Pour bon nombre de visiteurs de ce site, Stéphane Laurent, journaliste et rewriteur dans l’édition, n’est pas un inconnu. Comme à son habitude, il ne mâche pas ses mots et c’est avec une subtile simplicité qu’il s’est pris au jeu du Mouvement du 22 mars en abordant la délicate question du bonheur… si proche et si lointain.
Le bonheur en 2012
Depuis d’innombrables semaines, les politiques s’adressent à moi. Je suis devenu une cible. Et je n’aime pas beaucoup leur discours. Car depuis d’innombrables semaines, ils m’enjoignent - m’ordonnent ? – d’aimer la France. Identité nationale, petits drapeaux tricolores, aimez-là ou quittez-là… Le problème, c’est que la France, moi, je ne sais pas au juste ce que c’est. J’aime mes enfants, ma femme, mes parents, mes amis, tous ces gens pour qui je porterais le cadavre, comme on dit. Mais la France, non, je ne vois pas. Cela ne signifie pas que je la déteste, remarquez-bien. On ne peut ni aimer ni détester ce qu’on ne comprend pas. Or, moi, je ne comprends pas la France. Et quelle France, d’abord ? Celle de 1789 ou celle de 1942 ? Celle du Nord ou celle du Sud ? Celle de Paris ou celle de la Haute Saône ? Celle de Plougoulm, ou celle de Truchtersheim ? Celle de Lucie Aubrac ou celle de Pétain ? Celle de Bourdieu ou celle de Steevy ? Celle de Jamel ou celle de Le Pen ? Celle de l’Huma ou celle de Minute ? Aimer la France, se sentir français, être fier d’être français, être fier d’être fier d’être français : vite une bassine, j’ai un peu mal au cœur, là… J’aurais largement préféré que cette élection soit l’occasion d’aborder des questions absolument essentielles comme la possibilité de travailler moins et de s’en foutre. Comme le plaisir d’emmener ses gosses patauger au bord d’un étang. Comme la nécessité de ne rien faire. J’aurais voulu entendre que la finalité de l’existence n’est pas de travailler, plus, moins, le dimanche, la nuit, pour gagner plus, pour gagner moins. Que la finalité de l’existence, c’est le bonheur avant de crever. Le bonheur, celui qu’on traque dans les livres, dans le ciel, ou chez Ikéa. La quête du bonheur, voilà un projet politique intéressant. Or, je n’ai encore vu aucun ténor politique se pencher sur cette question. Pas leur rôle, sans doute, de parler du bonheur. Parce que le bonheur, dit-on, est l’affaire de chacun. Est-ce si sûr ? Réfléchir aux conditions d’un bonheur intelligent me paraît être un bel enjeu collectif, au contraire. Tant pis. Ce sera pour 2012.
Stéphane Laurent