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18 février 2013 1 18 /02 /février /2013 08:00

Jeansoàn3

 

Fin du monde ou gueule de bois ?

Corinne Jeanson

 

 

Tonitruant, truand.
La moiteur du saxophone
Avec les mots qui résonnent
La nuit dans les pubs grouillants.
Au-dessous des quais sombres
Les pas acérés
Flottent dans les remous
Des poutres en acier.
L'horreur des mots
S'enfoncent au fond des ventres.
Défaire le temps et faire
Encore à l'envers la vie.
Le cœur perlé ne bat plus,
Il se cogne aux possibles
Étalés en cinq colonnes
à la Une. Les journaux
Collés au mur de l'oubli
Annoncent la fin du monde.
Mais la fin de notre monde
C'est hier. Qui s'en soucie ?

 

 

 

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17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 08:00

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Tout le monde à table ! (5)

Patrick Ledent

 

 

On a débarrassé, vite fait, Déborah et moi. Moins d’une heure plus tard nous étions déjà au lit. Elle a glissé une jambe sous la mienne :

– Ben dis donc ! On peut dire qu’on a fait le plein, là.

Elle songeait au tiroir-caisse, aussi gavé que nos convives.

– Et tout ça grâce à toi, le roi de la com. !

Je l’ai embrassée. Son ventre a gargouillé. C’était inhabituel et ça m’a glacé :

– Tu n’as pas touché aux champignons, quand même ?

Elle a soulevé la tête, visiblement surprise :

– Ben non, évidemment. Tu sais bien que j’y suis allergique. Ça m’aurait tuée. Pourquoi cette question ?

– J’ai toujours peur, il suffit d’un geste machinal. Je me demande parfois si ce n’est pas dangereux de t’exposer ainsi.

– T’es bête, mon chéri. Ça ne risque pas d’arriver, crois-moi ! J’en ai bien trop peur. Allez ! Bonne nuit.

– Bonne nuit chérie.

On s’est retourné, dos à dos. J’ai gonflé longuement ma poitrine pour donner de l’ampleur à mon orgueil. Je pouvais être fier de moi !

Je l’étais.

« La fin du monde, c’est moi » ai-je songé en m’endormant, repu.

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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 08:00

Ledent6

 

Tout le monde à table ! (4)

Patrick Ledent

 

 

Minuit sonna l’heure de la débâcle. On s’était bien marrés. Des fins du monde comme ça, on signait à deux mains. « C’est quand la prochaine ? », qu’on me demandait en me déboîtant l’épaule au moment de payer. Je prenais leur pognon et ça me faisait tout drôle d’encaisser pour ça. Tout le plaisir n’avait-il été pour moi ?

Je les ai raccompagnés jusque sur le seuil, les regardant tituber jusqu’à leurs bagnoles, appuyés sur l’épaule de leurs Bobettes. Pas toutes sobres, d’ailleurs, mais je ne suis pas flic et je n’ai pas de gosses sur la route.

Un couple est tout de même sorti de chez Bernard, maigre pitance. L’homme est resté figé par le spectacle de ma clientèle enchantée. C’était un marrant. La surprise passée, il m’a jeté : « On dirait qu’on s’est trompé de crèmerie ». Le pauvre Bernard en a bouffé sa toque.

Je suis rentré.

Zut ! Il en restait deux dans un coin. L’homme se tenait le bide à deux mains et paraissait mal en point. Machinalement, j’ai regardé ma montre : déjà ? C’était trop tôt. Je me suis avancé et incliné, onctueux :

– Quelque chose ne va pas ?

– Ce gros dégueulasse a tellement bouffé qu’il ne peut plus se lever, a grogné la femme qui, pour sa part, paraissait avoir trop arrosé les agapes.

– Je vous appelle un taxi ?

Et je fournis la réponse d’autorité : « C’est plus prudent ». Fallait qu’ils se tirent. Pas qu’ils tombent ici, sous mon toit !

Le taxi était là cinq minutes plus tard. On ne fut pas trop de deux, le chauffeur et moi, pour traîner le bonhomme jusqu’à la voiture. On l’y assit péniblement. Ouf ! Soulagé.

