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5 février 2010 5 05 /02 /février /2010 15:43

Jeannot lapin image 











Loin des chansons et comptines de notre enfance Claude Romashov nous propose une variante tendre et cruelle de l’histoire de …

Jeannot Lapin



" Fils de chien " ! La pierre pointue l’atteint en plein visage. Le sang coule de son nez. Rouge. Il veut crier mais aucun son ne sort de ses lèvres, ses yeux s’emplissent de larmes. La voix de l’agresseur est une voix d’homme. Il en est sûr. L’espoir un instant lui transperce le cœur. Et si c’était lui, le père ! Celui qu’il n’a jamais connu. Jeannot pourrait se raccrocher à cette voix, à ce geste de colère. Son père ne l’aimerait pas mais au moins, il serait là.

Sa mère, par contre, il la connaît bien. C’est une grande femme blonde aux cheveux soyeux déployés majestueusement sur les épaules. Elle a beaucoup d’allure mais ne sourit jamais. Jeannot ne sait pas pourquoi ?

Chez lui, il y a aussi la grand-mère, une vieille toute ridée et rêche. Peut-être pas si méchante, sauf qu’elle se tait quand la mère brandit la badine pour cingler les mollets de Jeannot. Mais après la correction, elle lui passe en douce du beurre sur les plaies ou de l’arnica sur les bleus.

Toute la famille habite chez elle depuis la fin de la guerre. Une vieille bicoque de pierres à la sortie du village. La maison du " Boche " comme les gens l’appelle. Jeannot trouve que c’est joli comme mot " le Boche ", cela sonne comme caboche. " T’as rien dans la caboche ". " Ce gosse est un cabochard ". " Regarde le cabochon offert à ta mère ". La bague dort dans une boite à secrets. Il a surpris sa mère, une fois avec l’objet dans sa main ouverte. Ce jour-là, elle ne s’est pas mise en colère et a regardé Jeannot en hochant la tête.

Le gosse ne fait jamais les choses comme il faut. Il est lent, fait tomber les objets, a toujours mal quelque part. Pauvre Jeannot qui traîne toujours morveux dans les jambes des adultes car les enfants n’ont pas le droit de jouer avec lui. On ne joue pas avec un " fils de chien ".

Jeannot est sale, les cheveux roux embroussaillés, la blouse déchirée et mal boutonnée, le pantalon court qui tient par des ficelles au-dessus de ses genoux écorchés. Sa mère, elle est toujours soigneusement vêtue pour faire taire les mauvaises langues. Jeannot est fier d’elle quand il la voit fendre la foule de vipères qui siffle des insultes sur leur passage. Les femmes serpents n’aiment pas la famille mécréante qui a fait des choses peu recommandables pendant la guerre et surtout ne va jamais à l’église ni à confesse.

Jeannot grandit. Les bancs de l’école l’accueillent. C’est rude un banc d’école, avec le maître et sa règle de fer. Il est perché sur une estrade, presque au-dessus de la tête de Jeannot qui se fait tout petit et emplit sa cervelle de lettres qui se gondolent et des chiffres qui dansent des farandoles. Sa main trace sur les lignes les jolies lettres pleines à l’aide d’une plume Sergent Major qui écrase l’encre bleue en monstrueux pâtés. Tchclack ! Ce sont les doigts de Jeannot qui bleuissent sous les coups de la maudite règle de fer. Le maître a le regard méchant, il n’aime que les enfants avec l’accent bourguignon qui roule comme motte de terre.

Quoique Jeannot fasse, il n’arrive pas à se faire aimer. Sa mère ne lui manifeste aucune tendresse, la grand-mère est percluse de rhumatismes et perd la tête. Les gens du village l’insultent et lui lancent des pierres. Il a honte d’être lui et voudrait rentrer dans un trou. Un trou bien douillet avec de la paille pour les petits animaux. Il aimerait bien savoir pourquoi il n’est pas comme les autres, pourquoi aucun enfant ne veut lui prêter ses mécanos ni jouer aux billes, pourquoi les adultes grimacent et le dévisagent avec haine ?

Il se regarde dans la glace, ne se trouve pas beau mais pas si laid. Des cheveux bouclés et emmêlés, de grands yeux bleus délavés et un petit nez couvert de taches de son. Bien-sûr il a les oreilles décollées. C’est peut-être cela la vraie raison ! Oreilles de lapin ! Voilà Jeannot est un lapin. Un animal d’une espèce étrangère. Il le sait depuis le jour où la maison étant vide, il a crocheté la serrure de la boite à secrets. Il a étalé sur la toile cirée de la cuisine, la bague au cabochon, des billets écrits de belle manière, des fleurs séchées et des photos d’un militaire, grand et beau malgré ses cheveux roux et deux grandes oreilles. Et puis il a parlé avec Fernando.

Fernando c’est son ami. Un vieux à la belle moustache. Pas une moustache gauloise, non une rebelle, bien noire. Il lui a raconté les hommes qui se battaient dans les bois plus loin, les gens qui se cachaient. Des gens avec des étoiles au revers de la veste. (C’est drôle ça !) Les allemands conquérants qui poussaient à portée de fusil des partisans hâves aux regards inquiets et puis, les filles, les plus blondes qui s’encanaillaient dans les bars de la ville voisine et les bâtards dans les bras de leurs mères au crâne rasé, les disparus et les règlements de compte. La peur et le soupçon. Jeannot comprend ce que raconte Fernando. Il est grand maintenant mais du haut de ses sept ans, aura-t-il l’audace de demander à sa mère, le nom de l’officier allemand qui est son père.

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commentaires

K
<br /> Oui, un texte dur et poignant, superbement écrit. La bêtise du genre humain est, hélas, un puit sans fond...<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Je n'ai guère le temps de m'attarder au café en ce moment mais il y a toujours de beaux textes. C'est bien connu les parents boivent et les enfants trinquent, hélas !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Mais oui, ce sont toujours les enfants qui trinquent, c'est bien connu.<br /> Et quand je vois des enfants mal tourner, je me dis que les parents y sont souvent (mais pas toujours) pour quelque chose. Mais je me dis également : "Si les parents ont souvent les enfants qu'ils<br /> méritent, les enfants eux, n'ont pas toujours les parents qu'ils méritent".<br /> Bravo ! Claude, ton histoire est très triste, et très bien écrite.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Belle histoire traitant, avec pudeur, de la marginalisation que jeune, un enfant ne peut pas comprendre. Et lorsqu'il y parvient, c'est trop tard.<br /> J'en ai su quelque chose, il fut un temps... lointain mais pas dans le même contexte.<br /> Deux possibilités de réactions : la haine des autres ou la tolérance.<br /> <br /> GM<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> Elle est dure, l'histoire de Jeannot Lapin, dure mais combien prenante, car racontée avec beaucoup de pudeur et de retenue. Aussi, le texte de Claude Romashov donne à réfléchir : quand<br /> arrêterons-nous de faire payer aux enfants les péchés de leurs parents? Merci pour ce moment passé avec un "adorable petit rouquin aux oreilles décollées".<br /> <br /> <br />
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