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15 juillet 2011 5 15 /07 /juillet /2011 08:00

Jour-J-02.jpg

Second épisode de la série proposée par Corinne Jeanson

 

Jour J

 

J'ai mis mon casque
j'ai accroché mon paquetage
je me suis assis dans la chaloupe
j'ai craché dans la mer attentive
j'ai regardé mes compagnons
nos coeurs en vrac avaient le même tempo
j'ai pas parlé
j'ai pas prié
j'ai regardé le ciel gris en reflet dans les eaux
là-bas la côte fumait
là-bas la brume accrochait son manteau de mort
j'ai sauté dans les vagues d'écume
rien de vénus
il fallait faire le boulot
j'aurai lancé ma lance
j'ai lancé un cri
je ne savais pas
que la fureur m'envahirait
je ne savais pas
que la fureur me donnerait la force
j'avais plus de mémoire
j'avais plus de paradis
j'allais mourir ou bien vivre
dans les airs sifflaient les obus
autour de moi les balles éclataient les corps
je les ai vus flotter dans les nuages
tous les guerriers de l'Histoire
aux visages creusés, aux visages noirs
ils se déployaient à nos côtés
nous transmettaient leur rage
et la mer vomissait ses vagues
et le ciel noircissait le temps
le jour J j'ai posé mes pieds
sur une plage explosée
y paraît qu'au bout la Liberté s'éveillait.

 

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11 juillet 2011 1 11 /07 /juillet /2011 09:00

Prison ruinéeLa prison est un lieu de réalité brutale. Un espace clos où l'on endure le manque et affronte le vide. Un trou noir creusé pour mettre en lumière des crimes et des délits.  Une mise sous scellé qui n'éclaire pas forcément la vie des victimes ni celle des malfaiteurs.

Dans un opuscule d'une quarantaine de pages, Brigitte Brami nous dit que l'on se fait quelques fausses idées sur la prison. C'est toujours compliqué d'exister entre des murs. On est prévenu de rien et quand on vient à s'interroger ce ne sont pas forcément des questions attendues qui viennent à l'esprit. Pourquoi le soleil ne se lèverait-il pas sur les espaces en jachères ? Un détenu ne ferait-il bouillir ses pensées que dans l'encre rouge ? Y aurait-il dans les maillons de la chaine une sécurité ultime pour retirer ses ailes à un regard ?

Brigitte Brami passe outre le ressentiment et même l'injustice pour essayer de dire en quoi l'enfermement lui a ouvert des perspectives et comment celles-ci lui ont permis d'occuper de temps en temps une autre place que celle qui lui était assignée. C'est que l'on y fait des rencontres, nous dit-elle, de ces rencontres qui réveillent le désir de vivre et de partager ce qui échappe au carcan comme le sentiment amoureux. Mises à l'ombre, les détenues changent carrément de visage.  

Bien sûr, les esprits s'y échauffent pour un oui ou pour un non. Un regard en coin, un mot de travers, une mauvaise adresse suffisent à briser l'inquiétante tranquillité des murs.  De petites broutilles dont on fait un usage immédiat quand les petites astuces de survie n'accrochent plus rien, quand on se sent davantage privé d'humanité que de liberté. Le déchaînement rassemble aussi. Il renforce, éclaircit l'esprit, permet d'écrire des poèmes à une perle noire effleurée le temps de la promenade, de demander la lune à sa bien-aimée. Il n'y a pas de fées dans les prisons mais on y fait des rencontres qui ont la saveur effrayante et merveilleuse du conte.

Ce livre n'est pas un état des lieux et s'il évoque les histoires d'amour en prison c'est à travers le voyage d'une détenue vers une autre. C'est un manifeste sur l'art d'ébranler la contrainte par corps. Page après page, l'effet de délivrance est palpable. Avec des mots qui cognent de l'intérieur, l'auteure se libère de ce qu'elle a appris pour mieux se remplir de l'inconnu, elle révèle des femmes en pleine joie, dévoile des mains qui adoucissent et souffle sur des lèvres qui transpirent de plaisir.

La prison ruinée de Brigitte Brami aux éditions Indigènes,  40 pages, 3€

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8 juillet 2011 5 08 /07 /juillet /2011 09:00

Sixieme-5523bis.jpg

Note du barman.

