m’invitant à la suivre. Je descendis en short dans la cour où je fus accueilli par un jet de forte puissance qui me balaya le corps. Il me sembla voir un sourire amusé sur le visage de la fermière qui devait penser que ces parisiens étaient bien délicats. J’ai cru pendant un instant qu’elle n’arrêterait jamais de m’arroser.

Quelques claques vigoureuses accompagnèrent ce traitement de choc pour chasser les bêtes récalcitrantes. C’est ainsi que je me suis fait secouer les puces….

Elle me proposa une autre chambre en me voyant peu disposé à subir durant un mois cette colonie envahissante, susceptible de me labourer les chairs au fil des nuits. Je ne manquai pas, hypocrite éhonté, lors de ce transfert, de lui dire que j’avais apprécié le jet de cette onde salvatrice dirigé par la main d’une maîtresse femme. J’eus ainsi droit à un sourire qui nous invitait à passer les vacances dans la bonne humeur.

Bien plus tard, j’appris que cette première chambre qui m’avait été destinée, était le refuge de son gros chien quand il n’y avait pas de locataires. Peut-être y avait-il là un lien de cause à effet…

Nouvellement installé, je pus en toute tranquillité, lire mon journal dans ma position favorite sans être gagné par l’angoisse d’y voir s’établir de nouveaux arrivants. En effet, cette chambre avait été miraculeusement épargnée par ces satanées bestioles.

Le soir de notre arrivée, déambulant dans la cour, j’entendis le meuglement des vaches dans l’étable, je crus bon d’aller y jeter un œil, pour y surprendre la fermière à l’heure de la traite.

La tête ceinturée d’un foulard, assise sur un petit tabouret, elle œuvrait tranquille sur les mamelles de l’une des bêtes.

Devant cette multitude de pis, s’agitant au rythme de ses mains, je crus de circonstance de me laisser aller à une plaisanterie de mauvais goût, pour tester son effet. Alors, saisissant un gant de caoutchouc trônant sur une bâche, je me tournai vers elle et lui demandai :- Ce bel ornement, madame, est-il le soutien-gorge de la vache ?-

A cet humour plus que douteux, elle me regarda incrédule, puis ne pouvant se contenir devant mon air sérieux, elle éclata de rire, le corps plié en deux.

Le rire, chacun sait, est un don du ciel. Encore faut-il présumer de l’extension de la mâchoire quand se manifeste celui-ci, surtout quand une prothèse dentaire se montre un peu plus lâche avec l’usure des ans et de ce fait n’adhère que partiellement aux marches du palais…

Je vis son dentier s’animer, claquer comme un drapeau en s’entrechoquant, puis projeté en avant, il s’arrêta sur l’ourlet de la lèvre inférieure. Quelques secondes interminables dues à l’hésitation du râtelier en porte à faux, qui vacilla un instant, et bascula dans le vide pour se laisser choir vers le sol sous la poussée d’un dernier éclat de rire. L’instant était tragique, il pouvait engendrer le pire ou le meilleur. Ce fut le pire !

Dans sa chute, il ricocha sur un seau, ébréchant au passage une canine qui n’en demandait pas tant. Sur le sol, point de moquette ni de pelouse. Je dois le dire, car c’est moche, il s’écrasa sur une bouse…

 

Ce n’était que ma première journée de vacances dans ce petit coin apparemment tranquille, aussi étais-je en droit de me poser cette question : – de quel évènement, demain, serai-je le témoin ?-

 

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18 mai 2010 2 18 /05 /mai /2010 14:44

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Le texte qui suit est un avertissement aux auteurs participant aux concours de nouvelles en général et aux concouristes du Calipso 2010 plus particulièrement. Lisez-le attentivement, riez si cela vous chante, pas trop quand même car " Entre chien et loup " se termine dans six semaines. On vous aura prévenu.

 

 

A la poste

par Ysiad  

 

La poste le voulait, la poste l’a fait ! Tout est neuf. C’est ce qui s’appelle des gros travaux ! Adieu néons, vieux présentoirs, peinture écaillée, sol crasseux… Un peu tape-à-l’œil, le décor, avec ces spots au plafond et ces carrés de faux marbre. A leur place, j’aurais fait plus sobre… Il y a même des écrans plats, avec des chiffres qui clignotent en jaune et bleu… Au fait, pourquoi deux couleurs ? Etrange. Il y a même un préposé aux tickets... Un peu débraillé, le préposé. Pour inaugurer des locaux, y a mieux. Et d’abord, qu’est ce qu’il fiche, ce type, à glander comme ça ? L’usager est assez grand pour appuyer lui-même sur le bouton de la machine à ticket… Avec le monde devant moi, je suis condamnée à patienter. Ce pli doit partir ce soir, c’est impératif, le cachet de la poste doit faire foi. Il a férocement intérêt à faire foi, le cachet de la poste, je n’ai jamais rien écrit de mieux que ce texte ! Je la sens bien, la victoire, avec une nouvelle pareille. Presque un chef-d’œuvre ! L’incipit va les scotcher. Un seul mot : Boum ! Au moins, je leur aurai épargné des trucs du type : Alors qu’un grand soleil dardait ses rayons brûlants sur la plaine encore humide de rosée et qu’un petit vent frais faisait onduler les blés bien blonds comme des chevelures de soie sur la terre alanguie, Mathilda, mon intrépide chèvre angora, piétinait gaiement de ses sabots fringants un tapis de pâquerettes à peine écloses…Je ne sais pas pourquoi, mais ce genre de phrases me donne envie de pousser une hennissante d’enfer… Hhhhhhiiiii. Flûte. Voilà Glandu qui ramène sa fraise. Mon Dieu, ça sent le chacal à cinq mètres. Franchement, on pourrait se passer d’un type qui répand partout ses particules pestilentielles pour vous fourguer d’office un numéro en transpirant… Misère de misère… Pas le choix.

 

- Bonjour. C’est pour quel genre d’opération ?

- Un affranchissement.

- Vous voyez les écrans ?

- Encore assez bien, ma foi.

- Les chiffres en bleu, c’est pour les opérations courantes. Les jaunes, pour les opérations complexes.

- Epatant.

- Vous, c’est bleu. Votre ticket.

- Merci.