– Alors, ça n’a pas eu lieu ? m’a lâché l’homme en s’affalant.

– Ben non, l’orage est passé.

– Cette trouille ! qu’il a fait en me désignant son énorme ventre. Cette foutue trouille m’a déchiré les entrailles.

C’était drôle, vraiment cocasse. « Pas encore eu lieu », ai-je marmonné entre mes dents, en claquant la portière.

                                                                                                                      à suivre...

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 08:00

    Ledent7.jpg

 

Tout le monde à table ! (3)

Patrick Ledent

 

 

Mes roulés de jambon ont fait un tabac. C’était délicieux, délectable, digne des plus grandes tables de la capitale. À ce rythme, on allait me décerner trois toques avant le dessert. Un ortolan du Michelin allait franchir la porte, me déloger de ma cuisine et me coller une médaille en criant qu’il y avait urgence, qu’on ne pouvait pas attendre.

C’était réussi, c’est vrai, mais pas à ce point. Je n’étais pas dupe. Le vin y était pour beaucoup. Les crânes étaient de bonne contenance. Du coup, l’assemblée avait déjà sifflé vingt bouteilles en moins d’une heure. Ça promettait. Moi, je restais sobre. D’abord parce que c’était mon rôle et ensuite parce que je voulais affronter l’apocalypse  la tête haute, en pleine possession de mes moyens. Je ne voulais pas être fauché comme un vulgaire épi, je voulais un traitement déférent, à la hauteur de mon courage.

À l’heure du plat principal, mon restaurant ressemblait davantage au bistrot de l’abattoir après le marché du dimanche matin qu’à une enseigne de chez Bocuse. L’ortolan du Michelin devait avoir fait demi-tour, agressé par le vacarme qui sourdait jusqu’au dehors. Le pauvre Bernard, dans sa salle vide, hésitait entre la corde ou la retraite anticipée.

Mon médaillon de veau était plus tendre qu’une agnelle d’élevage nourrie aux loukoums. Quant à mes champignons sauvages. Ah, mes champignons sauvages ! Mais où donc avais-été cherché ça ? Ça ressemblait un peu à des chanterelles, mais ça n’en était pas. Un peu à des pleurotes aussi, mais un peu seulement. Des giroles ? Des morilles ?

– Si je vous le dis, le pauvre Bernard va me piquer la recette, ai-je éludé. Pas question !

Fou rire général. Les rares clients qui ne connaissaient pas mon voisin furent mis au courant par les autres et participèrent de l’ivresse générale.

« Le bal masqué de fromages sur voile lacté » était une composition de Déborah. Figurez-vous une chapelle privée comme on en trouve au Père Lachaise, drapée d’un linceul blanc – le fameux « voile lacté », fallait y penser – que nous avons soulevé ensemble pour découvrir une dizaine de caveaux, chacun occupé par un fromage du terroir. Il y eut des applaudissements et, l’espace de quelques secondes, un ange passa. Ce fut si brutal au beau milieu du vacarme que j’ai failli paniquer. Déjà fini ? C’était ça la fin du monde ? Pas de morts, pas de massacres, pas de ruines, pas d’explosions, mais simplement l’univers qui s’arrête, prisonnier d’une photo ? Tout qui reste en suspens, indéfiniment ?

Mais non, ce ne fut qu’un grippage furtif dans la course du temps, et les rires repartirent de plus belle, alimentés par force bouteilles de vin.

                                                                                                               à suivre...

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14 février 2013 4 14 /02 /février /2013 08:00

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Tout le monde à table ! (2)

Patrick Ledent

 

 

Ils sont arrivés tous à la fois sur le coup de 19 heures. Ça a fait un bouchon jusque sur le trottoir. Le pauvre Bernard observait la scène depuis l’autre côté de la rue. Sa gueule de chien battu m’a réjoui. Il aurait fait pleurer une paire de lunettes en vitrine. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui adresser un petit bonjour ironique, tandis que je faisais entrer tout ce beau monde à la queue-leu-leu. Un apéritif offert, une pub dans le journal local, un prétexte bricolé, et tous de répondre présent. Sommes-nous à ce point manipulables ? À quoi pensaient-ils ? N’y croyaient-ils vraiment pas ou cherchaient-ils à vaincre leur trouille en faisant bombance ? Bah ! Quelle importance après tout ? D’un côté comme de l’autre, ils étaient sans noblesse. La vérité ne s’élude pas, elle s’affronte. Savoir mourir, c’est une ultime leçon de savoir-vivre.  