Les conflits d'intérêts ou de sentiments, les querelles de voisinage comme les embrouilles économiques, politiques, spirituelles et sexuelles sont autant de lignes de front largement ouvertes dans le champ des relations humaines. Le passage à l'acte est devenu la monnaie courante et le branle-bas de combat général le ferment de l'information.

La guerre laisse toujours plus de traces que la paix. La littérature s'en repait autant pour dénoncer les blessures qu'elle génère que pour défendre, justifier, sauver ses protagonistes.

Si l'écriture peut panser bien des blessures, elle peut tout autant en raviver au point d'envenimer la pensée. L'homme est ainsi fait qu'il lui faut sans cesse faire face aux dégâts causés par ses pulsions agressives et à sa propension à vouloir n'y être pour rien. La blessure est ressentie comme un échec, un défaut de résistance, une défaite qui enferme dans un lieu vide ne laissant plus de place à autrui. A vouloir s'en débrouiller par la seule voie de la dénonciation de l'autre, l'homme blessé érige une défense mortifère qui le conduit à guerroyer davantage. Certains se retrouvent dans les causes désespérées, s'érigent en justicier, écrivent des manifestes ou sombrent dans un cynisme débridé ; des répliques qui font que l'essentiel reste sur l'estomac, alimentant le ressentiment.

Et puis, il y a ceux qui essaient de mettre un voile sur leurs cicatrices et de faire entendre autre chose que la déchirure, qui entreprennent de faire signe au monde et de donner corps à une parole escamotée par la souffrance. Cette résistance-là est dure à mener. Il faut être un peu poète pour l'exercer.

 

Durant l'été, chaque vendredi , Corinne Jeanson nous propose de revisiter ces conflits qui nous occupent tant et tant...

 

Hommes blessés

En ces moments
ils se tiennent quelque part
assis sur un rocher
après les grands combats
ils mêlent leurs repos
la route est encore longue

autour du feu de camp
offre-leur un verre de vin
et deux cigarettes
cela leur fera du bien
reste silencieuse
ou chantonne de vieux refrains

là couchés sous le grand arbre
un lit de feuilles brunes
pour manteau
ils hument les fougères
aux frondes dressées
leurs tuiles arrondies évoquent
des airs de toit maternel

dans la nuit étoilée
sous vénus et la lune
ils campent
en hommes blessés
demain à l'aube
ils repartiront
pour l'ultime combat
tu veilleras sur eux

 

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2 juillet 2011 6 02 /07 /juillet /2011 23:30

Fin-concours-2011.jpgIl en va de la réputation de l'établissement : passé le délai raisonnable de l'acheminement du courrier auquel nous ajoutons l'incontournable cachet de la poste faisant foi, la dixième édition du concours Calipso vient de conclure son premier épisode. 129 nouvelles sont sur la ligne de départ pour la deuxième phase à l'issue de laquelle une douzaine d'entre elles auront de très bonnes raisons de se sentir redevables envers leurs auteurs. Chacun des membres du jury trouvera sa façon de choisir, de s'engager pour tel ou tel texte, chacun aura en lui une sorte d'évidence qui fait feu de tout bois pour porter les mots, les phrases, les chutes qui auront comptés pour lui. L'occasion aussi pour chacun d'entre eux de renoncer à une position indéfectible, de laisser en quelque sorte un peu de place à l'autre et même si parfois "ça craint", d'en apprendre quelque chose.

Le temps de la fête viendra lui aussi. Une des bonnes façons de donner du relief à la création et de parier sur un moment de vie débarassé des ornières du ressentiment. Ce sera le 15 octobre 2011 et nous accueillerons les auteurs et des comédiens pour la lecture des nouvelles primées ainsi qu'une joyeuse bande de musiciens, de poètes, de slameurs...  

 

Blues-impact.jpg

photo de mots paumes (3)  Instants poétiques-copie-1                    

kristinmarion

 

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 18:30

L'histoire du Staff Benda Bilili est édifiante. Deux réalisateurs Renaud Barret et Florent de La Tullaye en ont retracé l'odyssée dans un film documentaire sorti à l'automne dernier. Durant cinq années, ils ont accompagné et soutenu un groupe de musiciens Congolais capable par la seule force de leur passion de résister à toutes les calamités que les hommes et la nature s'ingénient à combiner pour que la vie soit un enfer. Si vous n'avez pas vu ce film, courez-y ! Ensuite, il ne vous restera plus qu'à espérer que le Staff se produise près de chez vous pour goûter cette musique qui aide à vivre.