 

Vade retro, le sconse ! 601. C’est quoi, ce gag ? Je ne comprends rien. L’écran bleu indique 896. Y a comme un couac... Bon. Patience. Vingt-deux personnes avant moi, sans compter le pépé assis sur son pliant, et seulement trois caisses. A raison de cinq minutes par tête de pipe, à supposer que les caisses restent ouvertes et que la plupart se ruent sur les opérations complexes, ça me fait dix minutes maxi à poireauter stoïquement, entre la boutique à gadgets et le glandouilleur qui cocote en traînant la savate. C’est jouable. Voilà qu’il me mate, à présent. Il pue, ce type. Ils devraient fournir des masques à gaz ou des sprays qui font pchit pchit à la boutique gadgets… Flûte. Il rapplique.

 

- Vous l’avez toujours, vot’ ticket ?

- Mais oui.

- Parce que si vous l’aviez perdu, je vous en aurais donné un autre.

- Trop aimable.

- C’est combien, vot’ numéro ?

- 601.

- Vous êtes après le 600.

- Bien vu.

- Au numéro 899, le compteur repart justement à 600, pour faciliter le décompte.

- Ah. C’est moderne.

- Y en a certains qui comprennent pas. C’est pour ça que j’explique.

- …

- Le p’tit problème, c’est que vous pourrez pas passer aujourd’hui.

- Quoi ? Comment ça ?

- On ferme dans trois minutes.

- C’est une blague ?

- Ah non. Ce sont les nouveaux horaires.

- Mais…

- Nous ouvrons demain à partir de 8h 30.

 

Ils sont nuls. NULS ! Des nuls pareils, ça ne s’invente pas ! Mais quel besoin avait-on de rénover la poste ! Elle était très bien autrefois ! Où il va, notre service public ? Droit dans le mur, oui ! Il ne me reste plus qu’à aller à la poste du Louvre avec mon chef-d’œuvre. Et bien sûr, il flotte à mort et je n’ai pas pris de parapluie. Quelle galère… Ils ont intérêt à l’apprécier, mon incipit…

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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 12:19

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Il pleut, il fait froid et un vent mauvais souffle sur la terre. N’empêche, et si nous allions nous promener dans la nature profonde des choses en compagnie d’Yvonne Oter ?

   

Le petit vent printanier se glisse jusqu’au fond de ma combe encaissée pour ébouriffer mes rameaux. Il sent bon, ce vent qui vient du sud. Il apporte avec lui des arômes exotiques oubliés pendant les rigueurs hivernales. Il parle de pays qui ne connaissent pas les gelées, ni la neige, ni la pluie. Il me revivifie en léchant mes branches encore engourdies et en les secouant malicieusement au gré de ses caprices. Avril est là qui vient, en courant d’air, se rappeler à mon souvenir. Je sens les bourgeons qui commencent à se gonfler d’aise sur ma ramure dépouillée et les radicelles de mes racines se pousser voluptueusement dans le sol réchauffé par les rayons du premier soleil. Je suis bien.

De nature essentiellement solitaire, j’ai choisi cette combe isolée pour me fixer et me développer avec sérénité. De tout temps, depuis un très long temps, d’autres végétaux ambitieux ont essayé de me disputer le territoire. Mal leur en a pris. Soit ils ne possédaient pas la force nécessaire pour implanter leurs racines chétives dans un sol cachant plus de pierres que de terre sous une surface d’apparence accueillante. Soit ils n’étaient pas suffisamment armés pour résister au vent d’autan qui parfois s’engouffre jusqu’à moi et tente de me malmener par de brusques assauts, pour tester ma capacité à lui tenir tête. Soit encore, pour ceux qui persistaient, je leur ai fait de l’ombre et les ai laissé s’étioler par manque de lumière. J’aime ma vie d’ermite au fond de mon ravin et n’entends pas la partager avec qui que ce soit. Je tolère les fougères et autres espèces rampantes, parce qu’elles ne font pas partie du même monde que moi. Je les ignore, tout simplement. Elles maintiennent un peu d’humidité en été, je leur garantis une protection contre le soleil lorsqu’il est trop ardent, c’est tout ; un échange de bons procédés, en quelque sorte.

Les insectes sont revenus. Toujours par deux, le mâle et la femelle, comme chaque année. Ils restent à mes pieds, parfois s’asseyent sur une de mes racines dont une boucle saille hors de terre pour éviter un rocher têtu qui ne s’est pas laissé entamer lors de mon expansion. Ils ne me gênent pas. Ils parlent bas, ne remuent pas beaucoup. Je suppose qu’ils choisissent de venir là parce que l’endroit est calme et à l’abri des regards indiscrets. Lorsqu’ils entament leur parade amoureuse, ponctuée de caresses, d’échanges de mots doux dans leur langage incompréhensible, de rires et de soupirs, je sais qu’ils sont venus se réfugier sous ma protection pour se reproduire. C’est pareil tous les printemps, mais les couples d’insectes ne sont pas toujours les mêmes. Pour moi, physiquement, ils ne sont pas différents. Deux troncs pour se tenir debout. Deux troncs qu’ils agitent et parfois emmêlent. Et un tronc central auquel se rattachent les quatre premiers. Les insectes sont des bêtes bizarres.

Je sais que ce ne sont pas les mêmes chaque année, du fait que ces animaux-là ne vivent pas longtemps. Soixante, soixante-dix ans, à tout casser. Ou alors, ils deviennent trop vieux pour pouvoir accéder à la combe par les chemins abrupts et caillassés. Ils ne se reproduisent plus à cet âge-là.

Il y a quelques dizaines de printemps, un couple d’insectes a voulu s’attaquer à mon intégrité. C’était sûrement un couple de mutants qui avaient acquis des idées farfelues en cours de mutation. Après la parade nuptiale, après l’accouplement, après le repos qui suit celui-ci, le jeune mâle a sorti un morceau d’acier de ce qui leur sert de parure et a commencé à taillader mon tronc. Oh, la brûlure ! Oh, la douleur ! " Jean et Lucie, pour la vie ", a-t-il écrit dans un cœur gravé dans ma chair.

