Note du barman : toutes mes excuses à Patrick Denys, l'auteur du jour, pour la publication tardive de sa chronique. Une confusion dans les dates m'ont fait inverser deux de ses textes ; "Départ" aurait dû paraître aujourd'hui et Hyperactivité le 17 février bien sûr.
Hyperactivité
Patrick Denys
Monsieur Laurent DUTOUR
Aux bons soins de Mlle. Le GUILLOUX
Hospice « les pastourelles »
MONTAUBAN
Paris, ce 17 février 2012
Mon petit papa chéri,
Je m’en veux beaucoup de t’écrire si rarement. Si seulement, je pouvais aller te voir, mais tu es si loin !
Aujourd’hui a été pour moi une journée éprouvante et, comme autrefois, comme chaque fois que j’avais très peur, j’ai pensé à mon papa.
6 février 2012 : je m’en rappellerai longtemps. A la télé, ils ont reparlé de la crise et des élections. Encore quatre-vingt jours, qu’ils ont dit. Ils commencent à compter les jours, comme pour les journalistes pris en otages.
Pour moi, la crise, elle est arrivée ce matin, à l’école. Si tu savais comme j’ai peur et comme j’ai honte ! J’ai été appelée par le Directeur et il m’a dit des choses terribles. Notre petit Antoine, qui est en cours préparatoire, comme tu le sais, va être convoqué devant le conseil des maîtres. Il devra expliquer pourquoi il a demandé à une de ses copines de lui montrer sa culotte. Moi, j’ai dit qu’à cet âge là, c’était fréquent ces choses-là et, que de mon temps, on n’en faisait pas un plat. « Sans doute, m’a-t-il répondu, mais quand on a demandé à Antoine ce qui s’était passé, il a menti. Il faut que vous le sachiez, à quatre ans, le mensonge d’un enfant fait partie des troubles psychiatriques ». Je ne sais pas ce que c’est qu’un « trouble psychiatrique », il va falloir que je me renseigne. « Il y a plus grave, qu’il m’a dit. Votre fille Julie nous donne aussi beaucoup de soucis. Elle manque d’attention, elle parle trop souvent, elle n’attend jamais son tour… On lui a fait passer le test préventif de maternelle. C’est très bien fait : Quatre-vingt quinze questions pour déceler les troubles de l’humeur. Votre fille est une hyper active ». Il paraît que c’est une maladie due au manque de quelque-chose dans le cerveau. C’est génétique et, en attendant, le médecin de l’école va prescrire de la Ritaline.
J’avais très honte et j’ai pleuré. Pour me consoler, le Directeur m’a expliqué qu’il fallait mieux prévenir, avant qu’il soit trop tard. « Qui, bébé, arrache le doudou du copain, arrachera demain le sac à main ! » Il a dit ça. Il paraît qu’on fait maintenant des tests pour prévenir la criminalité ; il a dit aussi que la délinquance était une maladie mentale. Il a ajouté qu’heureusement, on disposait maintenant de bons outils de diagnostic. Il m’a parlé d’une « courbe d’évolution des jeunes ». Ça définit une espèce de « droit chemin à suivre », avec la liste des « bonnes conduites » qui correspondent. Il a insisté sur ces « bonnes conduites ». Il a dit aussi qu’on faisait beaucoup de progrès actuellement, dans les techniques de dépistage. Ça commence pendant la grossesse. Ça m’a rappelé ma dernière échographie, avant la naissance d’Antoine ; pendant l’examen, il n’avait pas cessé de donner des coups de pied. C’était peut-être déjà un indice d’agressivité.
Alors, mon petit papa, je suis perdue et j’ai peur. Je ne sais plus si nos deux bouts de choux sont malades ou déjà délinquants. Moi, je ne voudrais pas qu’ils deviennent violents. On ne parle plus que de ça aujourd’hui. J’aimerais savoir ce que tu en penses.
Pour couronner le tout, ma copine de caisse au super marché vient de se faire renvoyer. Elle avait récupéré quelques produits périmés, sans rien dire. Avec les caméras de surveillance qu’ils ont mis partout, plus rien ne leur échappe. Elle vit seule avec ses deux enfants et elle n’a qu’un tout petit salaire. Tu me diras que ça n’a rien à voir avec mes problèmes d’école. Mais ça aussi, c’est de la violence.
Dans quatre-vingt jours, ils vont élire un Président. Moi, je pense qu’on a perdu la tête, qu’avant de faire des cadeaux aux banquiers, on ferait mieux de s’intéresser à l’Ecole et aux caissières de super marché.
Donne- moi vite de tes nouvelles, mon petit papa. Tu sais combien je t’aime.
Ta petite Juliette.