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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 08:00

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Dans la peau de Duchemin

Benoit Camus

 

 

Pas facile à cerner, le Duchemin ! Des heures d’entraînement à me prendre pour lui, à me glisser dans sa peau d’étriqué, sans que rien de probant n’en sorte. Je stagne à l’étroit dans ses entournures, coincé dans ses encoignures. « Pense premier degré ! » ne cessent de me tarabuster mon attaché de presse et mon communicant numéro 1. Je veux bien mais difficile, quand on est rompu à la réflexion multidimensionnelle. “La réflexion multidimensionnelle”, faut que je le note, que j’en parle à Bertrand en vue d’un prochain discours. Il va être content, Bertrand, toujours à l’affût de mes saillies explosives. Oui, “la réflexion multidimensionnelle”, j’y suis comme qui dirait astreint. J’ai “la réflexion multidimensionnelle” chevillée à la cervelle. Les neurones qui carburent à la démultiplication conceptuelle. Ah, je suis inspiré, aujourd’hui : le slogan spontané, la formule innée.

Des idées simples, me rabâchent mes conseillers, des idées simples ! Autant demander à un pur-sang de virer bourrin ! Je m’y résous, cependant, et avec leur aide, j’ai accouché de quelques unes. Des idées que Duchemin puisse comprendre… et s’approprier… Le mieux : qu’il imagine avoir eu les mêmes ! Oui, le persuader que mes idées sont les siennes. Qu’il s’y reconnaisse ! Genre : les grands esprits se rencontrent… Le plus dur est de se mettre à niveau. Que la ducheminisation du cortex opère ! Il suffit d’en rabattre, me tancent les experts, et de suivre les ornières. La démarche se résume en gros à désigner un coupable. À chaque problème, son coupable. Et pas n’importe lequel, un visible, aisément identifiable… Le coupable : voilà qui frappe la conscience Duchemin. Soudain, tout s’éclaire ! Mais oui, mais bien sûr ! Duchemin est content. Sauf que… méfiance ! On ne l’entourloupe pas, le Duchemin ! Il lui faut l’emballage, aussi !

« Lâche-toi ! » me harcèle mon attaché de presse. « Cause le Duchemin ! » m’enjoint mon communicant numéro 1. Trois syllabes, maximum, par mot ! Un champ lexical réduit à sa plus simple expression. Et surtout : des phrases courtes ! Ajouter à cela des fautes de français et des onomatopées, et le tour est joué ! Comme si c’était évident ! Ils ne se rendent pas compte, mes collaborateurs, à quel point ce langage m’est étranger. « Tu dois apprendre le Duchemin, si tu veux convaincre ! » me rétorquent-ils. Je m’y efforce. Je progresse. Pas assez vite au goût de mon équipe !

Et pareil pour la gestuelle. Il paraît que je suis trop statique. Alors, je bouge. La tête, les épaules, les bras. Je bouge ! Et je touche. « Duchemin apprécie le contact ! » me certifie-t-on. Des tapes dans le dos, des étreintes : des heures durant, je me suis exercé. À me peloter avec mes conseillers, afin d’acquérir les rudiments du Duchemin palpeur. Ainsi, la poignée de main… Sauf qu’en l’occurrence, Duchemin en présente des différentes : des molles, des moites, des râpeuses, des féroces… J’ai donc opté pour un entre-deux et ai conservé la mienne. Toujours ça de moins à bosser !

« On arrive ! » me prévient mon chauffeur. Il se gare aux abords du marché. « Pense Duchemin ! » m’encourage encore le communicant ! Il m’agace, le communicant. Je sais ce que j’ai à faire ! Je prends sur moi. Je me concentre. Je m’exhorte. Je suis Duchemin, je suis Duchemin ! me répété-je. J’aspire. J’expire. Je me détends les cervicales. J’ouvre la portière.

La foule des Duchemin m’attend ! Bon dieu, avec tous les efforts que je consens, ils ont intérêt à ne pas me laisser au bord ...

 

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commentaires

J
<br /> soit par désintérêt... de la politique elle-même, voulais-je dire.<br />
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J
<br /> Très belle satire de la démocratie délégative. Il faut s'adresser à cette frange de la population qui se désintéresse du vote, soit par manque de réfléxion politique, soit par désintérêt. Cette<br /> frange de Duchemins est jugée débile si on en croit les arguments du candidat qui lui se croît plus mailin que tout le monde avec ses expressions  creuses comme "réflexion<br /> multidimentionnelle". Influence de la pub qui renvoie au spectateur une image navrante de lui. Je ne voudrais pas médire mais le clip socialiste (vu chez Tadéi) qui imite la pub Danette est<br /> désolant.  <br />
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C
<br /> Le "l" manquant à "quelquefois" dans le com ci-dessus, c'est pas pour faire style, mais parce que je ne me suis pas relu. Bon, profitons-en pour en remettre une louche : bravo, Benoit, bien joué.<br />
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C
<br /> La confrontation avec tous ces pov'cons... Quequefois, dans mes grands moments d'empathie, j'en viens presque à les plaindre, les malheureux candidats.<br />
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C
<br /> et Madame Machin elle parle comment ? c'est pire que les cailloux le parler Duchemin, même démosthène aurait pas osé ! très drôle le texte.<br />
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