Ce sacrilège ne leur a pas porté chance car j’ai invoqué toutes les puissances de la nature en criant vengeance. Un jour d’août, il faisait une chaleur lourde et menaçante. Jean et Lucie, ce sont les seuls dont j’ai connu les noms, se reproduisaient dans ma combe lorsqu’un bref orage d’été a éclaté. Un orage sec, sans pluie, violent, comme ceux que je déteste car ils ne rafraîchissent pas l’atmosphère. Apeurés par la violence des éclairs et du tonnerre, les insectes se sont rhabillés et sont venus se réfugier au plus près de mon tronc martyrisé. C’est là que le dernier des éclairs les a foudroyés, troncs mêlés et serrés l’un contre l’autre. Ils n’ont même pas eu le temps de crier, qu’ils s’embrasaient comme du bois mort. Le feu s’est communiqué aux fougères assoiffées, puis, horreur, a entrepris de me lécher. Ce jour-là, j’ai eu très peur, croyant ma fin venue. Mais d’autres insectes sont accourus en grand nombre, bottés, casqués, ont déversé des trombes d’eau sur la combe, sur les fougères, sur mes branches, sur mon tronc, jusqu’à ce que le feu du ciel s’éteigne, noyé. Ils ont emporté ce qui restait des deux insectes qui avaient brûlé en premier, sur de petits brancards dérisoires. Mais les fougères qui avaient péri en grand nombre, ils les ont laissées sur place après les avoir sauvagement battues et piétinées. J’ai gardé une cicatrice le long de mon tronc qui, heureusement, cache maintenant l’inscription ignominieuse des deux malappris. Mais elle me démange lorsque le temps reste humide trop longtemps.

Depuis quelques jours, une de mes plus anciennes racines me fait mal. Elle tente de se frayer un passage vers un coin de terre encore inexploré. Elle a devant elle un gros bloc de pierre hostile, bien dense, bien dure, qu’il va lui falloir franchir si elle veut s’implanter plus loin. Depuis quelques jours, elle explore, elle tâte, ses radicelles raclent la masse rugueuse sans craindre de s’y blesser. Elle cherche la faille, le moindre interstice minuscule par où attaquer le calcaire. Car il y a toujours un point faible, parfois soigneusement dissimulé, provoqué dans la chair du géant par des millénaires d’usure, de gelées, de pluies, de canicules. C’est là qu’il faudra qu’elle porte tous ses efforts quand elle l’aura enfin déniché. Elle en a vu d’autres, ma bonne vieille racine ; elle en a fait éclater plus d’un sous la force de sa détermination ; elle en viendra à bout, je lui fais confiance. Et je souffre avec elle.

Mes bourgeons ont enfin éclos. Je peux respirer maintenant et me tourner fièrement vers le ciel adouci par le soleil victorieux. Je vais pouvoir prendre un peu de repos après ces longs efforts pour puiser la sève nécessaire à les alimenter. Je sens bien que je commence à me faire vieux car, d’année en année, ce travail me paraît de plus en plus dur. Il est vrai que, vu ma taille, la distance que le liquide nourricier doit parcourir devient énorme et je dois y consacrer toutes mes forces pendant la période de gestation. Les pluies erratiques du printemps viendront bientôt m’aider à reconstituer mon énergie. Et puis, j’aurai tout l’été pour me reposer béatement sous la chaleur revenue. Et m’étendre, m’étirer, m’épanouir, sous le dôme triomphant de mon feuillage. Il est encore là, l’ermite de la combe. Pour quelques centaines d’années. Je l’espère.

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12 mai 2010 3 12 /05 /mai /2010 09:26

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Tandis que le soir tombait elle attrapait le dernier train, celui qui à ses yeux était sacré. Elle allait de wagon en wagon quémandant un peu d’attention pour son histoire.

Mon nom est Felicia Gonzales et je veux partager avec vous le plus beau de ma vie. Pendant sept jours j'ai demandé avec toutes mes forces qu'arrive l'homme indiqué pour moi, le meilleur compagnon, le meilleur ami, la meilleure paire. Trois jours seulement ensuite, il était là. Son nom est Javier Henriquez, je l'ai connu un soir dans ce train …

Il était peut-être le seul à l’écouter vraiment. La plupart des voyageurs connaissaient la suite et à son passage les hommes bourdonnaient d’impatience tandis que les femmes s’absentaient, semblant prises dans le seul bruissement de leurs pensées.

Elle parlait du fluide qui était passé entre eux à la seconde près où un éclair d’orage était venu fendre le crépuscule. Elle riait de cette chose énorme et irrésistible cachée en elle et qui tout d’un coup était apparue au grand jour. Toute sa bonté allait à son désir. Le ciel était merveilleux, parfait. Elle aimait le montrer et dire qu’il était resté éperdument clair au-dessus de sa tête. Des jours et des jours à se retrouver au train du soir sans jamais ressentir le poids des ténèbres. Le temps s’en était allé ainsi, dans une palpitation grisante et oublieuse. Jusqu’à ce qu’un fracas en tête de train vienne brouiller la lumière. Un incident voyageur, avait-on dit.

C’est durant la confusion qui avait suivi qu’elle avait surpris un œil noir et brillant dans le plafonnier du wagon. L’image d’un ciel à l’envers lui avait alors traversé l’esprit. Le vent s’était levé brusquement et l’orage avait préparé en hâte son théâtre d’ombres. Elle s’était cramponnée au bras de son homme qu’elle avait senti captivé par le malin, l’implorant de ne pas laisser errer ses yeux. Mais au premier coup de foudre ses forces avaient été aspirées et une peur panique l’avait saisi. Alors qu’elle était entrée en prière pour le sortir des turbulences, le train avait stoppé dans les sous-bois d’une petite ville terreuse. Une sirène avait retenti à trois reprises. Pris dans le flot des voyageurs se précipitant vers la sortie, il avait été emporté.

Un soir, il lui avait dit que c’était une bien triste histoire. Elle avait répondu ah vous croyez en levant les yeux au ciel. Mais le ciel ne faisait plus attention à rien et ses prières étaient à présent happées par le ventre énorme de la nuit. Dans ses mains tremblaient de grandes étendues de larmes.

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10 mai 2010 1 10 /05 /mai /2010 09:18

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Dans la série " Les grands oubliés de l’histoire " Jean-Claude Touray nous présente aujourd’hui :

 

Ravaillac le mal aimé

 

 

On a tendance à oublier que François Ravaillac, décédé peu après Henri IV, a quitté ce bas-monde en mai 1610.

