
Pour ce numéro 13 de "A propos de...", Gilbert Marquès revient sur une question fort débattue ces derniers mois au café et que je résumerai par cette interrogation : quelle lecture de la poésie aujourd’hui ?
Ce propos reprend les grandes lignes d'une interview réalisée à la suite de la sortie de mon dernier recueil de poèmes paru en 2006, Des - Rives. Je l'ai choisie en réponse à la tournée traditionnelle de vœux effectuée par la présidence et plus particulièrement ceux adressés aux acteurs de la culture. Emis le 9 janvier dernier, ils comportent comme à l'ordinaire, des effets d'annonce dont on se demande ce qu'ils peuvent bien signifier. Ils tournent autour de trois grands axes.
- La sauvegarde du patrimoine avec une enveloppe conséquente qui serait issue du plan de relance. Le projet est louable mais les sommes promises seront-elles véritablement débloquées compte tenu de la crise ? D'autant que pour céder aux sirènes de l'immortalité à l'instar d'un MITTERAND par exemple, l'actuel président compte marquer son mandat par un monument. Le budget alloué sera-t-il englouti dans ce projet ? Feuilleton à suivre…
- L'entrée gratuite pour les jeunes dans les musées nationaux afin qu'il y ait une ouverture vers la culture. Je ne prendrai pas le risque d'écrire qu'il s'agit d'un coup d'épée dans l'eau car je ne sais pas comment les différentes grandes municipalités procèdent. Par contre, pour ma région de résidence, je ne pense pas que cette décision aura un impact très important puisque de telles mesures sont déjà en vigueur depuis fort longtemps, accompagnées d'animation en direction de tous les âges ou de stages de formation à différentes techniques de peintures, de mosaïque ou autres en fonction de la spécialisation du musée. De plus, je rejoins les doutes de certains observateurs pensant que cette mesure n'amènera pas un nouveau public mais profitera plutôt aux habitués. L'expérience vaut néanmoins d'être tentée pour les lieux plus figés s'il en existe.
- Plus inquiétante me paraît la troisième annonce consistant en la mise en place d'un comité d'excellence de la culture dont, bien évidemment, Monsieur le Président veut être le grand patron. Pour l'instant, nul ne sait rien des tenants et aboutissants de ce comité si ce n'est la nomination de quelques personnalités qui y siègeront. Quel sera le contenu de la charte ? Quel sera le rôle de ce comité ? Mystère et loin de moi l'idée de condamner avant de connaître le contenu de ce projet. J'appelle néanmoins à la vigilance afin nous conservions notre indépendance d'artiste et que ce comité ne devienne pas une nouvelle arme coercitive envers la liberté d'expression pour instituer une culture étatique. Il y a déjà tellement d'autres secteurs qui subissent déjà les diktats gouvernementaux qui veut tout régenter en tout que je suis circonspect pour ne pas dire… méfiant.
Au travers de ce qui suit, je veux simplement expliquer ma conception de la culture, un espace de liberté où tout doit rester possible.
Comment définir la poésie ?
"Poète, je le suis devenu par convention, non parce que j'ai décidé de l'être mais parce que le public et mes pairs m'ont qualifié ainsi"
J'ai emprunté cette entrée en matière à l'AVANT-LYRE d'un de mes précédents recueils, 20 ans… déjà ?, édité par la revue "Poétic 7" il y a maintenant plus de vingt ans. J'y écrivais également ceci en guise de définition de la poésie :
" … je pourrai tenter de définir la poésie mais bien d'autres s'y sont essayés avant moi sans y parvenir de façon satisfaisante. Je devrais alors expliciter ma propre poésie et mon rôle de poète… Je ne m'y aventurerai pas. Dans le premier cas, ce serait vouloir définir le sexe des anges. Dans le second, cela relèverait simplement de la pathologie…"
Cette réflexion reste d'actualité et je n'ai pas changé d'idée. Malgré les écoles, les chapelles, les courants, les partisans de telle ou telle forme technique de prosodie, la poésie, pour moi, échappe à toute définition sinon à toutes règles ou, au choix, elle en a autant qu'il existe de poètes.
A mon humble avis, pour retomber dans les pathos, la poésie, l'écriture et plus largement toute œuvre d'art sont en vérité le fruit d'un travail artisanal nécessitant patience et persévérance. Le talent ne suffit pas, il se cultive en recherchant la qualité pour le public auquel nous devons tous d'être ce que nous sommes sans pour autant nous prostituer.
Je ne considère donc pas l'œuvre théoriquement achevée comme une fin en soi mais comme une porte ouverte sur l'échange, la communication avec cependant un écueil à éviter : se prendre au sérieux.
La poésie m'apparaît par conséquent comme un moyen de participer à l'évolution d'une société, d'une civilisation dont elle doit être témoin et reflet mais pas uniquement dans la nostalgie ou l'intemporalité. Elle doit encore et toujours continuer à évoluer dans ses pensées, dans ses techniques et ne pas rester figée sur son passé, aussi glorieux soit-il, qui doit cependant continuer à servir de socle.
Dès lors, la définition de la poésie n'est pas immuable et doit s'affranchir des raccourcis contenus dans les dictionnaires. Elle doit continuer à changer selon les lieux, les époques et les poètes eux-mêmes.
Contrairement à ce que voudraient faire croire certains esprits chagrins et malgré les difficultés de diffusion qu'elle rencontre, la poésie n'est ni le symbole d'un passé révolu ni morte. Qu'elle soit qualifiée de ringarde est une hérésie à laquelle participe l'éducation d'aujourd'hui en ignorant superbement les poètes contemporains ! Il est dommage qu'au travers de cette ignorance du public parfaitement orchestrée par les différents pouvoirs notamment médiatiques, les poètes en soient réduits à survivre plutôt qu'à vivre. Il ne faut pas pour autant les enterrer vivants. Ils existent toujours contre vents et marées, au travers de nombreuses revues et de leurs ouvrages, de leurs récitals parfois.
D'aucun leur reprochent pourtant de vivre en cercle fermé en se regardant le nombril. Comment pourrait-il en être autrement quand une société axée sur le consumérisme se coupe de ses bases intellectuelles et populaires pour favoriser l'humanitaire au détriment de l'humanisme ? Comment pourrait-il en être autrement lorsque la culture et au travers d'elle l'éducation ou la recherche en sont réduites à un nivellement pas le bas ramenant l'humain à une sorte de clone programmée universellement vers la conformité, la pensée unique et une mondialisation essentiellement économique ? Pour un certain nombre d'industriels de la culture prédigérée, l'art même devrait être limité à l'état de marchandise sauf peut-être justement la poésie puisqu'elle est décrétée non rentable. Elle acquiert ainsi le statut de résistance à une forme d'oppression et devient, par la force de l'inertie, le symbole d'une liberté de créer qu'il faut non seulement sauvegarder mais tenter d'étendre pour que l'homme puisse garder intact son libre arbitre et son indépendance idéologique.