Je m’étais impliqué en cuisine. Je voulais que tout fût parfait. Trente-six personnes, menu unique : je pouvais assurer sans aide. J’avais d’ailleurs donné congé à mon assistant. C’était mon idée et j’entendais la servir en toute indépendance.

Ma femme s’activait en salle, comme d’habitude. Elle m’a épaté. Fallait voir la vaisselle sur les tables dressées ! Un petit cercueil pour l’entrée, un plus grand pour le plat de résistance, des fauchons en guise de couteaux et des ciboires en forme de crânes évidés pour le vin. Elle avait trouvé le tout en location sur internet. J’ai apprécié. J’allais devoir mettre les bouchées doubles pour ne pas la décevoir.

Fallait les voir s’esclaffer ! Des gosses ! Chacun soulevait son cercueil et y allait de sa réflexion, de table en table. J’entendis des « c’est mignon » et des « c’est adorable », qui m’auraient fait grimper en mayonnaise si je ne connaissais pas la suite. Parce que tout de même, il était tout sauf mignon, mon restaurant aux allures de caveau. Jusqu’aux tentures que nous avions couvertes de fausses toiles d’araignées ! Il n’y avait vraiment que des demeurés pour trouver ça adorable. Des demeurés ou des lâches, on y revient ! Certaines personnes s’obstinent à ne voir que le bon côté des choses, quitte à les travestir, au mépris de la plus éclatante évidence. Méthode Coué, mon œil ! Méthode couard, ça oui !

                                                                                                               à suivre...

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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 08:00
Ledent4.jpg   
 
Tout le monde à table !
Patrick Ledent
 
 
En pleine saison morte et juste avant les fêtes, c’était une bonne idée. Une occasion de remplir la salle. J’ai envoyé l’annonce au journal local :
 
Vendredi 21 décembre, le restaurant
« La Fourchette buissonnière »
vous propose son menu spécial
« FIN DU MONDE ».
 
Mise en bière
Roulés de jambon fumé aux asperges
 
Grand-messe
Médaillon de veau aux champignons sauvages,
gratin de pommes de terre et céleri-rave
 
Inhumation
Bal masqué de fromages sur voile lacté
 
Apéritif et pousse-café offerts par la maison
 
 
 
 
Six heures après la parution, j’étais complet : 36 couverts. Ma femme était ravie et m’a félicité : « Tu aurais dû faire la com., chéri, tu aurais cartonné ».
J’avais des dons, c’est vrai. Le pauvre Bernard, mon unique concurrence sérieuse, trottoir d’en face, allait encore se demander pourquoi tant de monde franchissait ma porte et si peu la sienne, quand nos prix et notre cuisine étaient comparables. Et dimanche midi, au bistrot, je lui sortirais une fois de plus :
– Tu veux que je te dise la différence entre nous, mon pauvre Bernard ?
Il grommellerait comme d’habitude – ce que je prendrais pour un encouragement –, avant de lui balancer une nouvelle fois :
– Il ne suffit pas d’être restaurateur, il faut être aussi commerçant. Moi, j’emballe avant de servir, c’est toute la différence !
Sauf que dimanche… Tout serait fini, hélas. Oh ! Je voyais bien que personne n’y croyait. Les Mayas, on les prenait pour des clowns.  N’empêche, je savais bien, moi, que plus rien ne serait comme avant.
Aussi ce dernier repas serait-il mon chant du cygne. Le leur aussi forcément, mais ils feindraient de l’ignorer. Parce qu’ils sont lâches. Que tous les hommes sont lâches. Quand vient la fin, ils se foutent la tête dans le sable en attendant que ça passe. Et ils périssent asphyxiés, même s’il ne s’est rien passé ! « Tiens ! J’aurais dû leur servir de l’autruche, à ces poltrons », ai-je regretté, à part moi.
 