Le quadri-centenaire de l’évènement donnera-t-il lieu à une célébration ? Une commémoration ? A quelques articles dans la presse ? Rien de tout ça à mon sens : comme Lucifer, Caïn ou Raspoutine, François Ravaillac fait partie des " mal aimés " que l’on veut oublier.

A l’âge de dix ans, c’était pourtant un marmouset d’un genre que, d’habitude, on aime bien : un de ces enfants de cœur que le bon peuple appelle " chouettes petits gars ". Toujours prêt à rendre service et à batailler pour la bonne cause, un vrai mousquetaire en sabots. Hélas, personne ne l’aimait.

Il allait dès l’aube visiter taillis et futaies, pour y ramasser par tous les temps du bois mort à ranger au cellier, car les hivers étaient rudes et sa famille pauvre : le matin, au saut du lit, il lui fallait se contenter d’un quignon de pain dur, à tremper dans une tasse de lait de chèvre qu’il avait dû traire lui-même. Dans ses récoltes forestières, François Ravaillac n’oubliait jamais la part des indigents. Pour eux, il ramassait de belles bûches quand les ruisseaux étaient gelés. Et pourtant, personne ne l’aimait.

Sur la place de son village, il faisait régulièrement le coup de poing avec les Huguenots de son âge. Il fallait le voir, très crâne, défendre la vraie foi avec un joli mouvement de menton et un coup de pied à la retourne dans la grande tradition de la savate. Avec ça, pas rancunier pour un liard, toujours prêt à verser du baume sur les ecchymoses, bleus et coquarts de ses adversaires. Malheureusement, allez donc savoir pourquoi, personne ne l’aimait, pas même monsieur le curé.

Pire, en grandissant il allait être de plus en plus critiqué, à cause de ses visions et des voix venant du ciel qu’il entendait, à une époque où n’existaient ni la TV, ni le téléphone portable. La situation devint vraiment dure pour lui, car c’était un être sensible. Il en avait le cœur meurtri et l’âme blessée.

Soyons clairs, les gens le détestaient et lui faisaient sentir. Ils ont fini par le faire écarteler en place de Grève, après qu’il ait été abreuvé d’huile bouillante et de plomb fondu. Tout cela au motif qu’il avait utilisé, pour poignarder le bon roi Henri, un couteau volé dans une taverne.

Ravaillac n’avait agi ni par cupidité, ni par méchanceté, ni par haine, mais pour faire plaisir et rendre service… A trente deux ans, François était un type épatant, n’attendant que l’occasion pour se montrer sous son vrai jour : l’obligeance incarnée…

Mais allez donc le faire comprendre aux gens… Personne, vraiment personne ne l’aimait.

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 13:49

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Dernier épisode de la nouvelle de Patrick Denys

 

Seul avec ma plaie, ils m’ont débarqué dans ce désert " ( Sophocle – Philoctète)

 

 

Lettre de Pierre Lévêque à sa femme

Cette lettre, trouvée dans la chambre de Pierre Lévêque, était sous enveloppe cachetée portant la mention : " pour Sandra "

 

Comme je t’ai aimée, ma Kallista. Te souviens-tu que je t’appelais " ma Kallista " ? Parce que tu as toujours été ma plus belle. Mais nous avons été assez fous pour nous séparer ; nous étions un peu saltimbanques, tous les deux, peut-être avons-nous joué trop serré sur le fil… Près de toi, j’avais appris toutes sortes de jongleries. J’aimais ça, les jeux de balle. Tous les jeux d’adresse ou de maladresse. Parfois jusqu’au vertige. Il y eut nos premières fois et nous avons joué d’insouciance. Notre rencontre était singulière, une sorte d’avance prise sur l’éternité. Notre balle, c’était du cristal, et nous n’en n’avions qu’une. On ne joue pas avec l’éternité ! Les routines du temps m’ont fait découvrir des jongleries plus ordinaires. Je ne me suis jamais pris pour un héros, surtout ne crois pas ça, ma Kallista, mais j’avoue avoir pris goût aux jeux de pouvoir et de conquête. C’était l’époque de mes départs au petit matin, des aéroports, des longues semaines loin de toi. Je faisais carrière et j’étais fier de mes exploits. Cela n’étant encore que de la jonglerie, mais de la petite jonglerie de second ordre et je sais maintenant que je me faisais illusion, ces jeux brillants n’étant que chimères, une certaine idée de la réussite, les jeux absurdes du guerrier sur le champ de bataille, si comparables aux exploits pathétiques du hamster dans sa cage. Jeux d’adresse sans grands risques, les balles retombant pour rebondir plus loin, des objets ordinaires, somme toute. Un contrat perdu, une mauvaise affaire, qu’importait, il suffisait de reprendre la jonglerie avec d’autres balles. Le cristal, lui, ne tombe qu’une fois. Et c’est fini.

Tu m’as quitté, ou je t’ai quittée, je ne sais plus très bien. Parce que nous n’en pouvions plus de nos éloignements. Et j’ai repris mes jeux de hamster. Dans ma cage. Jusqu’à l’épuisement. Je ne réussirai jamais à te dire toutes ces choses qui me viennent à la pensée de toi. C’est trop immense et nous sommes trop petits pour les saisir. De la poussière d’étoiles peut-être, qui resterait à toujours dans le grand univers. J’aimerais bien cette éternité là.

Tu as su que j’avais été hospitalisé. Ils ont parlé de " burn out ". La roue devait tourner trop vite dans ma cage et j’ai fini par m’entraver. Il paraît que ça a fait du bruit chez PEPLOS. Ça les a inquiétés parce que je n’étais pas le seul à perdre les pédales. Ils ont enquêté auprès du personnel ; ils ont pu identifier ainsi une trentaine de salariés plus " fragiles " que les autres, et cela les a rassurés. Il paraît que la fragilité est une maladie assez fréquente aujourd’hui, qu’on peut prévenir, à condition de s’y prendre à temps. Dans tous les bureaux, ils ont affiché le numéro d’appel de la Médecine du travail. Quel grand progrès !

Pendant ma convalescence, mon ami Michel est venu me voir. Il voulait me convaincre de revenir. Pour un contrat difficile. On avait besoin de moi et on me promettait une nouvelle promotion. J’ai d’abord refusé. Je préférais mon trou. Ils sont revenus à la charge et j’ai cédé.

