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6 décembre 2006 3 06 /12 /décembre /2006 00:05

 

André Gorz écrit depuis presque toujours. Longtemps, il s’est adressé aux hommes avec l’idée qu’il lui fallait être au cœur des débats, sur l’existentialisme, dans la critique du capitalisme comme dans l’écologie politique. Longtemps, il a cru que ce qu’il disait en public, que ce qu’il soutenait au fil de ses écrits suffisait à marquer son engagement en toutes choses et à rendre ainsi la vie vivable. Longtemps, il a appréhendé les rapports d’amour et de couple du côté de l’aliénation, je ne m’aimais pas de t’aimer, ruminait-il pendant que Dorine la compagne aimante de tous les jours patientait dans l’antichambre, come to bed disait-elle au milieu de la nuit, d’ont be coming, come ! Longtemps, il s’est demandé par quel bout prendre l’existence, comment entrer en résonance sans être présent, comment brandir un étendard sans battre en retraite, comment à la fois être et manquer à l’autre, comment être dans le manque de l’autre, comment s’arranger de la division et de l’altérité. Longtemps, il est resté sur la marge, captif de la seule idée de l’amour, assujetti au principe d’un possible bonheur universel. Longtemps, il a été tenaillé par l’angoisse d’une séparation et longtemps il a souffert de la dispersion de ses sentiments. Longtemps, la question du don et de la perte ont taraudé l’homme de raison, l’homme accaparé par l’intellect, cet intellect qui tue elle. Et puis le temps est venu où l’exigence de l’amour, celle qui se révèle dans l’intimité et s’amarre sous les frissons, est devenue décisive, incontournable. Et André Gorz d’écrire, alors qu’approche la fin, une fabuleuse histoire d’amour. Et être enfin l’être à D.

Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien.

 

Lettre à D. Histoire d’un amour d’André Gorz aux Editions Galilée, 75 pages, 13,40€

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commentaires

K
ELle est fabuleuse l'histoire d'amour d'André et de Dorine,<br /> <br /> André vient d'écrire la dernière page, <br /> <br /> quelle page ! triste mais tellement belle
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G
L'alchimie de l'Amour avec un grand A                                          Magnifique !
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D
J'ai reçu mon Tendance Floue, je sais que je ne poste pas au bon endroit. J'aime beaucoup les oiseaux de Sens d'Emmanuel Berry, en particulier le petit noir sans aigrette, il me touche, je ne sais pas pourquoi. Non, je ne dirai pas mon code, tui tui tui.
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D
Par quel bout prendre l'existence ?<br /> Une belle recension c'est vrai. Il faut que je m'y mette maintenant.
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M
Une de ces superbes recensions de lecture qui donnent autant sinon plus envie d'en lire l'auteur que celui dont il fait l'éloge...
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