Ils étaient à Grenoble hier soir dans le cadre d'une journée de lutte contre le racisme et de solidarité avec l'Afrique.

 

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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 16:03

Castor Tillon est un homme aux multiples talents : dessinateur, peintre, musicien et humoriste ; il nous fait l'honneur de venir exposer quelques unes de ses oeuvres au café. Si l'artiste vous plait, vous pouvez le retrouver sous d'autres facettes chez Lunatik, une auteure qui écrit de sacrées bonnes nouvelles...   

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en compagnie de Dexter Gordon

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Castor Mellow Stones 0

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25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 09:50

autobus-02.jpg

 

Toujours nous élançant sur la surface inépuisable des foirades, tel le léger patineur sur la glace, - qui, lui, évitera de se viander à l’arrivée devant les examinateurs -, nous vous convions aujourd’hui à prendre les transports en commun, car enfin, le vélo sous la pluie n’est guère enthousiasmant, le métro est plein de longues correspondances ; quant à la voiture, elle surchauffe dans les embouteillages, alors courons avec le garçonnet de quatre ans jusqu’au prochain arrêt du bus qui propose un parcours trois étoiles à travers Paris.

 

Comment bien foirer dans l’autobus

par Ysiad

 

 

Léo est ravi. Non seulement il adore prendre l’autobus avec vous, mais il a été invité à l’anniversaire de son copain Charlie, qui vient d’avoir quatre ans, tout comme lui. Dis, Maman, est ce qu’il y aura des bonbons ? vous demande Léo d’un air gourmand au moment de franchir le marchepied. Oui, un gros, un énorme sac, répondez-vous en validant votre titre de transport dans la machine et souriant au chauffeur qui regarde fixement le petit diable, comme pour évaluer son âge. Ces temps-ci, vous amadouez les chauffeurs avec un grand sourire, car dès l’instant où vous prenez le bus avec votre fils, vous vous rappelez que celui-ci a eu quatre ans voilà un mois, et que vous devez vous acquitter d’un ticket demi-tarif, nom d’un petit bonhomme ! Eh oui, c’est comme ça, et comme par un fait exprès, cela fait quatre semaines consécutives que vous oubliez d’acheter ce fichu carnet de tickets. D’où le grand sourire forcé adressé au chauffeur, qui vous suit du regard dans son rétroviseur. Gargl, gloups, trouvons vite une place, et heureusement aujourd’hui, vous êtes super vernis tous les deux : deux places contre les vitres viennent de se libérer. Vous serez aux premières loges pour traverser le Pont Marie, youpi !

 

A chaque arrêt, le bus se remplit et se vide, les portes s’ouvrent et se ferment, de nouvelles têtes passent, et Léo s’en paie une bonne tranche. Dis, Maman, pourquoi il a une grande barbe, le monsieur ? vous demande-t-il en pointant un barbu d’un doigt rapide, trop rapide pour que vous puissiez retenir son geste. Dis, Maman, pourquoi la dame elle ressemble à une sorcière ? clame-t-il à toute force et vous piquez un fard. Pourquoi ci et pourquoi ça, patati et patata, si bien qu’à la fin, harcelée par ses questions, vous sermonnez le fiston d’une voix sèche. Tais-toi tout de suite ! Je ne veux plus une seule remarque jusqu’à la fin, dites-vous en posant une main ferme sur les petites jambes qui se balancent. Si tu continues, on fait le reste à pied sous la pluie, tu veux ? grondez-vous, alors qu’il se livre à toute une série de grimaces pour braver l’autorité dont vous faites montre. Mais qu’il est insupportable, infernal même ! pensez-vous. Alors que les quais défilent, luisants de pluie, vous envisagez avec un grand soulagement de confier votre petit démon à la garde attentive de la maman de Charlie, tout en la plaignant un peu. Quand je pense qu’elle a invité douze chenapans chez elle, cette femme mérite une médaille ! ruminez-vous en imaginant déjà la longue plage de temps qui s’offre à vous, alors que le bus passe devant les tours de la Conciergerie. Arrête avec tes jambes et regarde plutôt comme c’est beau, Léo. Imagine toi qu’autrefois, c’était la maison des rois de France, et leur prison aussi ! Vous voilà embarquée comme un rien au cœur de la Terreur, mais Léo n’écoute pas vos beaux discours. Que Marie-Antoinette ait pu croupir là-bas, enfermée dans un cachot, en attendant d’aller se faire couper la tête, est le cadet de ses soucis ! Il vous laisse dégoiser tout ce que vous savez jusqu’à l’île Saint-Louis, où l’autobus marque l’arrêt, pour laisser monter de nouveaux passagers.

