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28 janvier 2012 6 28 /01 /janvier /2012 08:00

Père 100

 

Le Père Cent 

par Claude Bachelier

 

 

Ce jour-là, Raymond avait acheté une bouteille de champagne et il avait invité quelques copains dans sa chambre, laquelle chambre lui piquait la moitié de sa paie d’ouvrier à temps partiel et à contrat précaire.

Le champagne, c’était un peu plus cher que le mousseux, mais bon, ce n’était pas tous les jours que l’on fêtait le « Père Cent », c’est-à-dire les cent jours qui restaient avant le changement de boss. Ils avaient trinqué dans des gobelets en plastique et chanté un vieil air qu’ils avaient appris à l’armée : « la quille viendra, les bleus rest’ront pour laver les gamelles …

Ils y croyaient tous au départ du boss, mais ne se faisaient pas trop d’illusions. Comme disait la grand-mère de Raymond : « il ne faut jamais compter les œufs dans le cul de la poule ! ». Parce que les votants – et ils en faisaient partie – râlaient, allaient même jusqu’à protester, mais il leur arrivait trop souvent d’avoir peur de l’avenir.

Raymond, lui, n’avait pas eu peur de l’avenir quand, il y a quelques années, il avait décidé de choisir ce type. Il lui paraissait jeune, dynamique, ambitieux, généreux, des qualités essentielles aux yeux de Raymond pour occuper ce poste. Mais cette jeunesse ne s’est révélée que conservatrice ; le dynamisme, un autoritarisme sournois ; l’ambition, une soumission aux financiers. Quant à la générosité, elle ne s’est révélée qu’égoïsme.

 

C’est vrai qu’il y avait cru à ce type. Pourtant, la déception est venue aussitôt : le soir où il est devenu le boss, plutôt que de venir vider un canon à la cantine de l’usine, il est allé faire un gueuleton avec ses potes, boss comme lui. Il avait promis qu’avant d’occuper son bureau, il allait réfléchir à de nouvelles stratégies pour que la boite tourne mieux. Drôle façon de réfléchir: faire la nouba sur un yacht avec sa bourgeoise et des copains !

 

Ça, c’était le début. Et ce qui aurait pu passer pour des erreurs de jeunesse se révéla un hors d’œuvre à côté des plats de résistance qui ont suivi : il a commencé à couper dans le budget de la formation continue et viré la moitié des formateurs au prétexte qu’il ne servait à rien de savoir lire autre chose que les notes de service et les notices d’utilisation des machines. A l’infirmerie, là aussi, il a viré la moitié des soignants au prétexte que les conditions de travail étaient idéales et que personne ne pouvait être malade. Sans compter qu’il a vendu la moitié de l’infirmerie à des margoulins qui vendaient très chers des médicaments bidons à l’infirmerie.

Il a décidé qu’il fallait bosser plus pour avoir une meilleure paie. Sauf que les quelques sous gagnés en plus ont servi à payer les augmentations des loyers, du pain ou du gaz, et même celles des médicaments, bien qu’il y avait une assurance pour ça. Assurance qui augmentait elle aussi.

Ses sbires, eux, traitaient les malades de fainéants qui ruinaient le système. Parce que tout ce beau monde n’avait qu’une formule à la bouche : « ça coûte trop cher ». La formation, ça coûte trop cher ; les soins, ça coûte trop cher ; les congés, ça coûte trop cher. Même les paies, ça coûte trop cher. Il n’y a qu’un truc qui n’est pas trop cher, c’est la façon dont ils vivent. Là, rien n’est trop cher.

Et puis, il y a aussi les financiers. Le boss, il dit qu’il ne les aime pas et qu’il s’en méfie. Mais, il suffit qu’ils fassent les gros yeux et hop, il se met au garde à vous. A croire qu’il en a peur. Alors, conséquences immédiates : moins de paie, moins de formation, moins de soins et le pain est plus cher, les loyers et le gaz aussi.

 

«La quille viendra, les bleus rest’ront pour laver les gamelles… » Ce jour-là, Raymond et ses copains avaient levé le coude en l’honneur du « Père Cent ». Cent jours, c’est long et c’est court à la fois. Napoléon en savait quelque chose.

 

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commentaires

C
<br /> Excellente analyse... fictive, bien sûr. On serait presque tentés de croire que ça existe, ces choses-là.<br />
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J
<br /> Un beau texte de Claude avec un parallèle plein de subtilité. Il faut espérer que le "plat de résistance" fera que la Résistance ne tombera pas à plat.<br />
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Y
<br /> Patrick a eu raison de mettre un avertissement, comme quoi les personnages et les situations sont fictifs, etc... Pourtant le texte de Claude n'en avait pas besoin : je ne vois vraiment pas à qui<br /> ou à quoi il ferait allusion... <br />
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L
<br /> En se rasant, il songeait à l'espoir qu'il avait entretenu durant si longtemps: Monter tout en haut de l'&chelle, et s'y maintenir le plus longtemps possible. Il se disait aujourd'hui que la<br /> vie lui avait joué un sale tour: lui donner ce qu'il désirait tant, à un moment où il n'était pas encore prêt à relever les défis. Et ses meilleurs copains, les plus fidèles et ceux qui étaient<br /> accourus au secours de la victoire, ne l'avaient guère aidé. Mais, c'est vrai, il n'écoutait que les compliments et les approbations..<br /> <br /> <br /> Comme disait La Fontaine:"Apprenez que tout flatteur<br /> <br /> <br />                                       Vit aux dépens de celui qui l'écoute." <br />
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