Merci de faire plus que le minimum minimorum
Ysiad
Aujourd’hui, c’est jour de liesse au 6ème, le grand boss s’est tiré aux Zéta Zuni. Si je précise : grand boss, c’est exprès. De même qu’on doit toujours dissocier les bénéfices de l’entreprise et les intérêts individuels, on ne doit pas confondre grand et petit boss. C’est la règle numéro Un, surtout quand on crèche au 6ème étage.
Le grand boss, c’est le type qui sort de l’ENA et qui envoie des mails en latin du type : merci de faire plus que le minimum minimorum, pour montrer qu’il a un max de culture. Le petit boss, c’est le type qui ne sort pas de l’ENA, n’envoie pas de mails en latin mais demande sans arrêt son avis au grand boss, pour flatter son ego et toucher une belle prime à la fin de l’année. Quand le grand boss n’est pas là, le petit boss met les pieds sur le bureau et s’enfonce dans son fauteuil inclinable avec le journal parce que bon, c’est bien beau le travail, bien joli et tout, mais à la longue, y a pas à tortiller, ça fatigue son homme, Courteline l’a très bien dit. A l’heure où ces lignes s’impriment sur mon écran, le petit boss roupille pendant que le grand boss attend son avion d’Air France pour les Zéta Zuni en classe Bizness, et ce joli voyage aux frais de la princesse lui rapportera des paquets de miles ou points de fidélité, bien utiles pour obtenir des billets gratuits durant les prochaines vacances avec sa petite famille.
La vie est bien faite, surtout pour ceux qui parlent latin couramment.
Pour ceux qui ne parlent pas latin couramment, mais qui veulent tout de même se faire bien voir du grand boss, il y a toujours la bonne vieille solution de la lèche. Au 6ème étage, Tiara Lechbien l’a bien compris, qui porte à merveille son anagramme.
Tiara Lechbien consacre l’intégralité de ses journées à faire une super lèche ; à défaut d’avoir des diplômes et d’être capable d’écrire une simple lettre administrative sans l’agrémenter de cinq fautes d’orthographe, elle décrocherait haut la main une première place dans cette discipline. Question lèche, elle est imbattable, je puis l’affirmer. Dès que le grand boss débarque, elle hurle à pleine voix : Bonjour, M’sieur Suchaaaard ! Vous voulez un café, M’sieur Suchaaaard ? J’vous mets du lait ? Un croissant ? Combien de suc’ ? Le grand boss est ravi. Ça le flatte, toutes ces prévenances, ça le valorise, ça redore son blason à peu de frais. Il n’est pas n’importe qui, mais le grand boss, avec du personnel féminin tout entier dévoué à sa cause. Et plus, si affinités ; est-il besoin de le préciser ?
En revanche, quand Tiara Lechbien oublie le lundi de mettre en route le chauffage dans son bureau, il la gronde. Petite étourdie ! Vous avez oublié de m’allumer mon chauffage ! entends-je parfois depuis mon poste d’observation, tout en pensant que si Tiara a oublié d’allumer le chauffage du grand boss, elle n’oublie jamais d’allumer sa libido ou ce qu’il en reste, l’énarque allant sur ses soixante-dix ans. Tiara roule des hanches sur ses talons de dix centimètres, s’encadre dans le chambranle en s’arrangeant pour offrir à Monsieur Suchard une vue plongeante sur son décolleté échancré. Elle minaude, joue des jambes, accentue l’ouverture de sa jupe, trépigne qu’elle s’excuse, qu’elle ne recommencera plus, Ouinnn ! Ouinnn ! Il s’en faudrait de peu qu’elle ne se roule par terre en implorant une fessée… Non, vraiment, du grand art
Il ne se passe pas une matinée sans qu’elle informe Monsieur Suchard de ses déplacements dans les étages. Elle le prévient aussi en cas de besoin pressant par un tonitruant : M’sieur Suchaaaaard ! Je vais faire pipiiiiiiiii ! , dont tout le 6ème profite. Cela fait partie du comportement de Tiara Lechbien, qui cherche désespérément à attirer l’attention de Monsieur Suchard sur la couleur de ses culottes. Vu l’âge de celui-ci, y a intérêt à mettre le paquet pour le stimuler, Tiara Lechbien l’a parfaitement compris.
La vie est super chouette, surtout pour ceux qui lèchent bien comme Tiara.
Pour ceux qui ne parlent pas latin couramment, se refusent à pratiquer la lèche et restent tapis dans leur tanière comme des cloportes en attendant des jours meilleurs, la vie au 6ème pourrait paraître un peu rébarbative s’il n’y avait, malgré tout, des possibilités de s’en sortir, en allant explorer des territoires reculés sur Internet par exemple, ou des galeries de photos d’amis, ou encore en écrivant des récits éclair lorsque le grand boss a eu la bonne idée de se barrer.