à suivre...
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12 février 2013 2 12 /02 /février /2013 08:00

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Vieux matou (2)

Ysiad

 

 

Que c’est fatigant, mon dieu, que c’est fatigant lorsqu’ils se mettent à crier comme ça ! Cette agitation bouleverse ma tranquillité. Et tout ce foin parce que Papa a proposé à la dernière minute à son ami Maurice Leglandu de venir dîner ! Résultat : après sa journée de boulot, Maman est obligée de ressortir sous la pluie pour faire des courses. Papa est allé ouvrir le frigo et il a poussé un gros soupir en constatant qu’il était vide. Enfin voyons, a-t-il dit, c’est pas la fin du monde ! Je peux tout de même inviter Maurice à la maison sans que tu en fasses tout un plat ! Maman a dit que si, justement : quand on invitait des amis, la moindre des choses, c’était de leur faire un plat, et puis comme Maurice était l’ami de Papa, elle se sentait obligée de faire un petit effort. Papa n’avait rien prévu, elle n’allait tout de même pas lui servir les rataillons de fromage qui pourrissent dans un tupperware. Elle est partie en claquant la porte si fort que le radiateur sur lequel j’étais allongé en a tremblé.

 

Quand Maman est rentrée, elle était trempée de la tête aux pieds. Elle a accroché son manteau au porte manteau en maugréant, elle a posé ses sacs sur la table et elle s’est mise à couper ses fines herbes à grands coups de ciseaux. J’ai sauté du radiateur tiède, c’était l’heure de mes croquettes ; les horaires, c’est sacré, il ne faut pas badiner avec. Je me suis posté devant ma gamelle mais comme Maman avait l’air en colère en battant ses œufs, je me suis retenu de miauler et j’ai pris ma pose de sphinx muet. Elle n’arrêtait pas de répéter qu’elle en avait marre d’être la bonniche de la maison, et qu’elle n’était pas sur terre pour recevoir les amis de Papa au dernier moment, qui se faisaient servir sans bouger le petit doigt. Papa s’est fâché, il a dit à Maman qu’elle exagérait, qu’elle disait tout cela parce qu’elle n’aimait pas Maurice, et il est allé mettre le couvert.

 

Heureusement, ça embaumait dans la cuisine. J’ai humé l’odeur délicieuse de la ciboulette et de la coriandre, puis je me suis décidé à miauler un peu, pour rappeler à Maman mon existence. En m’entendant, elle s’est arrêtée de couper ses herbes et comme elle sait que je raffole de la ciboulette, elle m’en a donné un brin à mâcher. Tiens, mon Pompon, a-t-elle dit, un petit encas avant les choses sérieuses. J’ai patienté un peu en mâchonnant, mais l’herbe, ça ne nourrit pas son chat. Comme elle continuait à s’affairer, je me suis mis à miauler très fort pour la rappeler à son devoir. Quand c’est pas l’un, c’est l’autre, a dit Maman en remplissant ma gamelle, puis elle est retournée à ses préparatifs.

 

As-tu pensé au dessert ? a demandé Papa en entrant dans la cuisine. Le gâteau est au four et il est au chocolat, a dit Maman en soupirant. Chouette, a dit Papa pour mettre un peu d’entrain, et il a sorti les verres pour l’apéritif. On propose un kir ? a dit Papa. Parfait, a dit Maman et c’est à ce moment-là que Maurice Leglandu a sonné. Je vais ouvrir, a dit Papa. J’en ai profité pour reprendre ma place sur le radiateur, c’est encore là que je suis le mieux pour piquer un petit roupillon.