Dont un contrôleur.

Grand,

La mine sévère,

Revêtu de l’uniforme vert,

Et qui connaît le règlement.

Votre œil enregistre la silhouette qui franchit d’un bond déterminé le marchepied. Après un regard plongeant tout au fond de l’autobus, le contrôleur se met à discuter avec le chauffeur. Il dispose apparemment de tout son temps pour dresser ses procès-verbaux. La vie devant lui ! Quelle poisse, pensez-vous très fort. Mais quelle poisse ! Il y a trop de monde pour fuir maintenant. Jamais vous n’aurez le temps de vous jeter par les portes de sortie, vous pourriez être prise en flagrant délit de fraude... L’autobus est reparti, direction place d’Italie. Léo continue de se pincer les commissures entre l’index et le majeur, en imitant le cri du crapaud. Croâ, croâ, fait-il en gloussant. Pourvu que le contrôleur ne vienne pas jusqu’à nous, pensez-vous très fort, sans doute un peu trop fort, car la silhouette vert bouteille a commencé sa traversée, se penchant pour jeter un œil scrupuleux sur le titre de transport qu’on lui présente docilement. Aïe aïe aïe, pensez-vous, Aïe aïe aïe ! et tout se passe comme si votre esprit étroit ne pouvait contenir d’autre pensée que cet imbécile Aïe aïe aïe, qui doit vous faire blêmir un peu, car Léo s’écrie soudain : Pourquoi t’es toute blanche ?C’est rien, soufflez-vous, chut. Tiens-toi tranquille. Quelques minutes plus tard, à hauteur de la fac de Jussieu, le contrôleur s’arrête. Bonjour Madame, dit-il après avoir regardé votre petit diable. Bonjour Monsieur, répondez-vous d’une voix que vous voulez claire et sincère, et vous tendez votre titre de transport. – Et le petit ? reprend-il. – Le petit ? reprenez-vous, comme si vous découvriez à l’instant la présence de votre fiston à côté de vous. – Oui. Le petit. Quel âge a-t-il ? continue l’homme vert, d’un ton vaguement sadique. – Trois ans !, mentez-vous avec tout l’aplomb dont vous êtes capable. – Naaaan ! Pas trois ans ! Quatre ans ! J’ai quatre ans, moi ! claironne Léo à l’adresse du contrôleur en se tortillant sur la banquette.  

L’homme vous lorgne de ses petits yeux triomphants.

Bravo. En plein dans le képi ! C’est foiré !

Quatre ans ? reprend l’uniforme d’une voix gourmande. – C’est-à-dire que nnn…noui, bafouillez-vous, c’est nouveau, voyez-vous, il vient… il vient juste de les avoir, vous comprenez.Je vois, fait le contrôleur, de plus en plus triomphant. Bien. Il lui faut donc un titre de transport, vous l’admettez. – Bien sûr, écrasez-vous d’une voix soumise. – Et puis tout de suite, reprend le contrôleur. Mais cette fois-ci, c’est du plein tarif. Le demi-tarif n’est pas délivré dans les autobus, voyez-vous.Très bien, renchérissez-vous, tout en vous réjouissant d’échapper à l’amende. Je vous donne ça tout de suite, et vous plongez deux mains vives dans votre sac, à la recherche d’un ticket vierge. Farfouillez. Fourragez nerveusement parmi le capharnaüm des choses que vous trimballez partout avec vous. Peigne, bâton de rouge, brosse à rimmel, carnets de photos, de pensées, d’adresse, cartes de visite, de fidélité, de cinéma, petit plan de Paris, jeu de bics, porte-clé, élastique à cheveu… Tout y passe. Mais où sont donc passés les tickets ? Finalement, vous en trouvez un, glissé au fond du sac. Eurêka, pensez-vous très fort en brandissant le ticket d’une main victorieuse, sous le nez de l’homme assermenté.