Je vais te faire beaucoup de peine, ma Kallista .Qu’importe les péripéties de cette histoire, on te les racontera peut-être un jour. Sache seulement que ton héros a voulu jouer les braves. Une fois de plus. De la grande jonglerie, tu sais. Comme autrefois. Un beau numéro, une de ces réussites comme on les aime, chez PEPLOS !.

Et puis la chose est arrivée. Une chose qui n’aurait jamais du arriver, parce que des choses comme ça, ma Kallista, ça ne devrait pas exister... Ca s’est passé hier, à Lyon, à l’hôtel Saint Paul : Toute l’entreprise réunie pour la convention annuelle. Des discours et du champagne, … Avant le déjeuner, notre Directeur Général a annoncé les bons résultats de notre équipe en Région Paca. Il a fait allusion au contrat que je venais de négocier. Mais il n’a pas cité mon nom. Avant de passer à table, il a annoncé la création d’un nouveau poste important et à cette occasion, la promotion d’une de nos consultantes, Jocelyne Bordier. J’ai vu des collègues se retourner dans la salle, et me chercher du regard. Je ne savais pas que la honte pouvait faire tant de mal.

Je m’en vais, ma Kallista. Ne sois pas triste et surtout n’oublie pas : la poussière d’étoiles !

 

 

Note de service du 20 mars 2O10

PEPLOS Direction des ressources humaines

A l’attention du personnel.

 

Nous avons eu la grande tristesse d’apprendre la disparition de Pierre LEVEQUE dans les conditions tragiques que nous savons.

Un service religieux sera célébré à l’Eglise de la Trinité le jeudi 22 mars à 15h.

Les personnes souhaitant assister à cette cérémonie pourront poser une demi journée de RTT.

Une collecte est organisée pour l’achat d’une gerbe. L’assistante du Département Grands Comptes tient une enveloppe à la disposition des personnes désirant participer.

 

                                                                                          Patrick DENYS Avril 2010

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5 mai 2010 3 05 /05 /mai /2010 17:36

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Troisième épisode de la nouvelle de Patrick Denys

Seul avec ma plaie, ils m’ont débarqué dans ce désert " ( Sophocle – Philoctète)

 

Visite de Michel Verdier à Pierre Lévêque.

Michel Verdier a rédigé ces notes personnelles quelques jours après sa visite à Pierre Lévêque. Elles n’ont pas été communiquées à la commission d’enquête.

 

Je garderai cela pour moi. L’inimaginable. L’insoutenable. Mon arrivée un peu avant treize heures. Le deux pièces donnant sur cour au premier étage d’un immeuble vétuste, près de St. Lazare. Pierre Lévêque. Son nom indiqué sur la boîte débordante de courrier non relevé. L’interminable attente sur le palier et la porte qui s’ouvre. Avant la vision des choses, avant même les premier mots, la puanteur. Pas cette odeur de vieillesse qui traîne parfois dans le couloir des hospices, le remugle de choux et de biscuits abandonnés au fond des armoires, non, plutôt l’odeur sale, écœurante d’un corps qui s’est oublié ; la puanteur de l’air.

- Bonjour, Michel.

Il a parlé le premier et j’ai d’abord vu la veste du pyjama à rayures, mon regard stupidement arrêté par une miette de pain accrochée à la boutonnière, une miette retenue par un fil invisible, comme l’insecte pris au piège de la toile, le tremblement de cette chose ; et sa fragilité !

- Bonjour, Pierre. Comment vas-tu ?

Le visage est pâle et très amaigri. Pas rasé. Abandonné, semble t-il, au désordre des cheveux et du regard. Peut-être y a-t-il de la fièvre dans ces yeux.

Un tas de linge dans le couloir. Derrière la porte entrouverte de la chambre, un lit défait.

- Qu’est-ce qui t’amène, tu passais dans le quartier ?

Je l’ai suivi dans la cuisine.

- Comme tu vois, je passais par là et …

Je ne me rappelle plus l’enchaînement des banalités échangées. Suffoqué par la puanteur, l’écœurante puanteur de cet abandon des choses. La vaisselle sale empilée sur l’évier et sur la table, à côté des boîtes de conserves entrouvertes, certaines à peine entamées et déjà moisies.

- Il n’y a plus de place pour s’asseoir et je n’ai rien à t’offrir. Mais ça me fait plaisir de te voir.

- Tu vis seul ?

- Ça ne se devine pas ? Tu vois une femme dans cette tanière ? La mienne m’a quitté ; ou c’est moi qui l’ai quittée, je ne sais plus très bien. Il y a deux ans.

- Pierre, il faut que tu reviennes. On a besoin de toi à la boîte. Le nouveau projet CASTEMA …

- C’est donc ça ? Je croyais que tu venais par amitié. Te fatigue pas, Michel. Ils m’ont fait quitter le navire, c’est pas toi qui vas m’y faire remonter.

Que s’était-il donc passé ? Je ne reconnaissais plus le compagnon solide des premiers temps. Il disait que je ne pouvais pas comprendre ; il disait que je n’avais pas l’expérience de l’effondrement, je crois qu’il a dit " déréliction ", ça commence par une grande fatigue, tu ne la sens pas venir, mais tu t’épuises ; au début, c’est la fatigue du corps toute simple après l’injonction. : Où vous croyez-vous, vomissaient ces prétendants d’une autre planète, il y a dans votre équipe une bande de tire au cul ; ils ignorent qu’il est normal, dans notre métier, de travailler pendant le week-end. La tension, Lévêque, il faut maintenir la tension ; une réunion ne commence jamais avant dix-neuf heures, voyons, auriez-vous perdu le sens de l’Entreprise ? c’est là qu’on se retrouve entre initiés, des gens élégants, l’élégance du geste, Lévêque, on y boit du champagne avant d’analyser nos chiffres, le plus tard possible, puisque le temps ne compte pas, quand on compte, on n’aime plus, les épouses étant veuves avant l’heure et les maîtresses délaissées, mais l’entreprise n’est-elle pas la plus belle maîtresse, tout le monde le sait, eux en tout cas le savaient bien, ces quadras entreprenants dressés à devenir des " killers " alors qu’ils étaient encore dans l’œuf, tous fiers d’être les produits très jeunes de la prestigieuse E.S.S.P * . Il disait encore qu’il y avait cru quand il s’était embarqué : Un vrai petit soldat ! Ils ont flairé l’héroïsme et ils en ont profité. La productivité avant tout et les objectifs ! On se fout de vos clients, Pierre Lévêque, et cessez de nous emmerder avec votre humanisme à la con. Une marge à deux chiffres, voilà ce qu’on vous demande. Ces imbéciles ont cru pouvoir gagner plus en allant gratter dans notre gamelle. Finie l’autonomie, finis les agendas personnels et l’intelligence dans le travail, une tache, ce n’est que de la matière, ça se découpe. Par fragmentation. Te rappelles-tu, Michel, l’apparition des messages lapidaires sur nos murs ? : "  Ne vous séparez jamais de votre mobile !  l’urgence n’attend jamais ". " Contrôlez vos déplacements aux toilettes … ils sont improductifs ! "

