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11 février 2008 1 11 /02 /février /2008 17:57

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" Au cœur de… " est une nouvelle rubrique au menu du café. L’idée est de rendre compte, sous forme de reportage, d’une expérience inédite et insolite dans le champ de la littérature : à travers les concours (nouvelles, roman, poésie…), du côté des salons, de l’édition, des libraires, des bouquinistes, dans les bibliothèques, les "Village du Livre", ou encore en classe avec les " lectures expliquées ", sur scène avec les " lectures théâtralisées "… Cette rubrique est ouverte et nous vous invitons - visiteurs, lecteurs, auteurs - à participer à cette aventure journalistique…

Pour ce second numéro, Jean-Paul Lamy nous invite au Salon…

 

 

Un salon du livre. Quelque part. Dans cette grande et belle salle, nous sommes… un certain nombre, vaguement poussifs car à peine sortis d’un restaurant (magnifiquement situé puisque ses baies immenses offrent à toute heure du jour une vue imprenable sur des Monet, des Dufy, des Othon Friesz). Nous attendons le chaland. Je suis là avec mon " Banc aux goélands ".

(… Bon, rien de bien précis dans ce que je raconte là, me dira-t-on. La phrase d’introduction incontournable qu’on enseigne aux enfants, celle qui, en quelques mots, répond aux questions que le lecteur peut légitimement se poser - ces qui ? quand ? où ? pourquoi ? - Je l’ai traitée par le mépris, ça crève les yeux, et il se pourrait même fort bien que, aggravant mon cas, je continuasse.)

Mais revenons à nos moutons… Les visiteurs ne vont disposer que d’une entrée et d’une sortie, ils devront donc suivre, dans le sens des aiguilles d’une montre, " la route des livres ", ce qu’ils feront très bien, conditionnés qu’ils ont été ailleurs, à suivre des routes balisées de façon si exhaustive qu’il leur était impossible de négliger un cru de Beaujolais, une bastide, un château de la Loire et, du côté du Berry, une Mare au Diable, une petite Fadette, un François le Champi.

C’est l’heure d’ouverture. Les visiteurs ne se précipitent pas comme pour les soldes chez Harrod’s mais, ma foi, ils arrivent par gros paquets et ils ont d’autant plus de mérite qu’il fait beau…

Au début du parcours du " combattant-voué-à-la-sauvegarde-des-belles-Lettres ", se trouve un auteur célébrissime : il doit détenir le record de France du nombre de livres publiés sous sa signature. Les jaloux prétendent qu’il ne les a pas tous lus, ce qui prouve

1°) que la jalousie est proche parente de la méchanceté

2°) qu’à l’impossible nul n’est tenu

En tout cas, les moutons (de Ben-et-ton, sans doute, car ils portent des tenues aux jolies couleurs vives qui contrastent de plaisante façon avec les teintes d’un automne qui dit déjà bien son nom), les moutons, donc, ne voudraient pour rien au monde déroger à la règle : " Cet écrivain vend beaucoup de livres, alors achetons-lui son petit dernier "… Si j’excepte quelques rares fortes têtes ou quelques dangereux dissidents, les personnes que je verrai passer, moi qui vais m’installer quasi en fin de circuit, porteront l’" œuvre " sous le bras…

En effet, la place qui m’a été attribuée se trouve à proximité de la sortie. Passer devant moi, c’est déjà apercevoir le salut, savoir que la délivrance est proche.

" Non, Jeff, t’es pas tout seul ", chantait le Grand Jacques… Il y a des moments où l’on préfèrerait l’être. A ma droite, un auteur de polars, à ma gauche, une poétesse. " Pour des polars, me dis-je, les amateurs ne doivent pas manquer mais, pour fourguer des vers, aujourd’hui, il doit falloir être costaud " et ma blonde voisine me semble plutôt du genre gracile. Je vais vite comprendre qu’elle cache des atouts dans sa manche… enfin, quand je dis " dans sa manche "…

Je constate rapidement que l’auteur de polars et la poétesse ont un point commun évident : ils savent (se) vendre. Même politique agressive : ils mettent d’autorité un livre entre les mains des chalands. Lui : " Tenez ! Ça n’engage à rien ; ce sont de belles histoires (il faut oser parler en ces termes de ses propres œuvres !), pour tous les âges, ça plaît à tout le monde (Diantre ! Je n’ai pas du tout envie de plaire à tout le monde, moi !), vous verrez…. " (habile, ce futur, cet indicatif, mode des certitudes : c’est comme si c’était déjà fait, on est à l’opposé d’un conditionnel défaitiste (" Si vous me l’achetiez, vous verriez que… "), donc "  vous verrez, c’est très original : des dialogues à la Audiard. " et, sans doute aussi, en prime, l’éblouissant sens de l’équilibre d’un funambule qui, sur son fil, irait, sans le moindre faux pas de " à la manière de " à " originalité ".

Je dois me rendre à l’évidence : les gens achètent. Et n’oublions pas qu’au moment d’acquérir le polar plein de bons mots que n’aurait pas reniés Audiard, ils ont déjà, sous le bras, le livre du célébrissime auteur placé en début de circuit. Mettons-nous à leur place, ils n’ont pas un budget-livres extensible à volonté. Ils ne vont tout de même pas s’arrêter devant chaque auteur. Alors, ils sélectionnent et ils ricochent à la manière de ces galets que l’on jette dans l’eau selon une trajectoire tellement rasante qu’au lieu de se noyer tout de suite, ils vont rebondir une, deux, trois fois, et peut-être davantage encore…

Il est extraordinaire de voir comme ces personnes sont douées pour juger un livre en quelques secondes. En passant : la couverture les persuade qu’il ne présente aucun intérêt, ou bien, c’est le titre qu’ils jugent stupide. Dans le meilleur des cas, ils lisent trois lignes de la préface de Gilles Perrault ou de la " quatrième de couverture " qui confirment pleinement leur intuition première.

