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19 janvier 2009 1 19 /01 /janvier /2009 19:12

Où l’on repart avec le capitaine Suzanne Alvarez pour un nouvel épisode de la vie à bord et aux abords du Pythagore…

 


Le doudou de Maryse

 

Il avait beau se défendre de vouloir la gifler à tour de bras à la suite de cette étrange révélation qu’elle venait de lui faire en riant comme une folle, le désir dansait à nouveau dans toutes ses veines et, en ce moment, il n’en menait pas large devant elle.

 

Tenerife aux Canaries. Le ciel est gris et bas comme la mer. Neptune est en colère et siffle dans les haubans*. Silvio, dont le cœur est en berne parce que Maryse, son équipière depuis six ans, l’a lâché le matin même pour partir avec Paulo de " Plume au vent ", son meilleur ami, qu’il avait eu la bonne idée dernièrement de lui présenter, s’occupe à ranger " Tam Tam ", un ketch* en bois moulé, une petite merveille qu’il a construite entièrement de ses mains et qui fait sa fierté. Il a déjà rempli trois gros sacs poubelles avec des vieux catalogues d’accastillage, des bouteilles vides, des vieilles espadrilles à elle et des trucs à moitié déglingués qu’elle n’a pas pris la peine d’emporter. Puis il les a bien ficelés et les a déposés bien proprement au pied de la benne à ordures qui se trouve au bout du quai. Au retour, assez satisfait de son travail, il a fait sauter la capsule d’une Heineken et a tendu sa bouteille en direction du Teide*, l’un des plus hauts massifs volcaniques du monde :

- A la tienne !

C’est juste après qu’il a entendu une cavalcade sur le ponton en bois et qu’il l’a vue apparaître complètement échevelée et hagarde devant lui :

- Oooh…tu es revenue ! a-t-il fait, plein d’espoir, en lui tendant la main pour l’aider à monter à bord.

- J’ai oublié quelque chose ! a-t-elle dit, en le repoussant tout énervée pour se ruer dans la cabine avant du voilier.

Il en est resté baba, scotché. Puis il l’a entendue qui fouillait en bas, pestant comme une malade pour ressurgir les yeux presque révulsés et hoquetant :

- Qu’est-ce que t’as fait de mon " Doudou " ?

- Poubelle… les trois sacs gris ! a-t-il indiqué du menton, toutes illusions envolées et effrayé par son visage. Ma parole, elle avait pris vingt ans d’un coup.

Puis, elle est repartie à fond la caisse. Alors, il a pris ses mini-jumelles pour suivre la suite des opérations à travers le plexi du dogger*. De là, il pouvait voir sans être repéré, sauf que ses voisins de panne*, Pythagore et Zacharia, aux premières loges, n’en ont pas perdu une seule miette. Ensuite, Il l’a vue stopper sa recherche après avoir éventré le troisième sac, pour en ressortir cette vieille chose de couleur indéfinissable qu’il a été tenté cent fois de virer. Sauf qu’elle ne s’en séparait pratiquement jamais et qu’il n’aurait pas pu lui faire ça. Il l’aimait trop " sa Maryse ". Il aurait fait n’importe quoi pour elle…

- Ma !...c’est pas possible ! C’est quand même pas pour cette saleté qu’elle est revenue ? a-t-il pesté dans un fort accent des Abruzzes*, en regardant pendant un moment la direction qu’elle avait prise à grandes enjambées pour ne plus jamais revenir, et l’objet serré contre son cœur.

Après son départ, le sol autour de la benne était jonché de détritus et complètement écœuré, il a dû refaire les trois sacs.

 

Il la reverra pourtant, cinq années plus tard, aux puces nautiques du Marin* en Martinique. Elle traînait d’un stand à l’autre. Seule.

- On va prendre un pot ! Il était tellement heureux de la revoir, oubliant le sale coup qu’elle lui avait fait. Vraiment, elle était encore plus désirable qu’avant. Deux Carib* plus tard, elle lui avait raconté ses dernières années, et son aventure avec Paulo, qui ne lui avait laissé qu’un bref souvenir nauséeux. Puis, complètement excitée par la boisson, sans doute, et parce qu’il lui avait quand même demandé des explications, elle lui avait avoué l’histoire des sacs poubelles, en se moquant de lui :

- Oui, tu comprends… à chaque fois que tu me donnais de l’argent pour faire les courses, je mettais un petit billet de côté que je glissais à travers le rembourrage, dans mon doudou. Tu sais bien, ce vieux nounours que j’avais…cette affreuse peluche… !