Rien encore, que tout cela, disait-il, il y eut d’autres épuisements, d’autres destructions. Comme celle de l’amour-propre… L’écroulement des croyances. Tu découvres que plus rien ne t’appartient, pas même l’illusion de tes réussites personnelles. La sincérité de tes engagements, le simple respect d’autrui dans les rapports élémentaires, la cordialité au jour le jour, balayé tout ça ! Pendant des années, tu t’es dépensé sans compter, tu penses avoir été généreux et tu te retrouves seul derrière l’écran de ton P.C : Un flot ininterrompu de réclamations, de remontrances, de tableaux inutiles et de rappels à l’ordre. Répondre, toujours répondre, et sur le champ pour que jamais ne se ferme la boucle ; dans le couloir parfois, un hurlement, le déchaînement soudain de la haine, pour la sauvegarde ultime d’un bout de territoire, pour une miette de fierté, encore le jeu du harcèlement et l’écoute silencieuse ; derrière les portes les clans vont s’organiser pour ou contre le persécuteur, pour ou contre la victime du jour, connais-tu le piège du fourmillon, Michel, cette saloperie de larve qui t’attend au fond de son trou ? Tu aurais du comprendre que tout cela n’était que châteaux de sable mais tu es combatif et tu t’accroches. Malgré tes efforts, le sol se dérobe, encore et encore pendant ta grimpette. Jusqu’à l’avalanche finale. Tu n’as plus le choix. Tu te laisses tomber au fond du trou. Pour te faire bouffer. Et tu te retrouves sur une île déserte. Cela non plus, je ne pouvais pas le comprendre, disait-il. Une terre brûlée, Michel ! Il t’a fallu toute une vie pour construire ta maison et baliser tes repères. Soudain, plus rien. Tu ne te reconnais plus toi-même, des étrangers ont fait le siège de ta maison et t’ont mis dehors… Ce n’est pas faute d’avoir bataillé, disait-il encore. Le contrat " CASTEMA ", tu te rappelles ?

- Tout le monde a dit que tu avais été formidable, sur ce coup-là.

- Six mois à l’arraché, qui m’ont aidé à oublier un peu le reste. Au moment de la signature, on m’a enlevé le bébé pour le confier à qui tu sais. Jocelyne Bordier avait des attaches à Grenoble, m’a-t-on dit. Soyez beau joueur, Monsieur Lévêque. J’ai découvert que les attaches en question étaient très particulières. Le Directeur Régional était un ami personnel de Girard et Jocelyne Bordier était la maîtresse de l’ami en question. Ca méritait bien un passe-droit, le Sofitel toutes les semaines, au mépris des règles du jeu et mon humiliation pendant que le coast killer venait gratter quelques euros sur mes notes de frais.

A l’hôpital, ils m’ont parlé de " burn out ". C’est quelque chose comme " péter les plombs ". Fini pour moi, Michel. Maintenant, je veux qu’on me foute la paix, quitte à rester sur mon île.

 

* E.S.S.P : Ecole Supérieure des Stratégies Pro-actives (Cette institution Pro-actives n’est qu’une fiction)

                                                                                             à suivre

 

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4 mai 2010 2 04 /05 /mai /2010 16:49

Terre-brulee02.jpg

second épisode de la nouvelle de Patrick Denys 

 

Seul avec ma plaie, ils m’ont débarqué dans ce désert "( Sophocle - Philoctète)

 

 

Témoignage de Michel Verdier (négociateur " grands comptes " dans l’équipe de Pierre Lévêque) communiqué à la Commission d’Enquête

 

 

Après les derniers évènements survenus dans notre Entreprise, Olivier DEBORD, représentant de la Commission d’Enquête m’a demandé de témoigner. J’ai refusé la proposition interview enregistrée, m’estimant trop impliqué et trop proche de Pierre Lévêque pour pouvoir garder la distance nécessaire à un exposé objectif des faits. J’ai donc pris le temps de la réflexion avant de relater par écrit les évènements, tels qu’ils se sont déroulés, sous réserve des écarts possibles, dus à mon interprétation

J’ai connu Pierre Lévêque peu de temps après mon entrée chez PEPLOS. Dès notre première rencontre, nous avons sympathisé. C’était à Lyon, à l’occasion d’une réunion de secteur. Je venais d’intégrer la Direction Régionale. Pierre Lévêque, qui avait plus d’ancienneté, exerçait déjà ses fonctions de Directeur des Opérations " grands comptes ". Ses allures de montagnard et son charisme m’ont tout de suite impressionné. Avant tout, beaucoup de gentillesse ; je vois encore son sourire quand il a interrompu, en fin de matinée, et assez brusquement je dois dire, un exposé du Directeur régional, lançant à la cantonade qu’il était temps de penser aux choses sérieuses, de passer à l’apéro pour accueillir le " nouveau ". Le " nouveau ", c’était moi.

Je crois pouvoir dire que Pierre faisait l’unanimité dans l’équipe. Il aurait pourtant pu susciter bien des jalousies et réveiller des ambitions cachées (j’ai appris qu’on ne se fait pas de cadeaux dans ce milieu). Il était le meilleur de nous tous, les clients eux-mêmes, pourtant durs en affaires, ayant fait sa réputation dans la région ; il n’y eut jamais la moindre ombre au tableau.