 

Je me suis réveillé quand ils se sont attablés. Maman a posé l’omelette entre eux, et Papa en la voyant a demandé s’il ne fallait pas envisager de la recuire un peu. Comme Maurice ne disait rien, Maman s’est retournée et lui a demandé comment il l’aimait, son omelette, et il a répondu d’une voix prudente que c’était parfait tel quel. Papa et Maman écoutaient Maurice qui parlait très fort en agitant en l’air sa fourchette pleine d’omelette. Comme j’avais encore un petit creux, j’ai quitté mon poste d’observation pour voir ce que je pouvais récupérer. Des petits morceaux d’œufs cuits tombaient autour de la chaise de Maurice qui parlait toujours. Comme personne ne me prêtait attention, je me suis posté sous la fourchette valseuse pour récupérer des miettes volantes, et c’est là que Maman m’a vu. Elle a grommelé qu’au moins, son omelette n’était pas perdue pour tout le monde, et quand Papa a demandé à Maurice s’il avait encore faim, Maman a dit qu’il n’y avait plus d’œufs pour faire une deuxième omelette. Elle a remporté les assiettes en demandant à Papa d’aller en chercher d’autres dans le buffet, pendant que Maurice se curait les dents. Je l’ai suivie jusqu’au frigidaire dans l’espoir qu’elle me donne quelque chose, mais elle m’a dit que c’était trop tôt, que je venais d’être nourri et qu’elle ne voulait pas d’un chat mendiant à la maison. J’ai penché la tête pour lui rouler deux gros yeux réprobateurs, je n’aime pas quand elle me traite de chat mendiant. Elle a déballé un gros fromage crémeux qu’elle a posé sur une assiette pour le porter à table.

 

Tu aimes le vacherin ? a-t-elle demandé à Maurice, qui a fait une moue polie. Enfin chérie, tu sais bien que Maurice ne mange jamais de fromage ! a dit Papa à Maman sur un ton de reproche. Tu veux un petit-suisse ? a demandé Papa. Maurice a remercié, il a dit qu’il aimait beaucoup les petits-suisses, que c’était une bonne idée. Confiture ou sucre ? a dit Papa. Les deux a dit Maurice, et Papa s’est levé. Moi aussi j’ai un faible pour les petits-suisses, Maman les achète pour Papa, et aussi pour moi quand j’ai été sage. En voyant Maurice en manger six, l’eau m’est montée aux babines. J’ai attendu en espérant qu’un peu de crème coulerait de la cuillère mais comme rien ne s’est passé, je suis retourné me coucher sur le radiateur.

 

Au moment du dessert, Papa a voulu taquiner Maman qui apportait le gâteau au chocolat sur un plat. Franchement, chérie, ton gâteau, il a pas l’air terrible, on dirait un gros tas de miettes ! a fait Papa. Maurice a ri derrière sa main, il avait l’air de bien s’amuser. Maman, un peu moins. Elle a dit que son gâteau n’avait pas un bel aspect, mais qu’il fallait passer au-dessus des apparences et qu’il serait bon quand même. Elle a même proposé de la crème anglaise avec, et tout le monde était d’accord. Elle en a versé beaucoup à Maurice avec la louche, sans doute pour rattraper les choses, mais au moment de servir Papa, sa main s’est mise à trembler et la crème a coulé sur sa chemise et sur le parquet. Il y avait une petite flaque à côté de la chaise. Mais que tu es maladroite ! a fait Papa furieux, et Maman a ri en me voyant lécher le sol, je n’allais pas rater pareille aubaine. Au moins, elle n’est pas perdue pour tout le monde !, a-t-elle fait.

 

Papa a continué à discuter avec Maurice pendant que Maman s’affairait à la cuisine. J’ai attendu qu’elle aille se coucher pour la suivre. Voilà un vieux matou heureux, a-t-elle dit en me caressant. J’ai plissé les yeux de dédain et j’ai posé une patte pleine de griffes sur sa main pour qu’elle cesse de me gratter la tête. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est quand on m’appelle : vieux matou. La crème n’était pas mal, mais franchement, son gâteau, il ressemblait à un tremblement de terre chinois.

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11 février 2013 1 11 /02 /février /2013 08:00

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Modernité

Alain Créac’h

 

 

Monsieur Pierre était tout souriant, heureux de gravir les trois marches de chez Momo et de retrouver Monsieur François à la table des habitués : cinq semaines éloigné des copains par une saleté de grippe. Il n’avait même pas pu débattre de cette sacrée fin du Monde !

- Alors, ça y est, c’est fini ?

- Sûr ! Mais c’était déjà fini avant !

- Avant quoi ?

- Avant la fin !

