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27 janvier 2012 5 27 /01 /janvier /2012 08:00

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Comment le turpide roi de la Franche Barbotine

en vint à assaillir furieusement les pauvres gens de la triste Belande

 

 

Dans l'époque de désarroi où le peuple vivait, les écumeurs de marmites faisaient grand profit de la pénurie de gardes pour banqueter et braquemarder en toute impunité. La paille et le foin manquaient partout, plus personne ne semait l'avoine et on rabattait les tables plus souvent qu'on les dressait.

Tout soudain arriva avec grande force l'idée de choisir un redresseur de foi et de sûreté selon le bon vouloir et franc arbitre de chacun. Ce à quoi consentirent à part égale les faiseurs de pain noir, de pâté confit et d'eau bénite.

Nombreux étaient les escogriffes au fervent appétit prêts à fanfarer haut et fort leur faculté à revêtir les apparats de grand dompteur des âmes et consciences et à dispenser comme il convenait les papillettes d'or. Mais, n'en déplaise aux gens de bien, ce fut le plus petit, un grimacier venu des basses terres, né au forceps et grand amateur de purée, un tirelupin infortuné en femmes, ridicule en son maintien et guabelant comme un embouchoir qui ravit le titre au nez et la barbe des notaires et prêcheurs réputés mieux avisés en toutes affaires.   

Or donc, sitôt établi en son chastelet, il s'en trouva fort mal servi. Il ordonna qu'on agrandisse le domaine, qu'on le pourvoie largement en pages et écuyers, qu'une brimbelette très douce à la main soit portée en son lit et que chaque jour soit célébrée son entrée en lumière. Las, le peuple était en grande rêverie, humant par avance les soupes grasses promises et ne trouvait point d'intérêt pour les escoublettes et les dévotions.  

Le petit homme s'en trouva très courroucé et cria à la forfaiture au point de s'emporter furieusement jusqu'à la moelle des os. On envoya sonner le tabourin à l'entour de midi et sitôt fait près de mille caresses et mille embrassements lui furent livrés en repentir. Ce fait étant, il ordonna qu'on fasse de grandes processions partout où il se transporterait et que chacun y soit présent fidèle à son devoir, sans convoitise ni avarice sous peine d'endurer mille frayeurs. Mais par une méchante diablerie, le peuple ne se trouva point trop enclin à boteler le foin et à battre les gerbes sans que grâce lui soit rendue. Pour mieux le dire encore, il s'en trouvait fort incommodé et point sûr de consentir à ce qu'on le gourmande toujours plus, ni par devant ni par derrière.

Ainsi qu'on lui rapporta le mécontentement, il advisa chaque jour des lois grandes et belles à merveilles, afin que chacun sache qu'il ne souffrait aucune contrariété. Les colères du sire étaient tristement célèbres. Il avait, dit-on, le cœur bien trop prêt du fondement et son esprit ne passait qu'avec peine par les canaux cérébraux. Ainsi, sous son crâne blanc et plein d'écailles, les mots allaient de nerf à nerf dans un grand gargouillement. Un quarteron de ministres dressés aux cailletaux et parfumés à la tirelitantaine s'appliquaient à lui stimuler la glotte et les cordelettes à l'aide de pommades fructifiantes et d'onguents pétris dans les meilleurs laits de mamelles. On en faisait venir de tout le royaume d'ici-bas et on dépêchait des émissaires dans les déserts d'Allouettes où étaient pressurées de divines potions pour le plaisir de la gorge. Malgré toutes ces dispositions, les mots sortaient dans une pesanteur anormale, contrefaits et de très mauvaise humeur. Pour le remettre en meilleure voix, on lui gargarisait le gosier jusqu'à ce que de belles phrases se présentent en bonne ordonnance à l'orée des lèvres.  

Seulement, une bonne fille loyale trouvait toujours à lui chatouiller la luette tant et si bien qu'à la fin lorsqu'il s'apprêtait à dire une chose, c'était toujours une autre qui arrivait. Il s'en suivait moultes escarmouches pour décider comment accommoder autant de contraires. Ainsi, celui qui était entré en affection le matin repartait à la nuit déconfit et sans profit. Tel autre, bien loti en ministère, s'en retrouvait dépouillé et précipité dans la misère. Tel autre encore, virtuose de la gambade et s'agenouillant pour recevoir les grâces, finissait par aller frotter son lard contre un simple petit pot de chambrée. Les bons ergoteurs n'ignoraient pas que mignoter les pantoufles de sa seigneurie permettait d'amollir les reproches et de picoter moultes brioches jusqu'à s'en déboutonner le ventre.

Le bon peuple en perdait tout entendement et, plutôt que de s'esbaudir de tant de sornettes et se réjouir dans les tavernes, il s'en allait sonner les cloches et commettre de grandes processions par toutes les rues avec force fanfreluches et doléances pour qu'adviennent enfin, par l'âme et par le corps, de belles choses merveilleuses et profitables. 

C'est alors que le petit homme usa de son droit de guerre. Il fit acte de foi et proclama être le seul boutefeu capable d'escornifler la vache, de fricasser la rustrerie, de faucher la bourse des usuriers, de pourfendre  les avaleurs de frimars, d'écorcher tout vif les tripotées de sans-culottes et de leur faire à tous baiser ses pieds. 

Ce après quoi le Seigneur fut bien joyeux et tira douze belles sonnettes de Sacre pour donner à l'entreprise son bon vouloir et sa bénédiction. Ces bons vœux entendus, le petit homme affuta son artillerie puis remonta d'un coup sa belle braguette, rentra sa bedondaine, enfila sa gabeline fourrée à la queue de renard, héla un porteur de rogatons et s'en fut livrer bataille cent jours durant.

 

 

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commentaires

L
<br /> Un bien bel exercice de style, tout en finesse, érudition et jubilation. Du grand art. <br />
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B
<br /> Une régalade à s'en estouffer... Bravo!<br />
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L
<br /> Oui, la barre est "placée haut".. et c'est tellement vrai ! A lire et reboire sans modération. Compliments au barman !<br />
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P
<br /> Le ton est d'emblée donné et la barre... placée haut !<br />
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C
<br /> Le coeur trop près du fondement, c'est trop marrant. Avec cette seule phrase, le personnage est campé. Plein de belles trouvailles, ce texte. J'ai bien rigolé.<br />
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