 

Qui l’examine. Le renifle. Le tourne et le retourne entre ses doigts, durant dix longues secondes. Et s’il vous gratifie d’une œillade sadique, façon : cette fois, ma gaillarde, ton compte est bon, c’est tout simplement parce que le ticket que vous lui avez remis n’est pas vierge, mais validé au recto comme au verso, et qu’à ce stade, vous pouvez considérer le petit parcours à travers Paris comme bien foiré.

 

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 20:00

peripheriques-image.jpg21 juin. De la musique bien sûr mais accompagnée d'une histoire écrite et dite par Abd Al Malik "Château Rouge" 

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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 00:00

Caprices.jpg

A l'approche d'été, il devient urgent de faire fructifier tout ce qui vous a mis en émoi quand le printemps est venu rompre votre quiétude hivernale. Vous allez être amenés à déclarer tout l'intérêt que vous portez à l'obscur objet de votre désir en l'invitant à partager en tout bien tout honneur les belles journées ensoleillées qui se profilent. Hélas, nous savons tous combien il est souvent difficile de négocier un tendre rendez-vous tout comme il l'est d'ourdir un guet-apens en toute galanterie. Seulement voilà, c'est là que se jouent aussi quelques uns des points les plus vifs de l'existence…

Caprices

par Corinne Jeanson

 

Servante, montre-moi encore ce doux billet. "Oui, ce soir mon amante je vous attendrai à mon hôtel. Je reste votre fervent amant comme vous l'aimez tant." Ah ce soir arrive si lentement, dix-sept heures sonnent au clocher. Verse dans mon bain des senteurs suaves venues d'Orient mais point trop, qu'il respire encore mes odeurs. Ah mon dieu, cette ridule qui vient à mes paupières ! Tant de fois je l'ai pleuré, mon amant infidèle, voilà les empreintes de mes tristesses qui s'étirent à mon regard. Verse ce flacon d'huile d'Orient, que son baume estompe les douleurs passées. Ah, mon dieu, ce cheveu qui se colore de blanc ! Arrache-le vite de ma chevelure, qu'il ne voit pas combien je suis vieille. Ses belles maîtresses ornées de leur jeunesse sauront-elles s'effacer à son cœur ? S'il ne voyait que ma vieillesse et ses traces ? Ah mon dieu ma peau est encore douce, mes seins bien fermes ! Je lui plairai encore. Combien il est cruel de m'avoir abandonnée toutes ces nuits ! Je les ai bien comptées, quarante depuis notre dernière étreinte.

"Je suis occupé" ne cessait-il de m'écrire dans ses billets froissés "soyez patiente." Ah l'inconstant, comment peut-il croire que je l'attendrais ? Bien sûr il a certains attraits qu'il est bien difficile d'oublier. Je ne parle même pas de ses étreintes qu'il a pourtant vaillantes, ni même de son corps aux courbes semblables aux marbres antiques - et vous savez, ma servante, combien je suis sensible à Rome et plus encore à la Grèce - encore moins de ses paroles qui vous laissent un goût de miel. Non je parlerai plutôt de sa prévenance, de sa galanterie, de sa présence infinie, et ses caresses qui vous rendent si belles. Ah je suis tombée en pâmoison. Oui, oui, je sais, servante, il m'échappe et cela le rend plus désirable encore. Mais enfin n'est-il pas maître de lui-même ? N'est-ce pas là sa grande valeur ? Ah je songe encore à toutes ces galantes qui semblables à moi s'éprennent de lui, ces jeunes demoiselles aux corps que l'âge n'a pas atteint, vibrant sous ses mains. Comme elles doivent s'accrocher à son bel enthousiasme ! Ah mon dieu, qu'ai-je fait en cette dernière nuit où il a partagé ma couche ? Que ne lui ai-je pas donné qu'il m'ait si longtemps dédaignée ? Il respirait à toutes mes effluves, je goûtais à ses délices chocolatés. Le frivole, j'ai parcouru toutes les collines du tendre avec lui. Ah mon dieu, je lui ai trop donné, c'est cela !