- Si les choses se finissent avant la fin, comment voulez vous qu’il y en ait une vraie … une fin convenable, je veux dire !

- Vous savez, certaines fins savent se faire discrètes mais elles sont bien présentes, à chaque instant et à tous moments ; elles rôdent… imprécises…

- Si même les fins sont imprécises alors ! Et… comment savoir si on peut recommencer ? Après la fin.

- Bof !

- Vous ne semblez pas croire au « Recommencé »…

- C’est vous qui voyez… moi… Monsieur François laissa sa phrase en suspens.

Monsieur Pierre l’avait pourtant bien sentie, bien imaginée, cette fin ; elle l’avait fait vibrer, espérer. Un grand balayage ! Il était prêt à tout rebâtir, reposer le premier parpaing. Un monde refait, tout neuf, un paradis dont il serait le gardien, dans un beau pavillon ! Sûr, il filtrerait les entrées : normal, faut faire attention quand on recommence ! Mais sans date précise, comment savoir si la fin avait vraiment eu lieu ! Recommencer risquait de ne  servir à rien… ou si peu ! Les propos de Monsieur François avaient introduit le doute en lui. Il lui fallait réfléchir.  Désarroi !

- Patron ! la même chose !

Monsieur Pierre avait besoin de réflexions et Monsieur François d’arguments, et Dieu sait s’il y en avait dans  la réserve du patron : une provende intellectuelle de derrière les fagots ; douze centilitres de douze, dont la générosité baignait de rouge le pied des ballons tous illuminés de l’incandescence d’ampoules haute consommation.

Silence.

Il  aspira sa première gorgée de génie polémiste :

- Bon, admettons que la fin ait eu lieu, une fin si subtile que l’on n’ait pu la ressentir… ne serait-ce qu’un tout petit peu…

- Les fins malignes, ça existe : j’en ai rencontrées !

Monsieur François ajusta ses lunettes de professeur, d’écailles et de presbyte. Il avait failli être journaliste, mais un emploi de magasinier avait fait l’affaire jusqu’à la retraite consacrée à l’art de la rhétorique chez Momo :

- Il est vrai que les fins ont toujours eu de grandes et vaines prétentions : le Monde…rien que cela ; laissez moi rire ! Et elles n’en sont pas à leur premier essai… souvenez vous : Nostradamus, la septième heure, etc. … tout cela était public ! Mais…

- Vous pensez à des tests, à une sorte d’entraînement ?

- Oui… et non, Monsieur… peut-être est-elle advenue… effectivement, cette fin… mais peut-être pas… ou si peu… comment savoir ?

- Nous sommes bien vivants…

- Vivants, vivants ; il y a vivants et vivants… l’illusion, Monsieur Pierre, tout n’est qu’illusion !

Monsieur Pierre se sentit perdu, noyé dans les remous de doutes infinis.

 

Dehors, la fraîcheur du soir, sa belle Mobylette bleue retrouvée, rien n’y fit ; le doute persistait. Comment savoir : fini ou pas fini, telle était la question !

Monsieur Pierre leva la tête pour enfiler son casque ; son regard tomba alors sur la feuille blanche d’un arrêté visé de la préfecture. Il ne l’avait pas remarquée jusqu’à présent : « En raison de l’état de délabrement prononcé et de l’intérêt privé réunis, le dit immeuble, abritant le débit de boisson dit « Chez Momo », ainsi qu’un logement en mauvais état, le tout sur cave voutée, sera livré aux démolisseurs à dater du 21 décembre 2012… blablabla… logements de grand standing… modernité…blabla…

Le 21 : c’était il y a plus d’un mois ! La fin du monde !

Le froid se fit glacial.

Monsieur Pierre reposa son casque sur le porte-bagage et reprit sa place à table. Le patron apporta la bouteille.

Il avait eu raison, Monsieur François, la fin du monde avait été sournoise : une saloperie de fin sur papier timbré !

Ils referaient le monde encore une fois. Bientôt, celui-ci disparaîtrait sous les décombres et la modernité économique. Sûr, ils pourraient se retrouver au Betty’s Bar, si seulement il n’y avait pas cette musique insupportable !

