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22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 08:00

Jour -15

 

Maman, c’est quand ?

Annick Demouzon

 

 

 

- Maman, c’est quand ?

- Quoi, quand ?

- Ben, tu sais !

- Ah ?…

 

Annick n’en peut plus d’attendre. C’est long à attendre, le temps qui ne passe pas. Mais un jour, ça y est :

- C’est dimanche, a dit maman.

- Chouette, a répondu Annick.

 

Le dimanche, maman a d’abord bien habillé sa petite fille et l’a joliment coiffée. À son tour, maintenant ! Elle a retiré sa jupe et sa blouse de tous les jours, enfilé sa belle robe à fleurs, mis son chapeau neuf, tiré et tapoté ses frisettes pour qu’on les voit bien par dessous. Elle a pris son sac à main et tout vérifié à l’intérieur. C’est bon, il ne manque rien. Elles sont sorties toutes les deux.

Annick suit sa maman en trottinant sur ses ballerines à brides. Son nœud dans les cheveux, là-haut, rigole et sautille d’un air moqueur. C’est amusant d’aller avec maman.

La maman d’Annick s’appelle Suzanne. C’est son petit nom et c’est comme ça que papa, parfois, l’appelle, à la maison. Maman, son nom de famille d’avant, avant qu’elle épouse papa, c’est Renandez, c’est un nom espagnol, il paraît, le même nom de famille que celui de grand-père pépé, parce que grand-père pépé, c’est le papa de maman et que les enfants, ils ont le même nom de famille exactement que leurs parents. Maman, son nom de famille de maintenant, c’est Demouzon, comme papa. Parce que, quand elles se marient, les femmes, on leur change leur nom et qu’elles s’appellent alors comme leur mari. Annick trouve que c’est pas juste qu’on change le nom des filles quand elles se marient. Les garçons, eux, on leur change rien ! Mais c’est comme ça.

 

Il fait soleil. En passant dans les rues, on entend les oiseaux qui chantent dans les arbres. Sur la place, on passe à travers les étals. Il y a du bruit, c’est beau aussi et ça sent bon. Le dimanche, c’est jour de marché. Les ménagères discutent dans les rues, par petits groupes, un cabas à la main, ou s’éloignent lentement, le corps plié sur le côté. Maman a fait ses courses tout à l’heure, pendant que les enfants dormaient encore, et elle a tout rangé aussitôt. Est-ce qu’elle aura acheté du poulet ? Aujourd’hui, c’est dimanche. Et jour de fête, même.

Maman et Annick sont arrivées. Maman pousse la grande porte. Elle est lourde. Dans le couloir, les dalles immenses impressionnent la petite fille et elle marche dessus à petits pas précautionneux. Chaque fois. Elle ne sait pas trop pourquoi. En face, on grimpe le grand escalier de bois sculpté, celui qu’on emprunte les jours de carnaval pour monter au bal costumé. Qu’est-ce qu’on s’amuse, ces jours-là !

Sur le palier, les deux battants de la porte de la salle sont déjà large ouverts. Les murs d’or et de pourpre, portent des appliques accrochées, avec de fausses bougies. Elles sont allumées. Des lustres pendent au plafond, garnis de breloques, le plancher à chevrons a été ciré de frais. Il brille fort. Il n’y a pas de musiciens, c’est dommage, mais Annick le sait bien que c’est seulement les jours de bal qu’il y a des musiciens.

Dans la pièce, on a construit des petites cabanes en tissu. Annick aimerait aller jouer à l’intérieur, mais c’est réservé aux grandes personnes. Vivement qu’elle soit grande ! Maman a pris des bouts de papier et s’est enfermée un moment toute seule. Ce n’est pas long. Elle ressort, une enveloppe à la main, donne sa carte à un monsieur tout rond, avec une moustache, et qui transpire. Elle pose l’enveloppe sur une caisse en bois verni, très grosse, installée au milieu d’une grande table avec plein de messieurs derrière, qui regardent.

Et là, Annick se concentre. C’est pour cet instant-là qu’elle est venue ! Déjà, elle rit dans sa tête. Le gros monsieur crie alors très fort : « Renaniez Suzanne, épouse Demouzou, a voté ! » Et il ajoute à voix normale : « Ah, bien le bonjour, Madame Demouzon, comment va la famille ? » Maman murmure quelque chose, le monsieur répond : « Bien sûr, on va vous changer ça. C’est comme si c’était fait ». Et il écrit au crayon de papier sur le grand livre ouvert devant lui : « Renandez Suzanne, épouse Demouzon ». Mais Annick, rigole, rigole. Elle le sait bien qu’il ne le fera pas. La prochaine fois, ce sera pareil. Depuis toujours, c’est comme ça. Alors pourquoi ça changerait ? Annick aime beaucoup, les élections, ça la fait se bidonner à chaque fois. Elle n’en rate pas une.

 

 

Note de l’auteur : Annick accompagnera ainsi sa mère très longtemps. À chaque élection, pendant des années. Et chaque fois, ça la fera rire autant. Pourtant, les élections, c’est sérieux - normalement.

Ce n’est que dix ou douze années plus tard - ou plus -, qu’un jour, d’un coup, les deux noms maternels auront retrouvé leur forme réelle sur le registre des électeurs.

 

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commentaires

A
<br /> J'aimerais réellement accompagner ma mère: l'ambiance de fête,le sentiment d'accomplir un acte important et, pour moi, "la chute" rigolote, tout y était, mais je ne crois pas que mes frères et<br /> soeurs l'aient souvent fait.<br /> <br /> <br /> Je trouve génial que les enfants aient pu jouer avec es isoloirs à faire semblant. maintenant, quand les écoles sont réquisitionnées, le lendemain, il n'y a pas école: on désinfecte.<br /> <br /> <br /> Merci à tous pour votre lecture.<br />
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L
<br /> Un joli souvenir d'enfance, de circonstance<br /> <br /> <br /> Je ne me souviens pas avoir pénétré dans un bureau de vote avant mes 18 ans ..<br />
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J
<br /> Je ne me souviens pas du vote de ma mère en 1945, Lza, peut-être ne m'avait-elle pas emmené, mais je me souviens que ce vote avait eu lieu dans l'école maternelle que je fréquentais et que nous,<br /> bambin de cinq ans, on nous avait initié au vote avec le matériel qui était resté : les isoloirs, l'urne et un bulletin blanc pour chacun où il fallait écrire oui si on était fortiche et non<br /> dans le cas contraire ! <br />
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C
<br /> Un changement aussi radical d'identité demande bien une douzaine d'années de réflexion à l'administration.<br /> <br /> <br /> J'ai eu l'occasion de vérifier : je ne suis pas inscrit sur les listes sous le nom de Castor Chélfion, heureusement.<br /> <br /> <br /> Pardon, c'est honteux.<br /> <br /> <br /> Cette jolie scène me rappelle un temps où quand j'étais enfant, jour de vote était jour de fête. On n'entendait pas encore le grondement de la circulation, il faisait beau, et toute la cité était<br /> de sortie dans la bonne humeur...<br />
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C
<br /> Comptine <br /> Tôt dans la lande rousse de Pouzygnan, un cochon lent fait sa promenade. <br /> Nos chemins se croisent sous le pont. Mais je lis à son air : "Ô, tout me peine ma belle". Sa poule n'aime pas son lard. Merde il manque une syllabe.<br />
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