Mais cessons ces jérémiades. Cette nuit il me revient. C'est certain, je saurais le séduire comme avant. Hélas, il exerce sur mon cœur un tel attrait que je crains bien de m'évanouir dès qu'il paraîtra. Sept mois déjà qu'il est entré dans mon âme. Sept mois que je tremble, que je gémis, que je prie. Sept mois qu'il demeure citadelle imprenable. J'aurais voulu le conquérir, tel Alexandre qui prit Tyr en sept mois. Dans un sursaut d'amour-propre, j'ai même tenté d'échapper à ses inconstances. Un ancien amant qui recevait, avant l'élu, toutes mes faveurs, soudain me déplut. Toutes ses tentatives me donnaient, bien malgré moi, à peine un frisson à la joue. J'ai goûté à d'autres nouveautés pour extraire le philtre fatal de mes veines. En vain ! Le premier au corps trop fragile, aux propos futiles m'ennuya. Je n'étreignais que ses épaules étriquées et même ses vices n'eurent pas mon agrément. Le second, époux volage, ne cherchait qu'à grimper dans mes creux, mais sans cette infinie douceur que l'ingrat savait si bien soupirer. Le troisième -oui ma servante, j'avoue je l'ai trompé trois fois avant que le coq n'ait chanté-, malgré ses savantes caresses, ne me prodiguaient que des imitations d'abandon. Ah oui, ma servante, je me suis abandonnée à mon merveilleux guerrier avec un tel enchantement que mon visage rayonnait telle Vénus sortant de l'écume. Qui pouvait me rendre son étreinte glorieuse ?

Ah mon dieu, comme le soir est long à venir, dix-huit heures sonnent au clocher. Prends soin de mon jupon de dentelle, de l'échancrure de ma robe rouge. Quoi, un nouveau messager porteur de quelle missive ? "Très chère ce soir je ne saurais être avec vous. Un contretemps me rend indisponible à vous." Quoi, aucune autre explication ! Le perfide, me veut-il revoir morte à remettre encore notre étreinte ? Ah non, je ne me laisserai pas traiter de la sorte, puisque ce soir le roi m'avait conviée à sa table, je saurais me distraire et oublier le féroce insaisissable. Allons servante, choisis la robe d'or que je scintille à la table royale.

Vingt-deux heures sonnent au clocher. Oui je reviens bien tôt, le dîner du roi était d'un ennui amer. Je n'ai cessé de soupirer et je n'ai rien pu manger. Tout me tournait vers mon oublieux : le moindre visage avenant me rappelait le sien, le rire du roi, les mots d'un courtisan et mêmes les rimes d'un poète, tout me rappelait à lui et tous me paraissaient de bien pâles copies. Même mon ancien amant, à la table du roi, qui soupirait à me vouloir près de lui, non vraiment, rien n'y fit. J'ai adressé à l'insensible un message griffonné à la hâte : "Très cher, je serai malgré vous à votre hôtel si particulier, ce soir à vingt-deux heures et je vous y attendrai, quoique vous ayez entrepris." Hélas, je ne saurais ainsi le rejoindre, je n'ai plus aucun amour propre et à ses genoux, je peux bien me traîner, mais quoi ses gens ne m'auraient pas laisser entrer. Hélas, ma servante, je préfère encore dormir seule dans ma couche et rêver de lui, à quoi bon chercher ailleurs l'oubli qui ne viendra pas. Ah je hais cette nuit.

Quoi, un message de sa maison, qu'écrit-il cette fois : "Très chère, mon importun enfin quitte ma maison, si vous voulez bien encore de moi, puis-je vous rejoindre en votre demeure cette nuit ? Dites-moi, me prendrez-vous la tête ?" Quoi, il ose ! Il suppose que je vais acquiescer à sa requête ? Mais pour qui me prend-il ? Pour une de ses faciles conquêtes ? Qu'il lui suffit d'un mot pour que je reprenne nos commerces ? Vraiment, il me connaît mal, je ne suis pas une de ses ingénues, ni une de ses précieuses qui n'espèrent que lui. Ma vie est pleine de... Hélas, quel est cet émoi qui m'envahit, quel est ce tourment qui freine ma raison ? Je l'aime tant, je l'espère tant, que m'arrive-t-il ? Ah ma servante, je suis perdue, je ne saurais lui échapper. Ecris pour moi, ma main tremble trop : "Venez. Je ne vous prendrai pas la tête mais la queue."

 

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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 10:10

dernière levée

Plus que quelques jours pour poster vos nouvelles...

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