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10 février 2013 7 10 /02 /février /2013 08:00

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Monsieur Cépala

Jacqueline Dewerdt

 

 

Mon voisin est déprimé. Un bon vivant, un optimiste comme lui, c’est à n’y pas croire. Pourquoi donc cet homme simple, employé apprécié de tous passe-t-il subitement de l’euphorie à la morosité proche de l’état suicidaire, c’est ce que je m’en vais vous conter.

Mon voisin s’appelle Alexandre, eh oui, ses parents avaient de grandes vues pour lui. Les pauvres, il ne voulut jamais se soumettre à leurs désirs, rien n’y fit, ni leurs imprécations ni leurs menaces. Alexandre n’a jamais eu un tempérament à se faire du souci. Il s’en fit si peu qu’il se retrouva à devoir gagner sa vie sans avoir grand bagage comme on dit. Ni bagage universitaire, ni habileté manuelle particulière. Ses mains se contentaient d’accompagner les beaux discours qu’il tenait à tout propos. La tchatche était son seul savoir-faire. Il était capable de démontrer tout et son contraire dans tous les domaines, en particulier dans ceux dont il ignorait tout. Il faisait douter les plus convaincus, faisait rire la plupart et savait surtout apaiser les conflits. Les ronchons, les mauvais coucheurs, les belliqueux  se voyaient réduits à l’état de doux agneaux par la grâce de la parole enjôleuse et convaincante de notre Alexandre. C’est ce qui le sauva.

Au département « Logistique » d’une grande chaîne de restauration libre-service, on sut utiliser au mieux ses qualités. On attendait quelqu’un comme lui au service des réclamations. Ce n’était pas le nom exact de ce service, il y a longtemps que l’on ne nomme plus les choses par leur nom. Toujours est-il que chaque matin, le service Clientèle, puisqu’ainsi on le nomme désormais, reçoit des quatre coins de France une bordée d’injures émanant des gérants furieux d’avoir reçu des filets de sébaste en lieu et place des steaks hachés, des haricots verts alors que ce sont les carottes qui ont été commandées, des glaces au chocolat et non des fraises garriguette. Certes l’un ou l’autre protestataire parvient à rester courtois, mais la répétition quotidienne des erreurs, finit par faire sortir de leurs gonds les mieux éduqués et même les plus soucieux de garder de bonnes relations au sein de l’entreprise.

Et notre brave Alexandre, pendant des années, sut calmer les furies, éteindre les brasiers d’insultes, redonner courage à tous et même se concilier les bonnes grâces des plus coriaces. Dans tous les coins de l’Hexagone, on se surprit  à espérer qu’il y aurait au moins une petite erreur de livraison par semaine pour entendre la réplique devenue célèbre :

- Eh bé, ehbé, c’est pas la…c’est pas la fin du monde.

Et Alexandre trouvait vite et bien une solution. On l’appela Monsieur Cépala.

Sa réputation et son surnom dépassaient le cadre de l’entreprise. Ses voisins venaient lui parler avec force détails des malfaçons et des disfonctionnements divers, parfois inventés de toute pièce, rien que pour l’entendre répliquer :

- Ehbé, ehbé, c’est pas la…c’est pas la fin du monde.

Vous comprenez bien qu’en décembre 2012 quand la menace d’une fin du monde programmée pour le 21 courant faisait les beaux jours des radios, des télés, de l’internet et des conversations des dîners, des comptoirs et même des alcôves, Monsieur Cépala fut pris à parti en tant qu’expert. On se moquait de lui, plus ou moins gentiment, mais il tourna les moqueries à son profit et devint une véritable vedette. Cela dura jusqu’à Noël, le temps que l’effervescence autour des tenants et des négateurs se dissolvent dans le foie gras et le champagne, nourritures désormais obligatoires pour célébrer la naissance d’un certain fils de dieu dont Alexandre avait aussi des choses à dire.

Toute cette excitation fut amplifiée par les festivités prévues pour le départ à la retraite de notre héros. Cette perspective le réjouissait. Il en aurait fini avec les camions mal chargés, les contrôles dans les chambres froides, les mécontents de tout poil. Il avait d’autres projets. Il allait rattraper le temps perdu. Il allait étudier. En premier lieu s’intéresser aux prédictions de fin du monde à travers les siècles et pourquoi pas à la civilisation Maya qui avait bien embrouillé tout le monde. Désormais, il attendrait pour parler de maîtriser son sujet.