J’ajouterai que Pierre Lévêque avait un franc-parler hors du commun. Refusant toute compromission, il restait toujours égal à lui-même. Je garde le souvenir d’empoignades épiques au cours de nos réunions, mais personne ne semblait s’en offusquer ; je crois utile de rappeler qu’à cette époque, le droit de débattre était une des valeurs de l’Entreprise, que nos managers ne manquaient pas d’afficher à l’occasion de séminaires aux énoncés provocateurs, comme " Alternatives ", " Feux croisés " ou " Controverses " qui n’avaient d’autre prétexte que d’offrir un espace à la libre expression et à la créativité des salariés.

 

Jusqu’au jour de  notre rachat par le groupe américain " Serenity ". Le changement fut brutal et sans transition. Un avatar climatique. Suivi d’un processus violent de dégénérescence. Comme une corruption soudaine de l’air qu’on respirait. On vit disparaître nos anciens dirigeants pendant que d’autres investissaient les couloirs d’une autorité clinquante, un vent mauvais d’arrogance gagnait insidieusement les étages, comme une contagion Chacun de se réfugier derrière son écran informatique, on se mit à forwarder, benchmarquer, lowcoster, dispatcher, thinktanker. Avec ce langage venu d’ailleurs, avaient débarqué le nouveau Directeur Général, flanqué de son coast killer*. Ils firent leur apparition lors d’une convention de l’ensemble du personnel dans un Ibis de la banlieue parisienne. Une semaine de kick off* dans un Hilton de Palm Spring avait laissé sur leur peau les stigmates du soleil de Californie. L’incorrigible Pierre Levêque lança à la cantonade quelques allusions narquoises, mais personne n’osa broncher.

"  Nos partenaires sont très déçus de vos résultats ". Je crois me rappeler ces premiers mots de l’intervention d’Hervé Girard. Sa façon à lui d’établir le contact avec son personnel. S’ensuivirent de fastidieuses présentations de chiffres et des considérations sur le ressaisissement nécessaire de nos énergies. Le " coast killer ", un personnage inquiétant au teint jaune, que nous avions pris l’habitude de croiser dans les couloirs, qui ne reconnaissait jamais personne, annonça un train de mesures nouvelles, toutes ayant rapport au confort de travail de nos vies quotidiennes.

Calmement, comme à son habitude, Pierre Lévêque s’était levé : " J’ai entendu dire que notre activité Licra Nouvelles Déclinaisons pesait 80% du chiffre d’affaire réalisé par le groupe. Pourriez-vous nous donner quelques informations sur la répartition de la masse salariale ? "

Un moment de silence. Ce fut Hervé Girard qui s’approcha du micro.

" Dans les réunions, dit-il, il y a toujours quelqu’un pour poser les questions stupides. Je vous remercie, Monsieur Lévêque, de nous avoir rendu ce service ".

Pierre Lévêque s’est rassis. Je ne lui avais encore jamais connu ce visage. Celui d’un homme blessé par la morsure d’un serpent venimeux ; et je crois que la plaie ne s’est jamais refermée. Ce fut comme un empoisonnement, comme une enflure de tous les instants. Cela se sentait. Trop, sans doute. Ces gens avaient l’obsession du chiffre et du résultat immédiat, le temps n’existant pour eux que dans la fébrilité de l’instant. L’intelligence  vive, l’art du questionnement, la légèreté et le pétillement de l’esprit, l’impertinence et surtout la générosité, tout cela n’était que purulence et nécrose, celle de la vieille Europe, sans doute. Cela sentait mauvais et il allait falloir éloigner ce membre gangrené.

Harcèlement, disgrâce, l’embrouille sous toutes ses formes, Pierre Lévêque se vit contester ses notes de frais et ses déplacements en province. La nouvelle organisation le privant de toute autonomie dans la gestion de son agenda, son assistante avait reçu pour consigne de ne lui laisser aucun espace libre, ce qui eut pour conséquence immédiate une surcharge de travail, sans compter les rappels à l’ordre incessants de sa Direction, exigeant la remise à jour des tableaux de bord, car c’était bien cela l’essentiel, qu’importait la qualité du travail accompli et la satisfaction des clients, la ponctualité dans vos reportings*, c’est cela qu’on vous demande, Monsieur Lévêque. Pour les rendez-vous importants et soi-disant pour rassurer le client, on prit l’habitude de le faire accompagner d’un cadre dirigeant, n’ayant la plupart du temps aucune expérience des subtilités de la

négociation dans ce contexte spécifique, se permettant l’arrogance au prétexte de quelques réussites passées dans la vente d’ascenseurs ou de produits alimentaires, ces incompétents allant jusqu’à brouiller les cartes de la transaction par leurs propositions absurdes. Pierre Lévêque, consterné, était contraint de réparer comme il le pouvait, les dégâts occasionnés.

 

Ai-je noirci l’exposé des faits ? Ce qui reste incontestable, c’est le changement important que nous avons tous constaté dans les attitudes de Pierre Lévêque. Il avait perdu de son entrain et de sa bonne humeur, de toute évidence il était surmené et commençait à perdre pied.

 

C’est alors qu’on lui a confié le projet " CASTEMA " ". Un chantier énorme, un dossier complexe, avec beaucoup de concurrents sur le coup. Six mois de travail acharné et au bout, la réussite. Nous avions organisé un pot avec l’équipe pour fêter l’évènement. Pierre est arrivé en retard, agité et très anxieux ; il s’est excusé de ne pas rester.  Hervé Girard, sans le consulter, venait de confier le suivi de l’affaire à Jocelyne Bordier.

 

De ce jour, on ne l’a plus revu. On a dit qu’il était en arrêt maladie, qu’il aurait été hospitalisé. Un soir, je l’ai appelé chez lui pour prendre de ses nouvelles ; il était distant et évasif. Et le temps a passé ; jusqu’à l’annonce de son retour. Le DRH m’a convoqué. Une démarche exceptionnelle, m’a t- il dit. Votre collègue Pierre Lévêque devait reprendre son travail mais il semble qu’il ait décidé de jouer les prolongations. Nous comptions sur lui pour la reprise des négociations avec CASTEMA et j’ai essayé de le retenir, mais rien à faire. Malheureusement, sans lui, il sera difficile de décrocher le contrat. Hervé Girard m’a demandé de tout faire pour le convaincre et il a pensé à vous. Vous êtes son ami, je crois ? Allez le voir, trouvez les bons arguments, dites lui qu’il est le meilleur, que l’Entreprise a besoin de lui et que nous savons tous qu’il est le seul à pouvoir emporter ce contrat. Dites lui encore que nous pensons à lui pour un poste à responsabilité en région Paca.