Un petit sourire empreint de cynisme lui a échappé et il a laissé s’écouler quelques secondes. Puis il a osé timidement :

- Ma ! …alors, tu es libre… !

- Et ton doudou, tu l’as toujours ... ? a-t-il rajouté, toute colère envolée et pour dissiper le malaise qui commençait à s’installer.

- Oh ! Non... La fermeture éclair était complètement fichue … et il partait en lambeaux, tu sais ! a-t-elle fait en posant sa main sur la sienne tandis que son regard s’embuait.

 

Le lendemain, sous les coups de six heures du soir, la moussaillonne de Pythagore qui revenait des douches de la marina, trouva Maryse, assise sur le quai, au milieu de tous ses sacs.

- Dis-moi, ma petite Carole, tu peux me déposer sur Tam Tam…

- Pas de problème, puisque nous sommes voisins ! a répondu celle-ci tout sourire et en l’aidant à charger ses bagages dans le canot à moteur.

 

 

*haubans : éléments du gréement dormant d’un voilier, soutenant un mât latéralement et vers l’arrière.

*ketch : voilier à deux mâts, dont le grand mât est situé à l’avant et le plus petit, appelé mât d’artimon est sur l’arrière.panne :

ponton en bois, servant à s’amarrer dans un port.

*Carib : marque de bière antillaise, tropicalisée.

*Teide : prononcer Té i Dé, se dresse à 3718 mètres.

* dogger : appelé aussi " cabane ou niche à chien ". Capote destinée à s’abriter pendant la navigation.

* Abruzzes : région montagneuse du centre de l’Italie.

* Le Marin : le port de plaisance du Marin est la plus grande base nautique de la Caraïbe. Il borde la ville " Le Marin " qui compte actuellement environ 6000 habitants.

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commentaires

L
Je tenais à te dire, Gérald, que j'ai trouvée très belle, très légère, la poésie de Sophie. Mais me plaît tout autant celle de Jacques, d'un tout autre genre. Tout ça pour te dire que ces deux poèmes ont bien leur place dans ces petites histoires maritimes. La poésie de Jacques est plus dans la tradition de l'univers marin, où la taverne est le lieu de rencontre avec les chansons à boire et où le nom d'une belle est toujours mentionné.  
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L
Un coucher de soleil sur la mer peut être aussi ressenti avec émotion par des marins de quart, Gérald, ou des gens sur la plage, par mer étale, qui entendent bien "dans le jour la houle qui soupire..." C'est l'océan apaisé écouté de la terre....Joli, non ?
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G
La Mer, qu'on voit danser...a des ruisseaux d'argent...C'est joli, Sophie, mais ne te froisse pas, je pense que la poésie de Jacques Lamy colle beaucoup mieux avec les textes de Lastrega. On y retrouve une atmosphère virile que l'on sait chère aux marins. "Bordée"en est un exemple dans HE9, ainsi que les extraits d'" Ecume océanique".Cela ne retire rien a la qualité de ton poème.
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L
Oulà ! Je sais pas, vous, les poètes, mais je trouve que "LA MER" est R A V I S S A N T ! Bravo ! Sophie !
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S
Une mer classique... sous forme néoclassique, en un lieu de vacances où le farniente est roi, voilà qui me conviendrait mieuxLes 40 èmes rugissants, très peu pour moi. Je vais attendre l'histoire rigolote de Lastrega pour être édifiée à ce sujet. Peut-être, changerai-je d'avis si elle laisse entrevoir qu'il existe aussi des 5 èmes rugissants où le danger est moindre... Peut-être à ce moment, changerai-je d'avis. LA MERC'est l'heure où sur la mer, quand s'efface la brumeLe ciel enivré d'or scintille sur les eauxEt sur l'onde azurée où paressent les flotsDans le lit du soleil s'abandonne l'écume.Telle une aile de nacre au matin flamboyantSa mousse au blanc neigeux, qu'un bleu sillon élagueEn fins ruisseaux d'argent roule de vague en vagueQuand les reflets d'azur miroitent sur ses flancs.Sur la vaste étendue où l'infini se mireQuand la harpe du vent se prête à l'abandonComme un trouble léger aux instants vagabondsOn entend dans le jour la houle qui soupire.  
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