Nous poursuivons imperturbablement notre saga selon laquelle foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux, dont nous entamons le quatrième volet bon pied bon œil, enfin c’est vite dit, n’est-ce pas, tout dépend du point de vue depuis lequel on envisage les choses.
Comment bien foirer son voyage à l’étranger
par Ysiad
Vous voulez partir ? Avec la petite famille ? Tous ensemble au Canada durant quatre semaines, par exemple ? C’est parfait. Commencez par confier le chat aux beaux-parents qui se feront une joie de le garder, il est si gentil, si aimable ce chat, puis surfez sur Internet à la recherche du meilleur prix, au besoin prenez le comparateur qui vous trouvera le meilleur des meilleurs prix de tout le monde entier, et dégainez la carte. Crac. Boum. Quatre places, vous les avez, c’est un charter pour le Québec, c’est bien. C’est un peu moins bien quand vous découvrez que compte tenu du meilleur prix vraiment pas cher du tout, il y a tout de même une petite escale qui n’était pas prévue à Tombouctou. Pourquoi Tombouctou, ma foi on n’en sait rien, on n’est pas là pour répondre à toutes les questions, demandez au pilote stagiaire, c’est la première fois qu’il lit une carte du ciel, c’est pas évident avec tous ces trous d’air. Donc Tombouctou sur le tarmac pendant huit heures, puis redécollage vers Québec où vous récupérerez soixante douze heures après avoir quitté la France une superbe voiture américaine sur le volant de laquelle le conjoint pose deux mains volontaires. Pas touche. La conduite, c’est une affaire d’homme. Maintenant roulons. Roulons, roulons, roulons jusqu’à la magnifique région du Saguenay où le chalet que vous avez loué dans un lotissement vous attend. Il est mignon tout plein ce petit chalet dans ce centre de vacances, et il est fort bien équipé contre les risques d’incendie. Si bien équipé qu’à l’instant où vous allumez une cigarette sur la terrasse en contemplant le lac Saint Jean à la tombée du jour, une sirène se met à hurler si fort qu’elle provoque un rassemblement de pyjamas sur la pelouse du centre. C’est qui qu’a fait tout ce bruit, nom d’une pipe, on peut pas être tranquille, encore des Français. Vous ne pouviez pas savoir, vous promettez qu’à l’avenir vous allez arrêter de fumer, c’est vrai, ça, comment peut-on fumer entouré de grands espaces, c’est une honte, vite en voiture vers les Laurentides chez les amis qui attendent la petite famille, les enfants dormiront sous la tente si le temps le permet. Et le temps le permet. Les enfants dorment sous la tente malgré la grosse tempête de vent qui s’est levée au petit matin, et qui vous a fait vous lever, vous aussi. Vous courez, très inquiète, dans le jardin, la toile de tente s’est envolée, les enfants sont ravis, ils font des cabrioles sur l’herbe, dommage que vous rappliquiez avec vos recommandations, on s’amusait si bien sans toi Maman, on a même vu un ours, il était grand comme ça. Stupeur. On vous confirme que oui, il y a effectivement des ours, quelques-uns, et aussi des castors, beaucoup, mais plus beaucoup d’indiens, c’est dommage. Tout compte fait, mieux vaut choisir des endroits où l’on peut voir des indiens et des ours derrière une vitrine. Un musée par exemple. C’est bien, les musées, c’est très bien pour se cultiver, il y en a beaucoup au Canada. Au hasard, le grand Musée des Civilisations. Qui est si bien organisé que des gardiens vous attendent à la sortie pour vous prier de rappeler à votre fils de reposer le totem à tête de mammouth à sa place au deuxième étage entre les masques sacrificiels et les calumets, merci infiniment. Continuons la visite de ce beau pays en faisant un détour par les Chutes du Niagara, drôle d’idée mais les enfants ont tellement insisté, donc les Chutes par trente-cinq degrés à dix heures du matin au milieu d’une foule cosmopolite qui lèche des grosses glaces coulantes, et qui embarque avec vous sur le Maid of the Mist. Attention ça tangue, ça tangue tellement que les enfants vomissent à l’un et l’autre bout du bateau pendant qu’une américaine fait tomber sa glace sur vos nouvelles bottes que vous n’avez pas eu le temps d’imperméabiliser. Trente dollars pensez-vous, c’est tout de même un peu cher pour se faire rincer au pied des chutes et rentrer au motel trempés, avec l’impression de tanguer sur une mer déchaînée, mais enfin. C’est pour les chers petits. Il faut leur faire plaisir. Ils aiment tellement l’eau. Ils ont toujours aimé l’eau, et comme s’ils n’en avaient pas encore eu assez, les voilà qui courent déjà à la piscine située au sous-sol du motel pour essayer un nouveau truc, le jacuzzi à vapeur. Circulaire. Deux mètres de diamètre à peine. Qui est occupé par un type au facies de Sumo. Enorme. De cou, point. La tête posée directement sur des épaules d’éléphant. Il barbote. Il est bien. Il ne veut pas être embêté. Et surtout pas par des enfants, en l’occurrence les vôtres. Les enfaaaants ! Vous avez beau les rappeler à l’ordre, ils ne vous entendent pas, ils sautent dans le jacuzzi et s’amusent à éclabousser le sumo, qui commence à devenir vraiment très rouge, mais fais quelque chose, enfin, Georges, (votre mari peut très bien s’appeler Georges, la loi ne l’interdit pas), fais quelque chose, nom d’un Iroquois. En voyant Georges qui s’avance d’un pas hésitant, le sumo s’extirpe du bain de vapeur. Lentement. Pneu par pneu. Il fait deux mètres. En largeur comme en hauteur. Georges, un mètre soixante-quinze. Ou seize. Guère plus. Et seulement en hauteur. Bon. On va écourter les barbotages, les enfants, sinon le monsieur va se fâcher. Allez. Cap sur Montréal. C’est préférable.
Donc Montréal, à l’hôtel que vous ont conseillé les amis des Laurentides, où vous avez réservé une chambre à quatre lits, et où il est temps que vous fassiez escale. Grand temps. Georges n’en peut plus. Il en a un petit peu marre de toutes ces conneries. On met un frein au gros délire, là. Ça va bien comme ça. Demain il fera jour. Bonne nuit. Le lendemain, vous vous levez, et c’est avec une énergie toute fraiche que vous empoignez les pans de rideaux et les tirez sur la tringle, qui se tord et se décroche dans un bruit net, réveillant d’un coup les enfants. Vous essayez de réparer la bévue. Georges prenant sa douche, vous avez donc quinze minutes devant vous pour raccrocher cette putain de tringle, et vous grimpez sur le dossier du canapé, soutenant la tringle à deux mains comme s’il s’agissait d’haltères, avec les rideaux qui pendent à chaque bout. Un peu plus tard, Georges pourra sortir du bain en sifflotant et voyant sa progéniture hilare, il dira : Vous, les enfants, vous avez une tête à avoir fait des bêtises ! Et les deux répondront en chœur : Pas nous ! Tourne-toi Papa !
Et là, bérézina.
Allez. On rentre au bercail. Fissa.
Mais si par miracle, avant de régler la location de la voiture, votre carte bleue est goulûment avalée par le distributeur automatique de l’aéroport, alors seulement, le voyage aura été bien foiré.