 

*coast killer : cadre financier chargé de réduite les coûts

* kick off : Sorte de congrès réservé aux cadres de haute direction

*reporting : Elaboration de tableaux de chiffres à usage de compte-rendu d’activité.

                                                                                                                         à suivre…

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3 mai 2010 1 03 /05 /mai /2010 19:13

Terre brulée 01 

La souffrance au travail fait régulièrement la une de l’actualité sociétale avec en point de mire le harcèlement moral et sa conclusion morbide avec le suicide. Dans une nouvelle inspirée par la tragédie de Sophocle, Philoctète, Patrick Denys retrace le parcours de douleur d’un cadre d’entreprise, héros d’une modernité conquérante où l’injustice, la solitude, l’humiliation, la déchéance sont toujours et encore à l’œuvre…

 

Seul avec ma plaie, ils m’ont débarqué dans ce désert " ( Sophocle – Philoctète)

 

Interview de Pascal GRANGIER , D.R.H de PEPLOS par le chargé de mission de la Commission d’Enquête

 

- Ça a commencé comment ?

- Difficile à dire. Pierre Lévêque n’était pas bavard, vous savez. Les premiers incidents doivent remonter à deux ou trois ans ; ses collègues vous en diront peut-être plus. Moi, je n’ai été témoin que de la fin de l’histoire.

- Alors, parlez moi de la fin de l’histoire.

- Un vendredi, en fin de journée, Hervé Girard m’a demandé de passer à son bureau.

- Hervé Girard ?

- Le Directeur général. Il coiffe notre activité commerciale sur l’ensemble du territoire.

- Et vous vendez quoi, au juste ?

- Du textile industriel. Des sous-vêtements pour la Grande Distribution.

- Et vous, vous êtes le DRH ?

- En effet, je suis chargé de la gestion des Ressources humaines. Ça vous fait sourire ?

- Le mot " ressources ".

- Ce soir là, Hervé Girard m’a demandé d’intervenir auprès de Pierre Lévêque. Je ne connaissais pas le dossier, je venais tout juste de prendre mes fonctions. Pierre Lévêque, était en arrêt maladie depuis plus d’un an. Un type plutôt performant, m’a dit Hervé Girard, mais une grande gueule, ce sont ses propres mots.

Ça avait commencé par des broutilles, un litige sur des notes de frais, je crois. Pierre Lévêque en aurait fait tout un pataquès. Après ça, il y avait eu l’histoire CASTEMA. Un gros enjeu commercial et six mois de bagarre. D’après Girard, on n’aurait jamais eu le contrat sans Pierre Lévêque ; c’est là qu’il m’a avoué s’être laissé embarquer dans une embrouille. L’acheteur est basé sur la plate-forme de Grenoble et Jocelyne Bordier, une de nos négociatrices " grands comptes " qui a des attaches dans le coin, avait demandé qu’on lui confie le dossier. Hervé Girard aurait cédé sans trop réfléchir.

- Ça n’était pas couper l’herbe sous les pieds de Pierre Lévêque ?

- Vous savez, dans une entreprise, il y a peu de place pour les états d’âme. Jocelyne Bordier est une battante qui a beaucoup d’ascendant auprès de nos clients. En l’occurrence, c’était une opportunité. Pour répondre à votre question, disons que Lévêque a mal pris les choses. Dans le mois qui a suivi, il est tombé malade, autre façon de dire qu’il s’est pris un congé maladie. Vous savez, les gens sont devenus susceptibles, aujourd’hui. Pour un oui ou pour un non, ils vous font le tintouin. Il faut reconnaître que Lévêque a fait fort. On a parlé d’hospitalisation, de dépression… très à la mode la dépression. Jusqu’à la médecine du travail qui s’en est mêlée, enfin, le grand jeu !

- Girard souhaitait donc que vous interveniez auprès de Lévêque. Que vous a-t-il demandé, au juste ?

- De tout faire pour le récupérer. Pour la bonne et simple raison qu’on en avait besoin. Officiellement, son congé maladie arrivait à terme, mais on ne se faisait guère d’illusion. A coup sûr, l’autre allait jouer les prolongations et ça tombait mal. De nouveaux référencements étaient en vue chez CASTEMA et, de toute évidence, Pierre Lévêque était le maillon nécessaire, l’homme providentiel. Hervé Girard m’a donc demandé de le convaincre, faites le mousser, m’a-t-il dit, au besoin faites lui miroiter une promotion, on doit créer un nouveau poste à responsabilité en région Paca. Dites lui qu’on pense à lui.

Je connaissais ce projet et j’ai demandé si l’on envisageait sérieusement de le confier à Lévêque. Bien sûr que non, m’a-t-il répondu et il m’a conseillé de garder pour moi mes scrupules.

- Et alors, Pierre Lévêque ?

- Nous avions rendez-vous deux ou trois jours avant sa reprise officielle de fonctions ; j’avais pris le prétexte de quelques formalités administratives nécessaires à la mise à jour de son dossier. Contre toute attente, j’ai découvert un homme calme et détaché. Quand j’ai abordé le projet CASTEMA, il a eu un drôle de sourire, qui m’a mis mal à l’aise. J’ai cru le moment venu de lui faire passer le message de notre Direction. Sa première prestation chez le client avait été brillante, tout le monde s’en félicitait ; de nouvelles négociations étaient envisagées, non seulement prometteuses mais vitales pour notre stratégie. On comptait sur lui pour ce chantier où il serait incontestablement le meilleur. Il ne disait rien, paraissant étranger à l’entreprise et à notre entretien, à se demander s’il prêtait une quelconque attention à ce que je lui disais. Quand j’ai évoqué sa promotion et l’évolution à venir de son poste, il s’est levé. " Arrêtez ça ", m’a-t-il dit. Et il est sorti de mon bureau sans se retourner. Le lendemain, nous avons reçu l’avis de prolongation de son arrêt de travail.

                                                                                               Patrick Denys      (à suivre…)

 

Comme le propose Magali Duru voilà le lien direct de la chanson de John Lennon :

                                                         Working Class Hero

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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 13:53

chantons-sous-la-pluie.jpg

 

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