Mais, c’est là que tout le génie de ma voisine de gauche se révèle : leur ricochet est cueilli en plein vol : " Vous connaissiez la comédienne, découvrez la poétesse ! "

Apparemment, je dois être le seul à qui son nom ne dit rien. Certes, elle a un physique plutôt avantageux, un minois charmant sans doute revu et corrigé par quelque chirurgien (je lui donne une trentaine d’années. Renseignements pris, elle en a vingt de plus. Un bon chirurgien, en somme).

" Voici un recueil de mes poèmes… Il y a aussi des photos de moi à l’intérieur du livre… J’ai demandé à de grands photographes de lire mes poèmes, de s’en pénétrer et de faire ensuite des portraits de moi mais en s’efforçant de photographier mon âme. "

Quoi de plus facile que de photographier une âme, effectivement ? (J’apprendrai par la suite que ces photos ont marqué de toute évidence un virage à 180° dans la carrière de cette charmante personne car, dans les films où elle est apparue, c’était plutôt l’image de ses fesses que l’on s’efforçait d’immortaliser par le truchement de la pellicule… Mais allez donc savoir où se loge une âme…

" Je suis en train d ‘écrire une pièce de théâtre… J’ai deux télés, la semaine prochaine. Ardisson m’a invitée aussi mais je ne sais pas si j’irai : je n’aime pas ce qu’il fait. " Refuser d’aller chez Ardisson ! Les visiteurs restent sans voix : elle les préfère donc à Ardisson ! Ils demandent des autographes. Sur n’importe quel support. Mais le mieux est tout de même d’acheter le recueil de poèmes et d’avoir droit à une dédicace. La même pour tout le monde. Quand on tient une jolie formule…

Quand elle n’est pas en train de remplir son tiroir-caisse, cette blonde personne bavarde quelque peu avec moi : elle me prête un exemplaire de son livre afin que je puisse me pénétrer, moi aussi, de son univers poétique. C’est alors que, me surprenant à compter sur mes doigts, elle me dit : " Non, non, ce ne sont pas des alexandrins "… A vrai dire, je m’en suis aperçu très vite mais ma vérification ne porte pas sur ce point : je cherche à déterminer quel vers, à défaut de l’alexandrin navrant de banalité, a été choisi. L’octosyllabique, peut-être, plus vif, plus primesautier, capable de plus d’insolence ? Eh bien, non : 8, 7, 9, 6… Peut-être des " pseudo octosyllabiques " dans l’esprit des " pseudo alexandrins " inventés par Alphonse Allais ? Je ne le saurai jamais… Il est ainsi des questions essentielles qui demeureront éternellement sans réponse...

Une chose est certaine : elle vend, elle vend ses rimes (parce que ça rime), son âme, son joli sourire, sa pensée unique écrite sur la page de garde…

Et moi, dans tout ça ? Moi, je ne sais pas placer autoritairement un livre entre les mains d’un acheteur potentiel pour qu’il devienne acheteur tout court, alors, je vends… quatre livres à des personnes qui ont raté leur ricochet… Une satisfaction : si les échanges avec les acheteurs sont rares, ils sont aussi très riches, très denses…

 

Quelques semaines plus tard, je proposerai mon recueil de 23 nouvelles un samedi après-midi dans le hall du Grand Hôtel de Cabourg, là où un pianiste joue des mélodies délicieusement surannées, là où plane l’ombre souffreteuse de Proust… Ce sera pour moi un juste retour sur les lieux du crime car, même si, en écrivant ce livre, j’ai pris quelque plaisir à brouiller les pistes au moment de choisir les endroits où il convenait de situer les actions, je dois avouer qu’à plusieurs reprises, c’est de Cabourg qu’il est question et même, très précisément, dans l’une des nouvelles… de ce fameux Grand Hôtel…

Là, les personnes qui s’arrêteront devant moi ne seront pas venues dans le but d’acheter un livre et… pourtant, en deux heures, mes ventes seront de 50% supérieures à celles réalisées lors du fameux salon du livre… Et là encore, les échanges seront riches…

Et ma voisine de gauche ? Une certitude : quand elle parlait de " télés ", ce n’était pas vaine vantardise de sa part. Je la reverrai en effet sur le petit écran, elle y présentera son livre et expliquera que des photographes ont su saisir son âme… Ah ! Ces poètes ! Ça sublime tout !

Jean-Paul Lamy

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commentaires

Y
Epatant ce texte, où la "distanciation" chère à Jean-Paul est assaisonnée d'une bonne dose d'humour. Voilà une façon très plaisante d'évoquer les petites humiliations auxquelles s'exposent ceux qui ne savent , et ne veulent pas se vendre... mais qui voudraient tout de même bien  qu'on s'intéresse à eux ...
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M
Le portrait de la Pythie aux pseudo-octosyllabes est un vrai régal, Jean-Paul! .
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P
Cette rubrique vous plait ? N'hésitez pas à l'enrichir de vos expériences... et bienvenue au café.
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C
J'adore cette rubrique ! Bon, ce que vous dîtes de Miss La Star reste sympathique, elle ne doute de rien, l'heureuse femme :-D
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F
Ah, Jean-Paul, tu sublimes tout, même les poétesses qui ne savent pas compter sur leurs doigts...
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