Las, depuis le premier janvier, Alexandre déprime. Il a commencé par se lever tard. Il a cessé de se raser, de s’habiller. Depuis quelques jours, il ne se lève plus. Connaîtriez-vous un autre Monsieur Cépala pour venir à son secours ?

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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 08:00

Boussole.jpg

 

Déboussolé

Emmanuelle Cart-Tanneur

 

 

La fin du monde, la fin du monde, on ne parlait plus que de ça... Rien n'était moins sûr, d'ailleurs et CQFD : on est toujours là ! Je le savais bien, moi, que la Terre n'allait pas s'arrêter de tourner ; on nous l'avait même expliqué en long, en large et en travers : elle allait juste changer de sens ! Rapport aux courants magnétiques, tout ça. Je m'y connais, moi ! Enfin, pas en théorie, j'ai jamais été un matheux, mais en pratique, ça oui : je suis fabricant de boussoles. Alors quand j'ai entendu que le Monde allait perdre le Nord, j'ai jubilé, ça oui : de quoi allait-on avoir besoin par millions les jours d'après le bazar ? De boussoles, pardi ! Perdus qu'on allait être entre l'ancien Sud et le nouvel Ouest, on serait bien obligés de venir voir Bibi pour le supplier de céder ses derniers modèles... Moi, dès que j'ai compris ça, ni une ni deux j'ai engagé un plan d'action, comme ils disent. J'ai embauché quatre gars à plein temps : trois ont lancé une production massive, quatre cents unités à la journée, y'avait de quoi satisfaire aux premières demandes qui arriveraient, et le quatrième, je l'ai mis à la remise à jour, en anticipant bien sûr : on disait que les pôles allaient s'inverser, alors mon gars, il tournait les cadrans et les aiguilles de tout le stock qui me restait de cent-quatre-vingt degrés en sens opposé, pour que ça colle. J'avais pris un neuneu, qui s'est demandé dix minutes pourquoi je lui faisais faire ça, vu qu'après, on avait des boussoles qui avaient perdu le Nord, mais je lui ai dit de ne pas se poser de questions et ça a eu l'air de lui aller. Moi je me frottais les mains de voir les caisses qui se remplissaient dans la réserve, et on allait voir ce qu'on allait voir quand le jour J arriverait.

Il est arrivé. Et mazette, c'est pas du tout ce que j'avais espéré !

Ils se sont inversés, les pôles, ça oui... mais personne n'est venu m'acheter de boussoles, parce que tout est tellement sens dessus dessous qu'on a tous plus la tête à comprendre comment on va vivre dans ce monde à la renverse que de savoir où sont maintenant les points cardinaux ! Ils avaient raison, ces fadas de Mayas : le Sud est passé au Nord, et réciproquement... En une nuit, on n'a pas eu le temps de dire ouf que c'était fait. Tout le monde dormait, pensez ils ont fait ça en douce ! Tout juste si on a ressenti un ralentissement, comme quand un train freine pour éviter un bestiau, et c'est reparti... mais dans l'autre sens ! Et on n'y a vu que du feu – jusqu'à ce qu'on réalise l'inversion ! Je me disais aussi, trente degrés en décembre, y'a un truc qui va pas. Et ces touristes qui débarquaient dans mon jardin en paréo... C'est quand j'ai vu ce koala pendu au peuplier que j'ai compris : voilà que Valenciennes, maintenant, c'était dans le Sud !

Je peux bien le dire, le soleil, la chaleur, ça m'a pas réussi. Je suis tombé en dépression. Je passe mes journées sur ma terrasse plein Sud toujours à l'ombre à compter et recompter mes boussoles, pendant que ma femme prend des cours de surf à Dunkerque et apprend à cuisiner les ignames qui ont poussé dans le jardin.

Tout ça parce qu'une bande d'illuminés qui grillaient au soleil du Mexique a décidé un jour que ce serait chacun son tour. De quoi je me mêle ?!

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